L'histoire de Jean-Pierre F. (fiction) : par l’Association Nationale de Formation en Gérontologie

Jean-Pierre F à 67 ans. Il est à la retraite. Sa mère, elle, en a 95. Jusque-là, elle vivait chez elle. Quelqu’un l’aidait pour le ménage, les courses et les soignants venaient régulièrement. Bref, tout se passait bien… avant sa chute. Eh oui, maudite chute, pense Jean-Pierre. Puis l’hôpital, la maison de repos et l’entretien avec le médecin.


L'histoire de Jean-Pierre F. (fiction) : par l’Association Nationale de Formation en Gérontologie
« Votre mère ne pourra plus rester chez elle, il y a trop de risques… »
 
Jean-Pierre en a parlé avec le médecin de famille qui a été d’accord avec son confrère. Une seule solution : le « placement en institution ».
 
Mais pour Jean-Pierre c’est un vrai problème… Sa mère lui serinait depuis dix ans déjà : surtout tu me le promets, ne me mets jamais en maison de retraite, j’en mourrai… » et lui « « mais non maman, voyons, mais non… ».
 
Il sait donc que dès qu’il prononcera ce mot, ce sera l’hystérie. Il se sent déjà coupable d’ailleurs ; d’autant que le chantage est rude : « j’en mourrai ». Jean-Pierre, sans le savoir, fabrique déjà une haine secrète du personnel soignant avec 2 ingrédients : la peur du message à adresser à sa mère et la honte de ne pas tenir ses engagements. 
 
Evidemment ce qu’il  avait prévu arriva… Maman ne « veut pas entendre raison » malgré les arguments conjugués des médecins, de son fils et du reste de la famille (pour l’instant tout le monde est d’accord en apparence). Une seule solution : le transfert en ambulance de la maison de repos à la maison de retraite….
 
Quelques mois plus tard… Jean-Pierre, ce bon vivant estimé de tous, ce fils attentionné, etc. est devenu « la bête noire » du personnel de l’établissement. Ça a commencé dès le premier jour. Il sort de la chambre de maman qui pleure. Il est tout renversé. A ce moment-là il croise deux femmes en blouse blanche qui rient entre elles. C’en est trop, ce sont elles les coupables. Ici tout le monde s’en fout…
 
On a tous éprouvé ce sentiment : on est triste et des inconnus passent et sont gais. On ressent comme de la provocation. La honte de certaines familles peut donc générer de l’agressivité envers le personnel soignant. Et maintenant, chaque fois qu’il croise un membre du personnel, une petite voix lui rappelle sa gêne : elle lui dit : « oh le vilain qui a abandonné maman »… Et, sans savoir pourquoi, il demande toujours plus…il n’est jamais satisfait, rien n’est jamais assez beau pour « maman ».
 
Bref, il tente de transformer l’enfant coupable, en lui, en parent vengeur. Tout cela se fait à son insu. Ou plus exactement, il n’a jamais tenté de comprendre ce qui se passait en lui et essayé de trouver une attitude adaptée. Il est toujours là, semble tout surveiller, fait des réflexions acerbes « elle n’est pas propre la chambre de maman » « oh, on lui a encore mis ce vieux chandail » comme pour se justifier : vous voyez je ne l’ai pas abandonnée puisque je m’occupe d’elle très bien… La culpabilité de certaines familles se transforme donc en harcèlement.
 
Pour financer le séjour, il a bien fallu « vendre la maison de maman » et bien sûr personne ne le lui a dit. Au début, il disait même qu’elle n’était là que pour quelques mois… Evidemment sa mère le croyait. Il pensait qu’avec le temps…
 
Revenons un instant à « maman » : pourquoi une telle angoisse de la maison de retraite ? Pourquoi ne pas accepter l’idée que l’on aura un jour besoin d’une assistance qualifiée 24H/24 ? Pourquoi « culpabiliser » toute la famille en parlant d’abandon ? Il y a probablement des tas de raisons, parmi lesquelles la peur de ne plus être un individu autonome, de devenir dépendant d’autrui pour les gestes les plus élémentaires, de ne plus choisir ses horaires, son environnement… Et puis il y a surtout une peur plus profonde : l’entrée en maison de retraite « rapproche » de la mort…(Ce n’est pas exact rationnellement mais c’est ce qu’éprouvent souvent les personnes âgées qui entrent en institution « à leur corps défendant »).
 
Cette peur est si grande qu’elle paralyse, qu’elle amène à un « déni ». La seule réponse à cette question pour « maman » est : non, jamais ça, j’en mourrai…L’origine de ce phénomène est là. Pourquoi ne fait-elle pas partie de ces gens capables de se dire : « Un jour peut-être, je ne pourrai plus continuer à vivre chez moi. Il faudra donc que je trouve la meilleure solution ». En réalité, ce n’est pas vraiment « l’image de la maison de retraite » qui fait peur, c’est la peur de l’abandon. Les psys appellent cela « l’anxiété de séparation ».
 
C’est donc cette peur de vieillir et de mourir abandonné qui secrètement façonne le rejet de la maison de retraite. Les psys appellent cela le « déni » : les personnes savent bien que leur état de santé ne leur permet plus de rester à la maison mais elles refusent de L’ACCEPTER. Et, évidemment, le meilleur moment pour se poser la question c’est avant, avant que les événements décident pour vous, avant que l’entrée en maison de retraite soit la seule solution...
 
Revenons à Jean-Pierre… Bref, si Jean-Pierre doit être « coupable » de quelque chose, c’est de n’avoir pas su préparer « maman » à cette option, d’avoir fait comme si tout irait toujours bien. Sa deuxième erreur est de penser « un peu comme maman » que la maison de retraite n’est pas l’endroit adapté. Or il l’est. S’il est bien un endroit où l’on connaît le grand âge et où l’on sait s’en occuper c’est bien dans les institutions de gérontologie. Nous venons donc de saisir un élément important : tant qu’un membre d’une famille ne sera pas convaincu que la maison de retraite est l’endroit le plus adapté pour son parent, les relations avec l’équipe soignante seront « difficiles »….
 
Association Nationale de Formation en Gérontologie
Extrait du Livret de stage : communiquer plus efficacement avec les familles

Publié le 29/09/2014 à 12:00 | Lu 860 fois