L’heure de la fermeture dans les jardins d’Occident de Bruno de Cessole : le grand douché du Luxembourg

Depuis l’antiquité on connait les vertus qu’exercent le jardin et la promenade sur la pensée intellectuelle. C’est délibérément, que Bruno de Cessole place son roman au sein du jardin du Luxembourg. L’étudiant Philippe MontClar y rencontre le vieux philosophe Frédéric Stauff.


Celui-ci eut son heure de gloire à l’époque des « Temps Modernes », avant de faire paraître un retentissant brûlot dans lequel il attaquait Socrate et réhabilitait le sophiste Calliclès. Depuis, non seulement il s’est refusé à publier la moindre ligne, mais il a détruit tous les écrits qui étaient déjà parus.

« Disparaître de son vivant, j’aurai réussi cela » dit ce nouveau Diogène reclus dans sa misanthropie et allant jusqu’au bout de son cynisme. « Quand j’aurais mené à son terme ma mission de Grand Désenchanteur, alors je pourrai déposer mon bâton. Mais tant qu’il restera une idole debout, je n’aurai de repos. Il faut épuiser le désespoir pour accéder à la contemplation sereine du vide ! » On pense à Cioran.

Cet absolu de la pensée attire le jeune homme. Il voit dans le vieillard un penseur « dont les actes sont la pierre de touche de la pensée » et lui avoue : « j’ai ressenti des correspondances entre votre pensée et les battements de la mienne, des harmoniques entre vos idées maitresses et mes convictions profondes, mais informulées. A mon chaos intime vous avez, à votre insu, donné une forme et un sens ».

Les deux hommes prennent l’habitude de se retrouver. Dérogeant à sa règle par une sorte de gourmandise, le philosophe conte la vie de quelques personnages qui ont pour point commun la déréliction et l’attirance du néant. Ces portraits sont sublimes. Ils nous font pénétrer dans le vif, si l’on peut dire pour ces personnages attirés par le suicide, de leur pensée. Bloy, Léopardi, Carlyle, Boece et bien d’autres sont convoqués ici. Frédéric Stauff s’appuie sur eux pour expliquer le sens de sa vie, pourfendant la pensée assise et même rassise.

Peu à peu le doute s’insinue chez Philippe Montclar. Le misanthrope se sociabilise, le théoricien du suicide atteint un âge respectable. Ne serait-il pas un « sophiste habile » ? Et l’étudiant d’ourdir un piège.

Servi par une écriture classique, parfois désuète (le joli « départons-nous »), ce roman péripatéticien a une lucidité passionnée agrémentée de sarcasmes. On s’amuse à relever, ça et là, des références littéraires comme ce chat qui surgit page 336. Celui de Léautaud à n’en pas douter.

L’heure de la fermeture dans les jardins d’Occident
Bruno de Cessole
Editions de La Différence
398 pages
20 euros
L’heure de la fermeture dans les jardins d’Occident de Bruno de Cessole : le grand douché du Luxembourg

Publié le 24/11/2008 à 09:44 | Lu 3124 fois