L'affaire Orpea révèle un scandale d'état pour l'AD-PA

Bien sûr, certains Départements font largement mieux que la moyenne et ont des politiques vertueuses. Bien sûr, certains responsables de l'État, au niveau national ou local, du ministre à l’agent de l'Agence Régionale de Santé, essayent ou ont essayé d'améliorer la situation, comprennent la réalité de ce que vivent les personnes âgées en établissements ou à domicile. Ils sont clairement du côté des personnes âgées, des proches et des professionnels.


Certains vont même jusqu'à donner des méthodes pour que des établissements ou des services à domicile ne se refassent pas prendre des crédits ou pour qu'ils puissent trouver des moyens de financement nouveaux.
 
Mais ils ne sont malheureusement pas suffisamment nombreux pour pouvoir faire bouger les choses réellement.
 
Le système est plus fort que leur bonne volonté.
 
Si les propos développés dans le livre « Les fossoyeurs » sont avérés, ils sont inacceptables.
 
Mais de telles pratiques ne peuvent naître dans un pays que parce que l'ensemble du secteur (établissement comme domicile) est placé dans une situation de pénurie et que chacun sait que les personnes âgées vulnérables ne sont pas accompagnées comme elles le mériteraient en tant que citoyens.
 
Dans le secteur de la petite enfance, où il existe des crèches commerciales, un tel scandale est impossible car il y a des ratios obligatoires de personnels. C'est bien entendu ce que l’AD-PA demande en premier dans le secteur de l'aide aux personnes âgées.
 
Pour leur défense les dirigeants d’Orpea disent qu’il y a des problèmes à Orpea comme dans tout le secteur ; c’est bien là la responsabilité de l’Etat : il y a des problèmes dans tout le secteur.
 
Il est important aujourd'hui de mettre en évidence les manipulations, mensonges, doubles discours, cynisme et mépris des personnes âgées et des professionnels dont font preuve les Pouvoirs Publics depuis plus d'une trentaine d'années.

I. Le mépris des personnes âgées
En société âgiste, la sous-estimation des personnes discriminées est malheureusement commune. Mais elle est totalement et absolument inacceptable quand elle provient des Pouvoirs Publics.
 
Ce qui est premier pour les Pouvoirs Publics, c'est que les budgets ne soient pas dépassés ou mieux, qu'ils soient sous-utilisés à tous les niveaux.
 
Ce sous-financement chronique conduit à obliger les professionnels à aller toujours plus vite dans leurs actions auprès des personnes âgées ce qui relève de la maltraitance systémique : là où il faut aider à manger une personne en 30 ou 45 minutes, l'aide à domicile ou la salariée en établissement n'en a souvent que 15 ou 20 quand ce n’est pas 8 ou 10.
 
Là où il faudrait aider à une toilette en 45 minutes, les professionnels n’ont souvent que 10 à 15 minutes, voire moins.
 
Quand les Français prennent tous au moins une douche par jour, dans certains établissements où certaines situations à domicile, la douche n'est possible que toutes les semaines où tous les 15 jours, parfois moins souvent encore.
 
Parfois certaines personnes âgées ne sont pas aidées à se lever et doivent passer, à domicile ou en établissement, toute la journée au lit.
 
D'autres sont aidées à se coucher à 16h à domicile ou 18h en établissement et passent ainsi de longues heures dans leur lit.
 
II. Manipulations et mensonges sur les financements
1- Les manipulations
L'État prétend que la dotation des établissements est objective car elle s'appuie sur une évaluation de l'état de santé des personnes (PATHOS) et une évaluation du besoin d'aide à l'autonomie des personnes âgées (AGGIR).
 
L'État oublie simplement de mentionner 3 faits :
a) Tout dépend du tarif accordé au point AGGIR ou PATHOS : la cotation peut-être la meilleure si le tarif est bas les moyens financiers globaux seront bas.
 
b) L'État a largement manipulé la grille PATHOS en la faisant évoluer de sorte qu'elle produise un financement inférieur au fil des années.
 
Par ailleurs ce sont des représentants de l'État qui font les évaluations et qui peuvent donc les manipuler à la baisse autant qu’ils le veulent.
 
c) Les moyens accordés à partir de la grille AGGIR sont évalués par l'autre financeur, et certains Départements annoncent cyniquement qu'ils manipulent aussi la grille à la baisse.
 
Il est par exemple étonnant de voir combien il y a de personnes en GIR 4 dans certains Départements pour faire des économies sur l'allocation personnalisée à l'autonomie versée aux personnes âgées de façon plus étonnante à partir du GIR 3.
 
2- Les détournements
Au niveau national, l'État a ainsi mis en œuvre de nombreuses stratégies pour éviter la consommation des budgets destinés aux personnes afin de pouvoir les reprendre pour les utiliser dans d'autres secteurs ; en un mot les détourner.
 
Un ministre de l'Economie et des Finances à La Tribune de l'Assemblée Nationale disait que si, sur une année, tous les moyens n'avaient pas été utilisés, c'est qu'il n'y avait pas de besoin.
 
L'État prétend n'avoir pas les moyens d'engager 10 milliards d'euros pour augmenter le nombre de professionnels en établissement et à domicile et améliorer les conditions de vie des personnes âgées. Mais il a détourné plus de 20 milliards d'euros des Caisses de la CNSA au détriment de nos aînés depuis 15 ans. Rendre ces crédits aux personnes âgées permettrait le financement de 2 années d'amélioration de leurs conditions de vie.

III. Cynisme et double discours
1- La qualité sans les financements
Dans l'affichage l'État et les Départements prétendent faire le mieux pour accompagner nos aînés vulnérables à domicile ou en établissement. La réalité est beaucoup plus complexe.
En dépit des demandes de l’AD-PA et d'autres professionnels, l'État refuse systématiquement d'instaurer un ratio minimum de professionnels à domicile ou en établissement ; pire que cela, depuis une vingtaine d'années, l'État a mis en place des référentiels de bonnes pratiques (au demeurant fort utiles), mais il refuse systématiquement d'évaluer combien de temps nécessite la bonne application de ces référentiels ; il y a donc des instances qui s'occupent de qualité (antérieurement l’ANESM, aujourd'hui l’HAS) sans que jamais la question du coût de la qualité puisse être évoquée ; parallèlement d'autres instances, CNSA, Ministère abordent la question des financements sans jamais accepter que soit mise en regard la qualité exigée par les  instances s’occupant de qualité.
 
Cette dichotomie permet donc à l'État de tenir deux discours totalement incohérents en prenant bien garde qu'ils ne soient jamais rapprochés l'un de l'autre, en dépit des demandes des organisations de retraités, de famille, et de professionnels.
 
2- La limitation des financements avant la qualité
Au niveau local ce même double discours existe entre d'une part les ambitions très généreuses affichées par les financeurs et les obligations données aux responsables d'établissements et services à domicile.
 
Dans le secret de la rencontre avec les directeurs, beaucoup des responsables des Pouvoirs Publics font pression sur ceux-ci pour leur rappeler que le seul objectif véritable qui leur est assigné est de tenir les orientations budgétaires.
 
Ainsi une responsable d'un Département a indiqué à un adhérent de l’AD-PA « vos affaires de qualité vous les gardez pour vos colloques, ici on parle de choses sérieuses, c'est-à-dire de financement ».
 
Plus globalement, les pseudos conventions ou CPOM  que les structures sont obligées de signer avec l’Etat détaillent des objectifs imposés aux professionnels et prennent bien soin d’indiquer qu’elles ne sauraient engager les financements par les Pouvoirs Publics.
 
D’ailleurs récemment la signature des conventions a été rendue obligatoire sous peine de diminution de moyens pour réduire toute marge de négociation des structures ; Seul problème : c’est aujourd’hui l’Etat qui (indépendamment de la crise Covid) n’est pas en mesure d’honorer les signatures prévues par manque de financement.
 
3-… et même la baisse des financements
Certains Départements annoncent dans de belles plaquettes leurs actions pour les personnes âgées mais imposent aux établissements et aux services à domicile ce qu'ils appellent une augmentation des budgets de 0% ; quand un budget est inchangé depuis une dizaine d'années, compte tenu de l'augmentation des prix et des salaires, la seule façon pour un directeur de parvenir à l'équilibre est de diminuer le nombre de professionnels ; mais comme le disait un ancien Président de Conseil Général, « on n’a jamais vu une élection départementale être perdue à cause des prestations pour les vieux ».
 
Pire que cela à deux reprises, alors que le ratio de 8 professionnels pour 10 personnes âgées pourvu prévu pour 2012 n'était pas rempli, l'État a organisé la diminution des moyens de certains établissements pour personnes âgées : c'est le système pudiquement appelé convergence tarifaire qui a diminué les moyens de certains établissements publics et associatifs pour les donner pour l'essentiel... à des structures commerciales.
 
L’AD-PA demande à ce que l’Etat communique sur les sommes gagnées par le groupe Orpea grâce à ces différentes opérations.
 
4- La liberté après la sécurité
Plus récemment, le Ministère prétend s'opposer aux restrictions mises en place aux visites des familles en établissement mais oublie d'indiquer que dans un protocole d'août 2021, il a demandé que tout établissement ayant 3 personnes âgées positives (même asymptomatiques) soit contraint à interdire les visites. L’AD-PA a demandé sans cesse la suspension de cette disposition ...en vain.
 
5- Quand les hausses de salaires détériorent les conditions de travail
A juste titre l'Etat vient d'augmenter les salaires de la plupart des professionnels en établissement et au domicile. Il faudra bien entendu que cette mesure soit étendue à toute la profession.

Mais à ce jour les augmentations budgétaires accordées par les autorités de tarification ne sont pas à la hauteur des augmentations de salaires. Le dilemme pour un directeur est donc le suivant : soit ne pas appliquer les augmentations soit diminuer le nombre de professionnels pour contenir le budget, ce qui va inévitablement détériorer les conditions de travail de chacun ...
 
6- à domicile
Certains responsables de l'État ou des départements assument de ne pas donner les moyens aux établissements parce que disent-ils, ils préfèrent soutenir l'aide à domicile.
 
A nouveau cynisme et double discours : le secteur de l'aide à domicile est celui où les professionnels sont les moins bien traités avec des salaires jusqu'à il y a peu inférieurs au SMIC.
 
Fin 2021 à la suite de la crise Covid, l’Etat a enfin agréé un avenant salarial permettant d’augmenter les salariés du secteur associatif ce à quoi il se refusait depuis de nombreuses années. Encore faudrait-il étendre ces augmentations aux 35% de de professionnels des services commerciaux.
 
En 2020 au début de la crise covid les masques qui étaient prévus initialement pour le secteur sanitaire ; les professionnels les ont demandés pour les établissements et les services à domicile ; ils ont été distribués rapidement dans les établissements mais la plupart des services à domicile ont dû attendre 3 semaines à 1 mois.
 
De même l’Etat vient de fixer un tarif minimum à domicile de 22 € (bien loin des 30 € nécessaires). Certains Départements appliquent ce tarif mais diminuent les plans d’aide donc le temps passé auprès des aînés : la qualité sera à nouveau la variable d’ajustement.
 
IV. Le mépris des professionnels et des directeurs
1- Tous les professionnels sont concernés
De nombreux rapports officiels montrent que le secteur de l'aide aux personnes âgées (établissements et services à domicile) est le plus générateur d'accidents du travail, de maladies professionnelles (3 fois plus que la moyenne) du fait du manque de professionnels.
 
La Loi Grand Age est une fois de plus repoussée et des mesures purement cosmétiques demandant aux directeurs de régler les problèmes sont mises en place quand l'émission de télévision les infiltrés avait recruté une journaliste se présentant comme stagiaire dans un établissement où l'on a vu que par manque, on lui a demandé de faire les toilettes de certaines personnes âgées, la Ministre de l'époque a cru bon non pas de se pencher sur la question, mais d'engager des poursuites contre l'établissement poursuites qui ont évidemment été abandonnées car le problème est systémique et en rien du à l'établissement.
 
De la même façon un certain nombre de Départements, pour baisser le coût des services à domicile, demandent avec l'aide de l'État que les employeurs diminuent le nombre de professionnels qualifiés. Certains encore plus cyniques proposent de garder le nombre de professionnels qualifiés à condition qu'on les paye comme des personnels non qualifiés.
 
Le comble de l'horreur a sans doute été franchie par se Conseiller Général qui disait il y a quelques années que « pour s'occuper des personnes âgées une bonne fille de ferme suffira bien à leur laver le derrière ».
 
2- Les directeurs aussi
S'agissant des directeurs, au-delà de la pratique habituelle du double discours présenté ci-dessus, ils sont souvent considérés par les Pouvoirs Publics comme de simples courroies de transmission de leurs décisions budgétaires insuffisantes.
 
Ainsi, on rappelle à nombre de directeurs, et tout particulièrement à ceux de la Fonction Publique, qu'ils sont tenus à une obligation de réserve et doivent défendre les restrictions budgétaires.
 
De plus, une pratique courante consiste, quand un directeur a demandé des crédits à hauteur de 10 et qu'on lui donne 7, de lui commander de refaire sa demande à 7 pour que le financeur puisse indiquer qu’il a satisfait les besoins.
 
Régulièrement, les Pouvoirs Publics demandent aux directeurs de mieux s'organiser et laissent entendre que si les résultats ne sont pas à la hauteur, c'est parce qu'ils ne savent pas manager.
 
Ainsi, on suggère aux directeurs de mettre en place des groupes de bonnes pratiques pour mieux écouter les professionnels. Mais le temps manque précisément pour organiser ce type de réunion et les mesures restent sans suite.
 
Récemment, un responsable d'un Département a demandé à une équipe d'appliquer un nouveau modèle venant des Pays-Bas basé sur la participation des salariés. Quand le directeur a évoqué le fait qu'il n'y avait pas de temps pour faire les réunions, le représentant du Département lui a dit que c'était à lui de mieux s'organiser.
 
L’AD-PA est frappée de l'augmentation du nombre de directeurs en congés maladie dus aux pressions imposées et aux conditions de travail ; cela va même jusqu'au burn-out ; depuis quelques années un grand nombre de directeurs partent en retraite en se déclarant soulagés et refusent de faire quelques années supplémentaires comme ils l'avaient envisagé auparavant.
 
L’AD-PA facilite le recours au coaching pour les directeurs et certains évoquent même des comportements des autorités de tarification qui relèvent très clairement de harcèlement moral. Mais si un directeur veut retrouver un emploi ailleurs surtout dans la Fonction Publique il lui est impossible de dénoncer ces comportements dysfonctionnels.

Publié le 03/02/2022 à 04:35 | Lu 7396 fois