Isolement des seniors : mieux vaut être « malade » que « seul »

Aujourd’hui pour une personne âgée mieux vaut dire, je suis malade que je suis seul, déclare Dominique Argoud, sociologue et président du comité personnes âgées de la Fondation de France qui estime, qu’en l’absence d’une politique préventive, adopter un rôle de « malade » ou de « personne dépendante » s’avère une stratégie souvent inconsciente, mais beaucoup plus « payante » pour que l’on s’occupe de soi.


Un Français sur cinq a aujourd’hui 60 ans ou plus ce qui représente 13,1 millions de personnes*. Parmi elles, 5,1 millions ont plus de 75 ans*. Or, le vieillissement isole. L’âge charnière se situe entre 75 et 84 ans, étape où la perte du conjoint, les douleurs physiques plus présentes et une perte d’autonomie, renforcent le sentiment de solitude.

A travers son action en faveur des « Personnes âgées », la Fondation de France souhaite faire de la lutte contre l’isolement l’une de ses priorités et a soutenu près de 300 initiatives. Portés par des associations, des centres sociaux, des collectivités locales ou des établissements, ces projets de proximité visent à répondre, tout au long de l’année, à trois critères essentiels : renouer des liens de voisinage, favoriser l’autonomie et valoriser les personnes.

La mobilité, le lien social et l’habitat : trois problématiques, 300 projets soutenus en six ans

• 13 % des initiatives soutenues favorisent la mobilité
Dominique Balanche, responsable du projet original Cyclopousse à Villeurbanne (69) estime que la participation de la personne âgée commence en lui demandant ce qu’elle souhaite. Depuis mai 2007, les résidents de trois maisons de retraite (Jean Jaurès, Château Gaillard et Gustave Prost) utilisent le Cyclopousse dans les rues de la ville. Ce tricycle, inspiré du modèle asiatique, est adapté aux petits déplacements (courses, balades dans la ville, etc.). Piloté par un salarié d’une entreprise d'insertion, il est disponible toute l’année du mardi au vendredi.

Plus qu’un travail, un engagement auprès des anciens du village. C’est ainsi que Norbert, 30 ans, résume son métier. Depuis sept ans, le village d’Orpierre (05), dans les Hautes-Alpes, près de Gap et de Sisteron, a mis en place une initiative originale : un service de transports pour les personnes âgées. Plus qu’un transport, le service est devenu un véritable accompagnement, pour remédier à l'isolement géographique des habitants les plus âgés.

Norbert, originaire du village s'occupe ainsi d'une cinquantaine de personnes, originaires d’une dizaine de communes à la ronde grâce à son poste d'employé communal-accompagnateur. Courses, médecin, coiffeur ou visite à des amis. Pour 15 euros par trimestre, quel que soit le nombre de trajets, il suffit d'avoir 70 ans pour bénéficier de ce service disponible 5j/7 toute l’année.

• Renouer les liens sociaux concerne 48 % des projets soutenus
En passant chez les personnes âgées, nous nous sommes aperçus qu’au-delà d’un service de soin, elles ont davantage besoin d’un lien plutôt d’ordre psychologique, explique Tania Jean, responsable de l’association Bien chez soi dans les Hautes-Alpes (05). Pour rompre l’isolement et prévenir la perte d’autonomie des personnes âgées fragilisées des villages isolés d’Orcières, de Saint-Bonnet et de Saint-Firmin, l’association organise pendant l’été des ateliers itinérants. Entre les cours de cuisine et de gymnastique, les exercices de mémoire, les projections de films, le théâtre et les chants, « chacun fait en fonction de ses capacités » et « un vrai lien social s’est développé ».

• Le logement regroupe 19 % des projets soutenus
Vieillir c’est continuer à vivre et vivre, c’est vivre avec les autres. C’est le principe de l’association Le PariSolidaire. Depuis 2004, l’association met en relation à Paris des hébergeurs, personnes âgées ou très âgées, avec des plus jeunes, étudiants ou jeunes salariés. Dans une logique d’échange, une personne âgée ouvre sa demeure à une présence. Cette formule qui rencontre un vrai succès, répond à une demande croissante de personnes recherchant des logements. Les hébergeurs y trouvent une compagnie active et à demeure, toute l’année, y compris l’été. .../...
Isolement des seniors : mieux vaut être « malade » que « seul »

Trois questions à Dominique Argoud

Dominique Argoud, président du Comité Personnes âgées de la Fondation de France depuis 2002, est sociologue. Il enseigne à l’université Paris XII autour de la thématique des politiques éducatives et sociales.

Pourquoi, pour une personne âgée aujourd'hui en France, mieux vaut-il dire « je suis malade » que « je suis seule » ?
D.A : Depuis la canicule de l’été 2003, l’isolement des personnes âgées constitue une réalité sociale dont on se préoccupe. Mais s’il y a une réelle prise de conscience depuis ces dernières années, cela ne signifie pas que la société soit prête à apporter des réponses à la hauteur des besoins. Car cela supposerait la mise en place d’une véritable politique préventive dépassant les simples campagnes actuelles de sensibilisation. Or, en l’absence d’une telle politique, adopter à titre individuel un rôle de « malade » ou de « personne dépendante » s’avère une stratégie souvent inconsciente, mais beaucoup plus « payante » pour que l’on s’occupe de soi.

En effet, compte tenu de l’orientation curative de nos politiques sanitaires et sociales, des réponses existent pour s’occuper d’une personne malade ou dépendante, grâce à tout un réseau de professionnels, d’équipements et de services. Mais en privilégiant un tel mode de réponse, on élude la question de l’isolement, en la traitant sous un angle médico-social. La société fait ainsi abstraction de la question du lien social qui est pourtant au cœur de la problématique de l’isolement.

Quelles sont les causes de l'isolement des personnes âgées en France aujourd'hui ?
D.A : Ce n’est pas une question simple car les causes sont multiples : elles dépendent de trajectoires de vie qui sont toutes singulières. On n’est pas isolé, on le devient selon des processus assez divers. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les pouvoirs publics ont tant de difficultés à concevoir une réponse appropriée. Il est difficile d’imaginer une réponse unique étant donné la diversité des situations.

Mais quand on s’intéresse aux causes de l’isolement des personnes âgées, il convient de rappeler préalablement que l’isolement n’est pas un phénomène spécifique aux personnes âgées. Néanmoins, il est vrai que ces dernières sont particulièrement concernées comme en témoigne l’INSEE à travers ses enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages qui indiquent une corrélation entre l’isolement et l’âge, le handicap ou le milieu socio-économique des personnes. Ces indications sont importantes car elles viennent réfuter une idée assez solidement ancrée dans le grand public selon laquelle l’isolement serait la résultante d’un abandon des personnes âgées par leur famille. C’est une idée très largement invalidée par les faits.

Que fait la Fondation de France pour y remédier ?
D.A : Après avoir contribué à mieux appréhender cette problématique de l’isolement des personnes âgées à travers une étude qui a été menée en 2002-2003 par quatre équipes universitaires, la Fondation de France soutient des projets de lutte contre l’isolement dans le cadre de son axe de programme intitulé « Vieillir dans son quartier, dans son village : des aménagements à inventer ensemble ». Depuis 2002, près de 300 projets ont ainsi été soutenus. Ils sont naturellement très divers : il y a des projets visant à structurer des réseaux de veille de proximité, des projets visant à créer des lieux de sociabilité, des projets de « remédiation » pour tenter de renouer un contact avec des personnes parfois isolées depuis de longues années… Bref, la prise en compte de la problématique de l’isolement des personnes âgées ouvre un vaste espace où il est encore possible de proposer des actions innovantes.

*Selon L’INSEE, bilan démographique, chiffres du 1er janvier 2007

Publié le 16/07/2008 à 09:11 | Lu 8910 fois