France Alzheimer : pour une réforme adaptée aux besoins des familles (partie 7)

L’association France Alzheimer vient de publier un manifeste intitulé « Mobilisation pour une réforme adaptée aux besoins concrets des familles ». Interviews, regards croisés, témoignages, et bien sûr, contributions de France Alzheimer…


Interview d’expert : entretien avec Patrick Gohet, inspecteur général des affaires sociales

La loi du 11 février 2005 prévoyait la suppression de la barrière d’âge dans un délai de cinq ans. Pourquoi cette mesure n’est-elle pas effective ?
Cette revendication, très ancienne, concerne les personnes qui avancent en âge et les personnes handicapées. Leur parole est portée de manière très différente : plutôt par des directeurs d’établissement pour les premières ; davantage par des personnes concernées ou leurs familles pour les secondes. Ces différences d’expression ont pu constituer un frein.
 
Au milieu des années 1990, j’ai assisté en qualité de directeur général de l’Unapei à une rencontre entre les représentants de ces deux champs. Les personnes âgées ont mis en avant l’inégalité flagrante que constituait la barrière d’âge : la Prestation de Compensation du Handicap est par exemple beaucoup plus intéressante que l’Allocation Personnalisée d’Autonomie. Les personnes handicapées ont répondu que si elles n’étaient évidemment pas hostiles au rapprochement des deux secteurs, il fallait que cela passe par un alignement sur le régime le plus favorable.
 
Ce rapprochement figurait dans le programme de Jacques Chirac pour l’élection présidentielle de 2002. Après la canicule d’août 2003, nous avons failli passer à l’acte. La création de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie aurait pu amorcer la création d’un “cinquième risque manque et perte d’autonomie”. Mais les responsables politiques ont alors mesuré la difficulté financière à mettre en place un tel système et un débat s’est engagé sur ce qui devait relever de la solidarité collective et ce qui pouvait relever de la prévoyance individuelle…
 
Croyez-vous à la mise en oeuvre prochaine de cette convergence ?
Je fais preuve d’un réalisme optimiste. Il ne faut pas négliger l’approche systémique. Comme je l’ai écrit dans notre rapport 7 : les politiques publiques passent progressivement d’une approche catégorielle –personnes handicapées ou âgées- à une approche thématique -l’autonomie par exemple. D’ailleurs, la société inclusive que les personnes handicapées appellent de leurs voeux est difficilement compatible avec des revendications catégorielles. Les départements ayant en charge le handicap et l’avancée en âge peuvent encourager un rapprochement des aides. Il faudra ensuite se montrer vigilant sur la participation des personnes à toutes les décisions les concernant. Les maisons de l’autonomie pourraient succéder aux maisons départementales des personnes handicapées à la condition de ne pas se transformer en de simples guichets.
 
La France a-t-elle les moyens d’harmoniser les prestations des deux champs “vers le haut” ?
La dette et l’austérité ne doivent pas être marquées du sceau de l’éternité ! Nous devrions parvenir à affecter un revenu collectif à une harmonisation entre les deux champs. Les parties prenantes continuent de se retrouver sur les constats et les conclusions du rapport annuel de la CNSA de 2007 préconisant la mise en place d’un droit à compensation du handicap quel que soit l’âge. J’ai insisté dans mon rapport sur l’éthique et la déontologie. N’oublions pas les textes fondamentaux auxquels la France a adhéré, comme la Convention internationale des droits des personnes handicapées de l’ONU qui proscrit toute discrimination en fonction de l’âge.

Contribution 6 : supprimer l’inégalité territoriale des Français devant l’APA

France Alzheimer appelle à une révision et une harmonisation du système d’évaluation des besoins et de la grille AGGIR, afin de rétablir l’équité entre tous les bénéficiaires de l’APA, sur l’ensemble du territoire national.
 
Dans quel contexte ? Le montant de l’Allocation Personnalisée pour l’Autonomie est défini dans des conditions identiques sur l’ensemble du territoire national en lien avec le degré d’autonomie (GIR 1 à 4). Les conditions d’accès et les montants maximums sont fixés par voie réglementaire. Toutefois, la gestion de cette prestation est décentralisée à l’échelon départemental et ce sont donc les Conseils généraux qui versent l’APA aux bénéficiaires.
 
Cette gestion décentralisée entraîne de fait une inégalité des Français devant l’APA, et ce pour plusieurs raisons :
- Les Conseils généraux, principaux financeurs de l’APA, sont confrontés, dans un contexte de forte restriction de leurs ressources, à des situations très hétérogènes, en raison notamment de la structure de leur population. Cette hétérogénéité a de lourdes conséquences sur l’attribution de l’APA. Par exemple, plus les demandeurs d’aides sont nombreux, moins le Département peut leur allouer individuellement de ressources supplémentaires pour faire face à leur dépendance.
- Par ailleurs, si les montants de l’APA pour chaque GIR sont décidés au niveau national, il n’en est pas de même pour les critères d’évaluation de la situation des demandeurs, évaluation décisive pour l’attribution d’un GIR. Cette “classification” est en effet laissée à l’interprétation des équipes médico-sociales du Département.
 
Ainsi, des disparités de traitement sont régulièrement observées d’un département à l’autre. Il arrive qu’après un déménagement, des personnes se voient attribuées un GIR différent de celui dont elles relevaient dans leur lieu de résidence précédent, et donc d’un montant d’APA différent, à situations pourtant égales.

Témoignage : GIR 2 dans le Val d’Oise, classée en GIR 3 en Seine-Saint-Denis

M. et Mme K. au moment de la retraite se sont retirés dans un petit village du Val d’Oise. Mme est atteinte d’une maladie d’Alzheimer diagnostiquée en 2009 et bénéficie d’une APA (GIR 2). Le plan d’aide se répartit de la façon suivante : accueil de jour une fois par semaine et deux fois 3 heures d’auxiliaire de vie pour les tâches ménagères. C’est une de ses filles, domiciliée dans le département voisin la Seine-Saint-Denis qui fait office d’auxiliaire de vie et fait le déplacement deux fois par semaine. Elle est bien entendu, comme l’exige le Conseil général, dûment déclarée.
 
Se sentant de plus en plus isolé, la maladie s’aggravant, et le mari commençant à se sentir dépassé, le couple, sous la pression de trois de ses enfants (dont la fille auxiliaire de vie) qui vivent dans la même commune de Seine-Saint-Denis, décide de venir vivre auprès d’eux. La date d’échéance de l’APA et le déménagement approchant, Mme K. dépose sa demande auprès du Conseil général de Seine-Saint-Denis. Après le passage de l’équipe APA, le plan d’aide classe Mme K. en GIR 3, avec diminution du nombre d’heures à domicile.
 
De plus, les services de l’APA ont expliqué au passage que si Mme K. était en GIR 2, elle serait obligée de faire appel à des aides professionnelles (cette règle est imposée en Seine-Saint-Denis pour les GIR 1 et 2) et ne pourrait donc plus faire appel à sa fille. Le dossier est actuellement en appel auprès des services administratifs du Conseil général.
 
Source : Association France Alzheimer et maladies apparentées

Publié le 03/03/2014 à 03:00 | Lu 525 fois