France Alzheimer : pour une réforme adaptée aux besoins des familles (partie 5)

L’association France Alzheimer vient de publier un manifeste intitulé « Mobilisation pour une réforme adaptée aux besoins concrets des familles ». Interviews, regards croisés, témoignages, et bien sûr, contributions de France Alzheimer…


Interview d’expert

Entretien avec Thomas Rapp, économiste de la santé au LIRAES (EA4470), Université Paris Descartes
 
Quel regard l’économiste que vous êtes porte-t-il sur les choix politiques liés à la dépendance ?

Le contexte est marqué par une absence de grande réforme sociétale. Pour l’instant le choix politique a été d’apporter des aides financières aux personnes dépendantes, comme l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA). L’APA est aujourd’hui très critiquée pour une raison bugétaire : selon l’Insee, 5,3 milliards d’euros ont été distribués en 2012. Et cette mesure pourrait représenter 0,6 point de Produit Intérieur Brut (PIB) en 2040. Mais si l’APA a un coût social important, on sait aujourd’hui que cette mesure est efficace. Plusieurs études montrent qu’elle est associée à un accroissement de la demande totale de soins non médicaux. On sait également que l’APA finance des besoins qui n’étaient pas couverts et qu’elle complète l’aide préexistante, en favorisant le recours à de l’aide professionnelle. En revanche certaines questions restent ouvertes. Son coût social est-il compensé par des gains de bien-être ? Cette allocation permet-elle de favoriser le maintien des personnes dépendantes à leur domicile ? Ces questions doivent être abordées dans le cadre des débats sur la réforme de la dépendance.
 
Quelle est la problématique centrale de cette réforme ?

Elle renvoie à un choix de société : faut-il aider les patients à choisir leur prise en charge -l’APA peut les y aider sur le plan financier- ou au contraire faut-il les contraindre en limitant leur choix ? Une piste pourrait être de généraliser en France le recours à la gestion de cas, comme cela avait été prévu par la mesure 5 du plan Alzheimer 2008-2012. Notre pays aurait tout intérêt à créer des emplois de gestionnaires de cas dont le rôle consisterait à aider les familles à prendre des décisions et à leur ouvrir le plus d’options possible.
 
Pourquoi placer les aidants au coeur de la réforme ?

Les aidants proches doivent être la clé de voûte de toute réforme de la dépendance. Ils financent les besoins et organisent la prise en charge. Il faut les soutenir avec des aides économiques mais aussi en mettant à leur disposition des référents pour les orienter dans le système de soins. Nous savons que les séjours hospitaliers sont particulièrement éprouvants pour les personnes dépendantes et leur entourage. Le temps à l’hôpital doit donc être strictement limité à ce qui est nécessaire. La généralisation du recours à des gestionnaires de cas a été développée avec succès dans d’autres pays : aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, au Québec, en Italie et encore au Japon, qui est le champion du “case management”. Dans ces pays, cette mesure a souvent permis de réduire les taux d’hospitalisation et d’accroître l’efficiente des parcours de soins des personnes malades. La réforme de la dépendance engage une réflexion au plan micro-économique. La gestion de cas permet précisément de faire du sur-mesure.

Contribution 4 : diminuer le reste à charge en établissement

Dans quel contexte ? Les sommes restant à la charge des personnes en situation de perte d’autonomie résidant en établissement dépassent bien souvent les capacités financières de leurs familles. Il suffit de comparer le reste à charge moyen en établissement, qui s’élève à 2 300 € par mois5, au montant mensuel moyen des retraites, qui est de l’ordre de 1 200 € 6, pour mesurer, a minima, la difficulté des situations vécues par la plupart des familles. Cette réalité tient en grande partie à une mauvaise répartition des charges entre sections tarifaires.
 
Dans les EHPAD, seules les dépenses relevant du “tarif soin” sont financées par l’Assurance maladie. En conséquence, le résident prend en charge l’ensemble des dépenses afférentes au tarif journalier relatif à l’hébergement d’une part, et au tarif journalier relatif à la dépendance d’autre part. Ce dernier inclut 100% du salaire des psychologues et 30% du salaire des aides-soignantes et des aides médico-psychologiques.
 
Or, cette répartition des charges est une spécificité du secteur des EHPAD. En effet, dans le secteur hospitalier, ces charges sont financées à 100% par l’Assurance maladie et nullement laissées à la charge des patients.
 
France Alzheimer appelle à une diminution du reste à charge en établissement par le transfert de certaines charges du tarif “dépendance” vers le tarif “soin” des EHPAD financé par l’Assurance maladie. En pratique, France Alzheimer demande que soit opéré le transfert des charges de psychologues (100%) et des charges d’aides-soignantes et des aides médico-psychologiques (30%) afin que celles-ci puissent, comme dans le secteur sanitaire, faire l’objet d’un remboursement.

Témoignage : vendre sa maison pour financer sa place en établissement pendant 8 ans

Mme L. réside dans le département de la Drôme. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle a dû être placée en établissement. Le coût total à sa charge a atteint 32 700 € annuels en 2010, alors qu’elle bénéficie d’un revenu, APA comprise, de 18 000 € par an. Il manque donc à Mme L. 14 700 € par an pour faire face à sa perte d’autonomie.
 
Face à cette situation, ses proches ont pris la décision de vendre sa maison, seul patrimoine de la personne dépendante. Tous frais et taxes déduits, cette vente leur a rapporté environ 125 000 €, ce qui permet, au coût actuel de l’établissement, de financer 8 années et demie de dépendance. En l’état actuel de la législation, la famille L., si la situation se prolonge, verra la totalité du patrimoine disparaitre dans le financement de sa résidence en établissement.
 
Source : Association France Alzheimer et maladies apparentées

Publié le 27/02/2014 à 02:03 | Lu 447 fois