France Alzheimer : pour une réforme adaptée aux besoins des familles (partie 4)

L’association France Alzheimer vient de publier un manifeste intitulé « Mobilisation pour une réforme adaptée aux besoins concrets des familles ». Interviews, regards croisés, témoignages, et bien sûr, contributions de France Alzheimer…


Interview d’expert

Entretien avec Didier Tabuteau, pesponsable de la Chaire Santé de Sciences-Po (Paris)

Si l’on fait reposer la compensation de la perte d’autonomie sur la solidarité nationale, faut-il privilégier un cinquième risque ou une cinquième branche ?

La question ne me paraît plus se poser en ces termes. Il faut sortir des approches institutionnelles et repenser la politique sociale dans son ensemble autour de quatre questions : Quel sera le champ du dispositif, autrement dit les secteurs du handicap et de la perte d’autonomie des personnes âgées doivent-ils converger ? Ensuite, le mécanisme de compensation doit-il être universel ou assuranciel ? Troisième question, qui finance ? Et enfin, comment financer ? Je défends le choix de la solidarité nationale, qui est le dispositif le plus légitime en termes de principe : la protection pour tous dès la naissance. C’est aussi le système le plus efficient. La mutualisation maximale pour des risques qui sont souvent très lourds est une nécessité économique.
 
Quelles peuvent être les sources de financement ?

Les prélèvements sociaux. La Contribution Additionnelle de Solidarité pour l’Autonomie (CASA), mise en place en avril 2013, est une première étape. Mais les besoins différeront selon le champ couvert. Si le principe de la solidarité nationale est retenu pour toutes les formes de handicap et de perte d’autonomie, il faudra repenser la gouvernance et les financements. Leur origine est aujourd’hui multiple : impôts locaux, impôts d’état, cotisations, contribution sociale généralisée… Cette réforme pourrait être l’occasion de repenser le système.
 
Pourquoi faut-il également reconsidérer la gouvernance ?
J’ai l’intime conviction que lorsque l’on se trouve dans une situation où l’enjeu en termes de politiques sociales s’accroît, avec le vieillissement de la population notamment, et où les contraintes macro-économiques sont durablement fortes, il est impossible de faire du rapiéçage. Nous devons impérativement rechercher le système le plus efficient car nous ne pouvons plus nous permettre de gaspiller des “euros sociaux”. La gouvernance triple – état, Assurance maladie, Conseils généraux – est-elle la plus efficace pour des politiques de ce type ? Je n’en suis pas convaincu. Le système s’est construit par sédimentation successive. Il doit être aujourd’hui simplifié. Une première piste pourrait être l’unification du pilotage état/Assurance maladie. Nous devrions avoir au plus deux autorités : les Conseils généraux d’une part, et l’état ou l’état et l’Assurance maladie unifiés, d’autre part. Mais il faut aussi ouvrir sans tabou la discussion sur les compétences des Conseils généraux.
 
Ils présentent l’avantage d’être en proximité immédiate avec la population. Cela dit, je ne suis pas convaincu que la gestion de la planification médico-sociale entre les agences régionales de santé (ARS) et les Conseils généraux ou, comme je l’ai souligné, la gestion de prestations partagées entre l’état, l’Assurance maladie et les Conseils généraux, soit la formule la plus efficace. Je ne me prononcerai pas sur une solution à ce stade mais l’ouverture d’une concertation est nécessaire. N’oublions pas que le système médico-social est extrêmement complexe, peut-être plus que celui de la santé, alors que les acteurs y ont moins de moyens.

Contribution 2 : Refuser l’instauration d’un recours sur succession

Dans quel contexte ? L’instauration d’un recours sur succession introduirait la possibilité pour l’Etat de récupérer sur la succession d’une personne ayant bénéficié, de son vivant, de l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie (APA), les sommes qui lui ont été versées à ce titre. Il est fort à parier que cette possibilité de recours sur succession risque de dissuader bon nombre de bénéficiaires potentiels de l’APA d’en faire la demande.
 
S’il est difficile à quantifier aujourd’hui pour l’APA, cet “effet d’évincement”, s’est vérifié ces dernières années dans le cadre d’autres prestations sociales soumises au recours sur succession. Tel est le cas de l’Aide Sociale à l’Hébergement (ASH), dont le nombre d’allocataires n’a quasiment pas augmenté au cours de la dernière décennie. Dans la même logique, le nombre de bénéficiaires de l’APA a connu une croissance exponentielle depuis 2002, date à laquelle l’APA s’est substituée à la Prestation Spécifique Dépendance (PSD), alors même que ces deux aides étaient destinées aux mêmes publics. On peut donc aujourd’hui en conclure que de nombreuses personnes renonçaient à demander le bénéfice de la PSD en raison du recouvrement sur succession dont celle-ci faisait l’objet.
 
France Alzheimer appelle au refus ferme et définitif de l’instauration d’un recours sur succession dans le cadre de l’APA. L’application d’une telle disposition constituerait une double peine injustifiée pour les familles qui assument déjà, tant humainement que financièrement, la perte d’autonomie de leurs proches.

Témoignage : l’APA pendant 10 ans : 40 000 € à rembourser par nos enfants !”

M. R., 82 ans, accompagne son épouse, âgée de 80 ans, dont la maladie d’Alzheimer a été diagnostiquée en 2006. Aujourd’hui, Mme R. bénéficie de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie sur la base d’une reconnaissance en GIR 2. Le montant de l’APA versée mensuellement est de 330 €. L’intervention de plusieurs aides à domicile coûte au couple 800 € par mois. Mais la facture explose littéralement quand Mme R. effectue un séjour prolongé en établissement spécialisé (jusqu’ à 4 500 € par mois). Ces séjours permettent à la fois de mieux prendre en soin médicalement Mme R. mais aussi d’offrir une plage de répit à M. R afin de lui permettre de se reposer, lui qui avoue “être très fatigué.”
 
Malgré tout, le couple bénéficiaire de l’APA se dit aujourd’hui prêt à renoncer à cette allocation et voir son reste à charge sensiblement augmenter si les montants versés à ce titre étaient récupérables par l’état sur la succession du couple. Pas question pour M. R. d’infliger une triple peine à la famille : celui de la maladie de son épouse, celui du coût de la prise en charge et en soin de la maladie ; celui du coût de l’aide apportée aux familles ! M. R. envisagerait même, faute de ne plus bénéficier d’aides publiques, d’avoir recours au travail dissimulé et donc moins coûteux.
 
Le couple a fait un rapide calcul : les montants correspondant à l’APA touchée pendant environ 10 ans s’élèvent à quelque 40 000 €. Une somme que devraient rembourser les enfants du couple sur l’héritage des parents si le recours sur succession était adopté. Inimaginable pour M. et Mme R. !
 
Source : Association France Alzheimer et maladies apparentées.

Publié le 25/02/2014 à 05:00 | Lu 582 fois