En Rhône-Alpes, l’ANPE se mobilise pour l’emploi senior

Face à la situation catastrophique de l’emploi senior en France, l’ANPE Rhône-Alpes a commandé une grande étude sur les perceptions et pratiques du travail des quinquas et plus dans 100 grandes entreprises de la région… Dans ce contexte, grâce à la création d'un « réseau senior » au sein de chaque agence, l'ANPE espère établir le lien entre ses 21.100 demandeurs (13,5% du total) et les recruteurs, chez qui les préjugés ont la vie dure.


Ainsi, selon cette grande enquête régionale, « les a priori habituels sur les seniors perdurent dans les perceptions des entreprise sondées qui continuent à penser, malgré les différentes campagnes de communication, que l’âge rime avec difficulté d’adaptation, avec démotivation ou encore immobilisme ». De fait, plus de la moitié (54%) des répondants estime qu’il est plus difficile pour les seniors (par rapport aux autres tranches d’âge) d’être motivé au travail et respectivement 52%, d’être source de solutions innovantes.

Par ailleurs, toujours selon cette étude, « le coût élevé des salaires reste le frein à l’embauche des seniors le plus souvent cité (30%). Bien qu’il ait été démontré que le rapport productivité salaire ne diminue pas avec l’âge (que ce soit dans l’industrie, le commerce ou les services), le coût des salaires ne semble pas, aux yeux des entreprises interrogées, être compensé par la valeur ajoutée de l’expérience ».

En ce qui concerne la motivation, elle est également souvent perçue comme faible parmi les seniors qui, selon les entreprises, semblent souvent vouloir travailler pour répondre à une nécessité alimentaire plus que par envie de s’investir et de se mobiliser dans un projet.

Questionnés sur la valeur ajoutée des seniors, les répondants ont majoritairement souligné leur expertise (46%) mais aussi leur maturité (16%) qui a été exprimée sous différentes formes (sagesse, respect des personnes et du travail, capacité à prendre du recul, crédibilité etc.). Parmi les 80% du panel d’entreprises qui déclarent avoir déjà recruté au moins une personne de plus de 50 ans, 62% attribuent ce choix à la recherche de compétences spécifiques et 23% à la recherche d’aptitudes liées à l’âge telles que la maturité, l’expérience et l’expertise.

Cette enquête souligne également qu’une « grande majorité des entreprises (62%) connaissent des difficultés à l’heure de recruter des profils qu’elles jugent trop rares sur le marché du travail ». A la question « l’entreprise prévoit-elle une pénurie de main d’œuvre pour le futur ? », 47% du panel a répondu oui, en « dévoilant » ainsi ses craintes sur l’évolution de la main d’œuvre régionale dans les années à venir.

« Des initiatives émergent un peu partout en France pour faire en sorte que les seniors ne soient plus exclus d’un marché du travail qui a pourtant besoin d’eux » remarquent de leur côté Patrick Lescure, directeur régional de l’ANPE Rhône-Alpes et Odile Moinecourt, directeur de Ceforalp. Et de préciser : « ces initiatives, si bonnes soient elles, restent souvent au stade de l’expérience pilote, ne bénéficiant dans les faits qu’à un nombre de personnes très limité. C’est uniquement par les entreprises, par leurs pratiques et par leurs comportements que l’emploi des seniors pourra véritablement devenir un moteur de la croissance économique ». .../...

Grâce aux réponses recueillies à travers un questionnaire complété par 100 acteurs de l’économie de Rhône-Alpes, des pratiques innovantes et des pistes d’action ont pu être identifiées. Et voici donc les principales conclusions et pistes d’action…

Tout d’abord, des entreprises ont souligné que le simple fait de parler des « seniors » est déjà une forme de discrimination ou de marginalisation. A l’heure où de nombreux efforts sont portés sur la lutte contre les différentes formes de ségrégation (sexe, handicap, âge etc.), plusieurs sociétés ont ainsi émis le souhait que la législation, les pouvoirs publics et souvent même les recruteurs arrêtent de stigmatiser l’âge en créant de véritables « castes ». Les entreprises préfèrent aborder les personnes sous l’angle de leurs compétences que celui de leur âge et aimeraient voir disparaître cette ségrégation « cultivée », notamment à travers des campagnes de communication qui marginalisent les seniors.

« Cette position, bien qu’idéale dans un contexte où l’accès au marché du travail ne poserait pas de problèmes pour certaines catégories de la population, est difficile à adopter puisque l’éviction des seniors du monde professionnel est une réalité contre laquelle il est difficile de lutter sans la nommer… » remarquent les auteurs de cette étude. « Peut-être serait-il intéressant de travailler sur des actions de communication qui permettraient de trouver un équilibre en permettant de mettre en valeur les seniors du point de vue de leurs compétences spécifiques (acquis de l’expérience, expertise, maturité etc.) sans pour autant les marginaliser » ajoutent-ils.

Par ailleurs, le manque de motivation des salariés seniors reste la problématique la plus souvent exprimée par les entreprises sondées à travers cette enquête. Elles sont nombreuses à penser qu’avec l’âge, les personnes ne désirent plus s’investir dans une mission ou sur un poste et qu’elles ne s’y soumettent que sous une certaine forme de contrainte financière, afin de subvenir à leurs besoins.

Les entreprises pensent souvent que les seniors ne veulent pas ou plus travailler ce qui les pousse à ne pas les recruter ou encore à les faire quitter l’entreprise le plus tôt possible. Les salariés seniors estiment qu’ils ne sont pas valorisés au sein des entreprises qu’ils désirent quitter dès qu’ils en ont la possibilité (cotisations suffisantes, propositions de départs anticipés etc.).

En ce qui concerne l’âge de cessation d’activité professionnelle, plusieurs entreprises ont mis en évidence une réalité psychologique qu’il faut prendre en compte dans les messages ou actions adressées aux seniors. De nombreux seniors ont, dans leur entourage plus ou moins proche, l’exemple de personnes ayant quittées l’entreprise relativement tôt (départs en préretraite massifs dans les années 80) et « profitant » de nombreuses années disponibles pour se consacrer à leur épanouissement personnel. Ces carrières professionnelles « écourtées » ont souvent fait l’objet de projections de la part des seniors toujours en poste qui, consciemment ou non, désiraient et continuent à désirer partir au même âge que les autres…

« Ces croyances sont hélas ancrées dans les mentalités depuis plusieurs années et il faudrait certainement du temps et des générations pour qu’elles laissent place à une volonté de travailler plus longtemps, plus cohérente avec la réalité démographique actuelle (espérance de vie plus longue, vieillissement de la population, réduction du rapport actifs / inactifs etc.) » soulignent les auteurs de ce rapport. Et de préciser : « une solution pourrait résider dans les démarches de cessation d’activité progressives, qui permettent d’assurer une transition plus en douceur et de réaliser une sorte de compromis entre les aspirations de départ et les nécessités économiques ».

Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à réaliser les écarts entre les préjugés à l’encontre des seniors et la réalité de leurs aptitudes et compétences. Certaines dénoncent l’image injuste de personnes perçues comme « sur le chemin de l’inutilité à la société » ou pire encore, comme des « charges potentielles pour la société ». Cependant, et malgré ces discours dénonciateurs, les seniors sont toujours majoritairement perçus comme peu mobiles, flexibles ou adaptables à des environnements ou logiques de travail qui évoluent constamment. Le poids de l’usure physique et de la détérioration de la santé, bien que souvent intégré dans les débats liés à l’emploi des seniors, apparaît peu dans cette étude qui met plus en évidence l’usure dite mentale des seniors.

Les entreprises déclarent rencontrer de nombreuses difficultés de recrutement essentiellement liées à la rareté de certains profils spécialisés sur le marché du travail. Et pourtant, le retour ou le maintien dans l’emploi des seniors reste problématique… L’échec de ces rencontres de l’offre et de la demande est parfois expliqué par les entreprises par l’absence de profils seniors dans leurs campagnes de recrutement spontané. De plus, certaines entreprises imputent les difficultés d’emploi rencontrées par les seniors à un contexte national défavorable où la croissance ne permet pas de satisfaire toutes les demandes et par conséquent, lèse les populations situées aux extrémités (les plus jeunes et les plus âgés).

Les entreprises préconisent le développement de dispositifs pour faciliter le retour ou le maintien dans l’emploi des seniors (retraite progressive, contrats spécifiques, fonds d’aide etc.) alors que ces derniers existent pour la plupart et ne sont pas ou peu connu et donc utilisés sur le terrain. Plusieurs PME ont souligné la complexité et l’opacité des aides existantes en la matière, qu’elles ne savent pas ou n’osent pas solliciter.

Publié le 14/04/2008 à 12:11 | Lu 7872 fois