Démographie, famille et solidarité, chronique de Serge Guérin

La France reste une exception démographique en Europe, tant mieux ! L’Insee vient de publier ses dernières estimations sur le dynamisme de la démographie française. Il en ressort que le taux de fécondité des femmes se situe à 2,02, le record d’Europe. Mais, deux autres éléments retiennent l’attention : les parents sont toujours plus âgés, puisque l’âge moyen des mères à la naissance est de pratiquement 30 ans ; les naissances se réalisent de plus en plus hors mariage (52%).


Or, l’une des conséquences majeures de la prise de pouvoir de l’individu sur sa destinée et de l’évolution des normes sociales tient à la disparition d’un modèle unique de famille au profit du pluralisme familial.

Aujourd’hui, les formes concernent autant des démarches institutionnelles symbolisées par l’union matrimoniale de deux personnes de sexe opposé que le PACS (pacte civil de solidarité) dont le succès va croissant. Demain, il s’agira du mariage homosexuel.

La famille ne s’identifie plus seulement à une démarche civile et institutionnelle mais revient souvent à des choix individualisés et évolutifs, largement liés à l’enfant. Les structurations informelles de la famille vont de la vie de couple traditionnelle, mais non sanctionnée par le mariage, à des formes plus souples d’unions, voire des formes de cohabitation polymorphe.

Aujourd’hui, 40 % des enfants vivent dans des familles monoparentales ou recomposées.
Pour autant, cet « éclatement » de la forme familiale ne conduit pas à la disparition des solidarités familiales. Au contraire ! Elles sont plus choisies qu’hier… Au temps jadis, on parlait de la « fille sacrifiée » : dans chaque famille, un enfant (généralement une fille) était désigné, le plus souvent de façon non dite, par tous, pour prendre en charge dans le futur les parents, voire les beaux-parents.

De nos jours, les formes de l’appui des proches ont aussi évolué. On doit à Claudine Attias-Donfut de magnifiques travaux sur l’importance du soutien au sein des familles. L’aide familiale apparaît d’abord comme le fait des compagnes ou des filles. Certes, sous l’influence de la mutation de la famille et d’une autonomisation croissante des femmes et de leur rôle social traditionnel, les choses évoluent. Ainsi Simone Pennec montre pour sa part que la présence des fils est plus importante pour aider leur mère qu’auparavant.

La taille de la fratrie-sororie, l’existence d’un ou de deux parents, les modes de vie, communs ou séparés, la présence ou non d’autres ascendants comme la composition des descendances contribuent à nuancer les pratiques. Chacun recherche à « bricoler » entre les normes sociales, la régulation de ses tensions familiales et professionnelles et les valeurs individuelles et du groupe. Les rôles au sein de la famille sont de plus en plus polyvalents et évolutifs, y compris lorsqu’il s’agit de mobiliser les ressources de la solidarité.

Signalons d’ailleurs que les nouveaux seniors forment la première génération à devoir s’occuper de, et leurs parents et leurs enfants. C’est ce que l’on peut nommer la génération pivot, la génération solidaire.

De ce point de vue, on peut suivre François de Singly lorsqu’il insiste sur la tonalité différente des relations intergénérationnelles et qu’il relève, une « centration sur les relations encore plus accentuées ». Ces relations de parentèle incarnent un « nouvel esprit de famille » qui conjugue individualisme moral et transmission, épanouissement de soi et continuité familiale : il y a plus de liberté, d’autonomie, d’individualisme et pourtant les liens entre les générations sont plus forts, la proximité affective est plus grande.

On ne peut penser la société sans avoir à l’esprit ces faits. On ne peut penser la politique sociale sana avoir en tête ces mutations et cette permanence de la solidarité.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Vient de publier Vive les vieux !, Editions Michalon
Démographie, famille et solidarité, chronique de Serge Guérin

Publié le 19/01/2009 à 10:28 | Lu 4973 fois