De la rhinite à l'asthme par le Pr Alain Didier (Toulouse)

L’allergie respiratoire peut se manifester par un asthme allergique et/ou par une rhinite allergique, qui coexistent fréquemment chez un même sujet et représentent un problème global de santé publique. Le lien entre rhinite et asthme est connu depuis plus de deux siècles. Toutefois, avant les recommandations émises par le groupe de travail de l’ARIA (Allergic Rhinitis and its Impact on Asthma) au début des années 2000, ce lien était souvent méconnu ou négligé.


Le continuum entre les voies aériennes supérieures et inférieures est maintenant clair. Enfants et adultes confondus, la plupart des patients asthmatiques ont une rhinite allergique associée, et 10 à
40% des patients ayant une rhinite allergique ont en fait un asthme associé.
 
L’allergie respiratoire est associée à l’asthme chez 50 à 80% des enfants asthmatiques. De larges études de cohortes ont permis de montrer qu’il existe un lien entre la sévérité et/ou le non contrôle de la rhinite et de l’asthme chez l’enfant comme chez l’adulte.
 
Cependant, la rhinite allergique n’est habituellement pas le premier symptôme à apparaître chez les enfants d’âge préscolaire et n’est pas la porte d’entrée dans la marche atopique menant à l’asthme. En effet la fréquence de la rhinite allergique est faible dans la petite enfance (< 2%) et augmente avec l’âge, probablement en rapport avec la récurrence de l’exposition allergénique, précédant la sensibilisation et l’apparition des symptômes.
 
La rhinite allergique chez l’enfant d’âge scolaire peut être un facteur de risque d’asthme à début tardif de l’adolescent ou de l’adulte, indépendamment de tout autre contexte atopique. Ce fait peut s’expliquer par des processus physiopathologiques communs, dits continuum des voies aériennes, entre les voies aériennes supérieures et inférieures avec inflammation muqueuse continue, diffuse et simultanée entre les deux voies.
 
Enfin, l’existence d’une sensibilisation allergénique avec ou sans symptômes cliniques associés est un facteur de risque de persistance de l’asthme au cours de l’enfance, ainsi que d’évolution vers un asthme plus sévère.
 
Mesures modificatrices de l’histoire naturelle
L’impact de la maîtrise de l’environnement est difficile à démontrer. Les mesures d’éviction allergénique ont une efficacité variable dans la littérature, avec des résultats peu robustes ou décevants, allant à l’encontre d’une stratégie intuitive de réduction de l’exposition allergénique.
 
En effet, si elle peut suffire en elle-même en théorie pour induire une disparition des symptômes, sa réalisation complète s’avère difficile en ce qui concerne les pneumallergènes. Si quelques gestes quotidiens peuvent permettre une diminution de l’exposition aux allergènes en cause, celle-ci peut difficilement être totale.
 
De plus ces gestes doivent être appliqués au domicile des patients mais aussi dans les lieux habituellement fréquentés. Concernant les acariens par exemple, il semble qu’une mesure d’éviction isolée, c’est-à-dire l’application uniquement de mesures chimiques, ou uniquement de mesures physiques telles que les housses anti-acariens, ne soit pas efficace.
 
Concernant les autres allergènes domestiques (moisissures, phanères d’animaux), l’éviction est recommandée en cas de sensibilisation, avec des niveaux de preuves limités sur une efficacité éventuelle. Ces résultats décevants peuvent s’expliquer par le caractère ubiquitaire des allergènes domestiques, avec une exposition ne pouvant se restreindre uniquement au domicile.
 
Les protocoles démontrés efficaces recouraient à des mesures d’éviction multiples : association de mesures de lavage des sols et des murs, retrait des moquettes, lavage fréquent des draps, changement des oreillers, etc. Les mesures d’éviction allergénique pourraient avoir un intérêt chez les enfants asthmatiques et allergiques sur l’amélioration du contrôle de l’asthme, mais pas sur sa survenue.
 
Elles doivent notamment être intégrées dans une prise en charge globale de réduction de l’exposition aux irritants, dont la fumée de tabac. Une réduction de l’exposition allergénique dans le cadre ces mesures « multifacettes » pourrait avoir un intérêt chez les enfants à haut risque de développer une allergie respiratoire.
 
L’immunothérapie allergénique modifie l’histoire naturelle de la maladie respiratoire
Une immunothérapie consiste à utiliser le système immunitaire pour lutter contre diverses pathologies dont les maladies auto-immunes, inflammatoires, infectieuses, les cancers et les allergies. Elle stimule, modifie, ou encore renforce les réponses immunitaires lorsque celles-ci sont insuffisantes, excessives ou pathologiques via l’immunostimulation, l’immunosuppression ou encore l’immuno-modulation.
 
Elle peut être non spécifique, en stimulant le système immunitaire en général, ou spécifique, lorsqu’elle intervient sur une réponse dirigée vers un seul ou plusieurs antigènes ciblés.
 
L’immunothérapie allergénique (ITA) est une immunothérapie spécifique de l’allergène. Elle recourt à l’administration de quantités progressivement croissantes et répétées d’un allergène, chez un sujet allergique, dans le but d’induire une tolérance permettant de diminuer la sensibilité de l’organisme vis-à-vis de l’allergène ciblé et donc de prévenir la survenue de symptômes, ou au moins de les améliorer, lors d’une exposition ultérieure.
 
L’immunothérapie allergénique est un traitement spécifique de l’allergie respiratoire. L’utilisation d’un extrait allergénique standardisé est indispensable, ce qui est de nos jours le cas pour les acariens et les pollens.
 
L’immunothérapie allergénique peut être proposée par voie sublinguale ou sous-cutanée et se déroule généralement en 2 phases : une phase initiale qui consiste en une administration progressive de doses croissantes d’allergènes, et une phase d’entretien qui dure entre 3 et 5 ans.
 
En sus de son efficacité sur les symptômes, l’ITA a pour ambition d’avoir un effet en profondeur sur le terrain atopique et de modifier l’histoire naturelle de la maladie allergique (ou marche atopique). Elle est particulièrement intéressante chez l’enfant car elle a un effet modificateur sur l’histoire naturelle de la maladie allergique : elle pourrait éviter l’apparition de nouvelles sensibilisations et l’apparition secondaire d’un asthme.
 
Dans ce domaine, les études sont peu nombreuses en raison de leur complexité méthodologique et de la longueur du suivi nécessaire mais semblent démontrer cet effet. Ainsi, l’étude de Moller et coll. (« PAT Study ») est la première à avoir porté sur un nombre de patients important (205 enfants âgés de 6 à 14 ans) comparé à un groupe contrôle non traité.
 
Après 3 ans d’ITA par voie sous cutanée aux pollens de graminées ou de bouleau, une différence significative sur le risque d’apparition d’un asthme chez des sujets initialement exclusivement rhinitiques est observée en faveur du groupe sous ITA. Cet effet persistait 7 ans après l’arrêt de l’ITA. Une étude rétrospective chez l’adulte porteur de rhinite allergique va également dans le même sens. De même un effet de la même amplitude que celui observé dans la PAT Study a également été rapporté dans une étude utilisant l’ITA sublinguale, mais avec un moindre recul (3 ans).
Enfin, l’étude récente GAP, de très bonne qualité méthodologique, incluait plus de 800 enfants atteints de rhinite allergique au pollen de graminées sans asthme à l’inclusion avec un groupe traité et un groupe placebo.
 
Cette étude, si elle n’a pas démontré de différence sur la fréquence de survenue d’un asthme entre les deux groupes, a montré une diminution significative des symptômes d’asthme et/ou de l’utilisation des médicaments antiasthmatiques dans le groupe traité, aussi bien à la fin des 2 ans de la période de traitement que sur l’ensemble des 5 années de l’essai.
 
Ces résultats très encourageants sont renforcés par la publication de résultats obtenus en vie réelle à partir des informations d’une base de données d’assurance de santé en Allemagne où l’ITA en comprimé sublingual est commercialisée depuis presque 10 ans.
 
En comparant un groupe de patients ayant reçu une ITA sublinguale en comprimé à un groupe traité pour allergie pollinique sans ITA, les auteurs ont pu montrer que la survenue d’un asthme était moins fréquente dans le groupe ayant reçu une ITA, ainsi que la consommation de médicaments anti-asthmatiques et de médicaments symptomatiques de la rhinite.
 
Ces études sur l’effet préventif de l’asthme de l’ITA s’ajoutent aux autres arguments en faveur de l’efficacité de la désensibilisation sur l’histoire naturelle de la maladie comme la persistance de l’effet à l’arrêt du traitement ou la moindre acquisition de nouvelles sensibilisations aux allergènes.
 
Conclusion
Un effet de prévention de l’apparition de l’asthme chez des sujets traités par ITA pour une rhinite allergique a été observé dans plusieurs études avec la voie sous cutanée et la voie sublinguale confirmant ainsi que l’immunothérapie spécifique est actuellement le seul traitement susceptible de modifier l’histoire naturelle de l’allergie.

Source : 14ème Congrès Francophone d'Allergologie

Publié le 26/04/2019 à 01:00 | Lu 1412 fois