Combattre le coronavirus : entretien avec le Pr Michel Goldberg

Origine de l’épidémie, conseils pratiques, recherches en cours, enjeux de la collaboration scientifique internationale… quelques jours après le déclenchement des mesures radicales en France et dans le monde pour limiter la propagation du Coronavirus, Michel Goldberg, Professeur émérite à l’Institut Pasteur et président du conseil scientifique de Weizmann France, nous livre ses connaissances, ses analyses, et de précieux conseils.


David Weizmann : en période d’épidémie, que signifie « prendre soin de soi » ?
 
Pr Michel Goldberg : « Prendre soin de soi », c’est éviter par tous les moyens d’être contaminé par l’agent infectieux. En ce moment le COVID-19. Mais je voudrais souligner que, en temps d’épidémie, lorsqu’on prend soin de soi, on prend aussi soin des autres, on aide la médecine et les soignants, et on combat le virus.
 
Car le virus ne peut « vivre », ne peut se multiplier, que chez un patient infecté. En évitant d’être infecté, on enraye l’épidémie. Notons en passant que « infecté » ne veut pas dire « malade », et qu’une personne infectée sans aucun symptôme peut parfaitement transmettre le virus. D’où la nécessité absolue, prioritaire, d’éviter d’être contaminé.
 
DW : que faut-il faire et ne pas faire ? Que conseillez-vous ?
Pr Michel Goldberg : Être conscient de ce que le virus, invisible, peut être partout et peut être porté par toute personne que vous côtoyez, même si cette personne a l’air en pleine forme. Y compris par vous-même. Donc, réduisez au strict minimum le nombre de personnes que vous rencontrez. C’est l’essence même des mesures de confinement plus ou moins strictes qui sont imposées par les gouvernements, que je vous engage à respecter scrupuleusement.
 
Et pour les quelques personnes que vous ne pouvez pas éviter de côtoyer, protégez-vous et protégez-les par les « gestes barrière » simples qui sont répétés partout : se laver les mains, tousser ou éternuer dans son coude, utiliser des mouchoirs en papier et les jeter aussitôt, se tenir aussi éloigné que possible (et jamais à moins d’un mètre) de votre interlocuteur, ne pas lui serrer la main ni l’embrasser.
 
Et puis, gardez le moral. Ne soyez pas exagérément alarmés par l’accumulation des mauvaises nouvelles annoncées par les media : comme on l’a vu en Chine, l’accalmie succèdera à la tempête. Bien qu’on ne la trouve pas dans les medias, la courbe des guérisons ne cesse de croître.
 
Et les résultats d’essais de plusieurs candidats médicaments comme la chloroquine ou le Remdesivir commencent à tomber : ils sont extrêmement prometteurs. La difficile période que nous traversons laissera des traces profondes sur les plans humain, social et économique. Mais nous en sortirons.
 
DW : les Israéliens ont pris des mesures radicales pour limiter la propagation, et les mesures prises semblent efficaces…
Pr Michel Goldberg : les Israéliens ont en effet pris progressivement des mesures radicales. D’autres avant eux comme en Chine, en Corée, à Singapour, et d’autres après eux, ont aussi pris des mesures radicales. Mais tout dépend de quelles mesures radicales on parle, de quand ces mesures ont été prises et de ce que l’on entend par « efficaces ».
 
Les mesures qui apparaissent radicales aux yeux du grand public sont celles qui impactent fortement notre vie quotidienne et l’économie de nos pays, comme les nombreuses contraintes imposées par le confinement. La plupart des pays affectés, et Israël en est, ont pris ces mesures.
 
Mais l’important est que ces mesures aient été prises avant que le virus ne circule à grande échelle dans le pays. Et là, oui, on peut espérer qu’Israël ait réagi à temps, avant que n’explose le nombre de malades. On peut l’espérer car, si le nombre de malades continue d’augmenter, cette augmentation est à peu près linéaire et non pas exponentielle.
 
DW : pouvez-vous faire un point sur les recherches menées à l’Institut Weizmann sur le Coronavirus ?
Pr Michel Goldberg : les chercheurs de l’Institut Weizmann sont, depuis bien avant l’apparition du COVID-19, impliqués dans de nombreux projets de recherche sur la lutte contre les virus. L’un d’eux, très prometteur à moyen terme et piloté par le Professeur Ron Diskin, concerne les virus qui sont passés de l’animal à l’homme (comme l’Ebola, le SARS, le MERS et le COVID-19). Il consiste à « leurer » le virus en lui présentant le récepteur des cellules de l’animal d’origine, auquel le virus s’attache bien plus fortement qu’au récepteur des cellules humaines. Ce projet, déjà très avancé sur l’EBOLA, est en cours de transposition au COVID-19.
 
Plusieurs autres programmes sont en développement, mais le plus immédiatement lié à l’épidémie actuelle, vise au développement d’un médicament susceptible de traiter la maladie.
 
Plusieurs produits efficaces semblent déjà exister : la chloroquine, déjà identifiée par les Chinois, dont l’efficacité vient d’être confirmée par l’équipe du Professeur Raoult à Marseille, ou bien le Remdesivir, développé par la société Gilead implantée en Israël, lui aussi identifié comme actif contre le COVID-19 par les Chinois et utilisé avec succès sur des malades aux États-Unis, en France et en Israël.
 
Alors, pourquoi chercher d’autres médicaments ? Parce que le COVID-19, comme tous les virus, est susceptible de subir des mutations le rendant résistant à un traitement, ou à un vaccin. D’où l’utilité de disposer d’une palette aussi large que possible de médicaments permettant d’appliquer une multi-thérapie, comme cela a été fait pour juguler le virus du SIDA.
 
A l’Institut Weizmann, le Professeur Nir London, du Département de Chimie Organique, collabore activement avec des chercheurs du Memorial Sloane Kettering Cancer Center de New York, de l’Université d’Oxford et de la société de biotechnologie PostEra basée en Californie.
 
Cette collaboration multicentrique a pour objet de développer une molécule qui bloque l’activité d’une protéase du virus essentielle pour permettre à ce virus d’envahir, d’infecter les cellules dans lesquelles il se développe. Notons qu’un grand nombre des médicaments utilisés pour traiter le SIDA sont des inhibiteurs de la protéase du virus du SIDA.
 
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Les chercheurs et leurs institutions de rattachement ont décidé de communiquer librement tous leurs résultats afin d’éviter toute bureaucratie, considérant qu’on ne doit pas perdre de temps à protéger la propriété intellectuelle lorsqu’on est en face d’une si grave crise d’envergure mondiale.
 
Mais pour permettre à ce projet d’avancer rapidement, il faut un financement. L’Institut Weizmann estime à dix millions de dollars la somme nécessaire au financement de sa part du programme. Une somme qui ne figurait pas au budget prévisionnel de l’institut.
 
DW : on entend les gouvernements assurer le financement de plusieurs programmes de vaccination en urgence ? Le Coronavirus va-t-il permettre à la Recherche de redevenir une priorité ?
 
Pr Michel Goldberg : on entend les gouvernements promettre des soutiens financiers de toute part, pour les hôpitaux, pour la recherche, pour soutenir les entreprises menacées et les salariés fortement impactés par les mesures de confinement, pour relancer l’économie. Et ce à un moment de crise économique due précisément à l’épidémie de COVID-19.
 
Combien de ces promesses pourront être tenues ? Et quand ces sommes seront-elles disponibles ? Tout le monde espère en la recherche. Tout le monde est sans doute prêt à donner une certaine priorité à la recherche. Mais d’autres besoins urgents vont se manifester. Quels seront les choix des politiques ? Or la recherche ne peut pas, ne doit pas attendre si l’on veut qu’elle apporte à temps des réponses à la crise sanitaire actuelle.

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Publié le 20/03/2020 à 04:42 | Lu 4906 fois