Cancers : au-delà du génome

Un colloque récent a rassemblé des chercheurs de divers horizons pour réfléchir de façon prospective aux meilleurs moyens de tirer profit, pour les patients, du déferlement actuel d'informations génomiques sur les cancers. L’Institut National du Cancer (INCa) fait le point.


Une véritable tempête

Pour les chercheurs et cliniciens travaillant dans le domaine du cancer, le déferlement d'informations génomiques représente « une véritable tempête », selon Thomas Hudson, président d'un institut de recherche canadien (Ontario Institute for Cancer Research).

T. Hudson s'exprimait ainsi lors d'un récent colloque organisé par l'Institut National du Cancer (INCa) et l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). Ce colloque avait invité des chercheurs de tous horizons à l'Institut Pasteur pour alimenter une réflexion prospective en matière de recherches sur les cancers et leurs traitements.

Particulièrement riche, la première session a porté précisément sur les perspectives offertes par les multiples travaux en génomique des cancers. Sous l'impact des technologies de séquençage, dont l'évolution suit une courbe encore plus spectaculaire que la loi de Moore en informatique, le flux de données génomiques est appelé à s'amplifier de jour en jour.

Comment en tirer le meilleur profit pour les patients ? Pour prendre un peu de recul face à ce déferlement, les organisateurs du colloque avaient convié, outre T. Hudson, une philosophe, Barbara Prainsack, du King's College à Londres, un médecin, Jean-Yves Blay qui dirige, à Lyon, l'un des huit sites de recherche intégrée sur le cancer (SIRIC) labellisés par l'INCa au niveau national français et David Cox, vice-président d'un grand laboratoire pharmaceutique (Pfizer).

Deux grands axes prospectifs se dégagent de leurs interventions : la nécessité d'un « retour à la biologie », pour mieux comprendre les processus à l'oeuvre derrière les multiples anomalies génomiques observées et l'exigence d'une collaboration à tous les niveaux, pour prendre en compte l'éclatement de la classification des cancers produite par la caractérisation moléculaire des tumeurs.

Un retour à la biologie

Pourquoi un « retour à la biologie » ? T. Hudson et D. Cox ont mis en avant deux exemples significatifs. Le premier a rappelé que, au cours des années récentes, on avait vu fleurir de nombreuses études dites d'association sur le génome entier, analysant le génome constitutionnel (hérité de ses parents).

Le but de ces études, qui incluent souvent des milliers de participants (patients atteints d'une forme de cancer et témoins sains), est d'identifier, sur le génome humain, des variants qui confèrent un risque accru pour un type de cancer. Or, dans l'immense majorité des cas, les risques observés sont faibles, trop faibles pour être d'une quelconque utilité médicale. D'autre part, les variants identifiés sont situés sur des régions chromosomiques (loci) dont la signification échappe le plus souvent aux chercheurs.

Pour T. Hudson, il est clair qu'on ne tirera profit de toutes ces connaissances qu'en menant des études visant à « comprendre les fonctions biologiques associées à ces loci ».

D. Cox, lui, a commencé par mettre en avant une « bonne nouvelle » apportée par la génomique : l'accélération de la mise sur le marché de thérapies ciblées. Par exemple, une anomalie liée au gène ALK a été identifiée en 2007 chez certains patients atteints d'un cancer du poumon non à petites cellules. Quatre ans plus tard, une molécule développée par Pfizer, le crizotinib, recevait une autorisation de mise sur le marché par les autorités réglementaires américaine et européenne pour le traitement de cette population de patients.

Par comparaison, la plus célèbre des thérapies ciblées, l'imatinib (Glivec), est arrivée sur le marché en 2003, soit plus de quarante ans après l'identification de l'anomalie chromosomique associée à la leucémie myéloïde chronique. Mais D. Cox a poursuivi son propos en soulignant une « mauvaise nouvelle » : à l'instar de nombreuses thérapies ciblées, le bénéfice apporté par le crizotinib est limité dans sa durée. Au bout de quelques mois, la tumeur développe une résistance au traitement et reprend sa croissance. Pour D. Cox, « ce type de progrès n'est manifestement pas suffisant ».

Aujourd'hui, l'industrie pharmaceutique investit beaucoup dans une nouvelle génération de molécules qu'on appelle les conjugués anticorps-médicament. De fait, des résultats prometteurs dans le traitement du cancer du sein ont par exemple été présentés en séance plénière lors du dernier congrès annuel de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO). Pour D. Cox, les conjugués anticorps-médicament auront cependant du mal à tenir leurs promesses si l'on ne comprend pas mieux leur comportement dans l'organisme. Il fonde ainsi de plus grands espoirs dans un autre axe de développement thérapeutique, qui fait appel à des mécanismes biologiques plus subtils, l'immunothérapie des cancers.

L'exigence de collaboration

Pour apprécier l'importance du second axe de cette session du colloque ProCaRT, J.-Y. Blay a commencé par illustrer un effet majeur de la caractérisation génomique des tumeurs : « la fragmentation des entités nosologiques ». Spécialiste des sarcomes, J.-Y. Blay a notamment pris l'exemple des tumeurs stromales gastro-intestinales. Selon les dernières connaissances, cette entité de la nosologie classique, qui désigne une forme rare de cancer digestif, peut en fait se diviser en plusieurs sous-types de la maladie qui, chacun, appellent un protocole thérapeutique différent. En outre, on sait désormais que la découverte d'une anomalie génétique dans la tumeur ne garantit pas l'efficacité du traitement qui la cible.

Ce mouvement de fragmentation affectant tous les types de cancer, on comprend vite pourquoi il sera de plus en plus difficile, sans la mise en oeuvre de collaborations à l'échelle internationale, de constituer des populations homogènes de patients pour mener des essais cliniques. Ces collaborations, qui doivent se déployer sur de multiples plans, impliquent en particulier la constitution de collections de tumeurs et ressources biologiques comportant des informations cliniques sur les patients.

L'intégration des patients dans de tels projets soulève évidemment de nombreux problèmes éthiques et sociaux. Selon B. Prainsack, leur résolution passe d'abord par des recherches empiriques sur les vrais besoins et les attentes réelles des individus. Et les solutions ne seront « politiquement robustes » qu'avec l'apport de travaux en collaboration avec des chercheurs en sciences sociales pour garantir un égal accès à ces nouvelles formes de médecine personnalisée. Co-dirigé par B. Prainsack, un projet européen sur ce sujet va prochainement publier son rapport final.

Publié le 14/11/2012 à 07:00 | Lu 973 fois