Cancer et Covid-19 : interview du Dr Thierry Bouillet

Le Dr. Thierry Bouillet, cancérologue à l’Hôpital Avicenne et co-fondateur et président de l’association CAMI Sport & Cancer, nous apporte son éclairage et ses recommandations sur la situation actuelle pour les patients atteints de cancer. En cette période particulière, nous espérons que ses réponses vous apporteront un peu de réconfort et de clairvoyance…


Comment étiez-vous mobilisé depuis le début de la crise ? Quelle était, et quelle est encore, la situation de votre Hôpital ?
Au sein de l’Hôpital Avicenne, les choses sont organisées de la façon suivante : il y a deux zones de traitement distinctes.
 
Une première zone dans laquelle les soignants sont en contact direct avec les patients suspects d’être Covid+, c’est-à-dire le service des urgences et le service réanimation, en confrontation direct avec la tempête. Avec un risque de débordement des capacités au plus fort de la crise. Ces structures ont magnifiquement géré les choses, j’ai été impressionné.
 
La seconde zone est constituée des spécialistes d’organes, c’est-à-dire les chirurgiens, service de pneumologie, gastroentérologue et autres spécialités. Une majorité de ces soignants a été mobilisée pour assurer le suivi des patients dans les unités COVID.
 
Ensuite, certains services comme la cancérologie ont été maintenus afin d’assurer la prise en charge des patients. Ainsi, les services de cancérologie poursuivent les soins en cours de traitement et acceptent les nouveaux patients, assurant les soins en cancérologie en continu (radiothérapie, chimiothérapie). Il en est de même pour certains services de chirurgie assurant les soins qui ne peuvent pas attendre.
 
Enfin, les généralistes ont joué un rôle majeur de soin et de permanence des traitements. Je tiens à les remercier car ils ont été les premiers lanceurs d’alerte de la crise sanitaire au prix de risques personnels majeurs.

Avez-vous adapté la prise en charge des patients atteints de cancer ? Si oui, comment ?
Nous avons réduit tous les risques de contamination en demandant aux patients dont l’état de santé le permettait d’attendre. Par ailleurs, pour chaque cas, nous réfléchissons aux bénéfices « actions-risques » avant de décider ou non de faire venir le patient à l’hôpital.
 
Lorsque cela était possible, nous avons adapté le traitement pour permettre au patient de suivre son traitement à domicile afin d’éviter les risques de contamination COVID. Nos équipes se sont adaptées pour faire face à la situation avec une véritable qualité d’échanges entre les équipes administratives et les médecins.
 
Nous avons trouvé des solutions et c’est la preuve que nous avons pu nous adapter à ce vent terrible. Il y aura un avant et un après COVID au sein de l’Hôpital. Les équipes se sont solidifiées au niveau inter-administratif et au niveau des équipes de soins.

Nous savons que les patients atteints de cancer sont plus à risque face au COVID-19. Constatez-vous une chute de la fréquentation des patients atteints de cancer au sein de l'hôpital ? Avez-vous un message à faire passer aux patients ?
Oui, il y a eu une chute de la fréquentation des patients, mais qui a été volontairement organisée pour une part. Il faut que les malades continuent à fréquenter les services de cancérologie à partir du moment où la réflexion se fait sur le rapport « bénéfice, action, risque ».
 
Il y a deux cas de figure : j’ai une maladie grave qui peut rechuter précocement, dans ce cas il faut vraiment être vigilant. Cela fait X années que j’ai été traité pour un cancer, j’ai beaucoup moins de risque et je peux attendre. Donc il faut une véritable réflexion, tant des médecins que des malades.
 
Si cela fait moins de deux ans que vous avez été traité, ne lâchez pas.
Si cela fait plus de 5 ans que vous avez été traité, vous pouvez attendre 3 - 4 mois de plus.
Si vous êtes entre les deux, cela dépend de la gravité de la pathologie.
 
Dans tous les cas, chaque patient est différent et votre médecin saura vous conseiller au mieux.
Pour les patients devant se rendre à l’hôpital, les mesures barrières doivent être appliquées scrupuleusement.

Nous savons que l'activité physique permet d'apporter des bénéfices importants aux patients atteints de cancer. En cette période de (dé)confinement doivent-ils continuer la pratique ? Comment ?
Il y a un décalage de la prise en charge de la maladie cancéreuse par les hôpitaux, du fait de la nécessité de devoir se protéger du Covid. Il faut absolument limiter le taux de rechute, or, on sait que l’activité physique est une façon de limiter le taux de rechute.
 
L’activité physique améliore la qualité de vie et on sait que dans la période actuelle, le confinement a un impact sur la qualité de vie et le moral des patients. La pratique d’une activité physique chez les patients cancéreux permet d’améliorer l’ensemble des paramètres de qualité de vie dont l’aspect moral et psychologique.
 
Le confinement a eu un impact sur les masses musculaires. Cette diminution accroît le risque de rechute et altère la qualité de vie. Il est donc important de pratiquer une activité physique pour conserver sa masse musculaire même pendant cette période.
 
En effet, le Covid détruit les masses musculaires. Nous avons observé que les patients atteints du Covid pouvaient perdre jusqu’à 10-15 kilos de masse musculaire dû à un catabolisme qui détruit les muscles. Donc si la masse musculaire du patient est faible avant la maladie, l’après maladie Covid-19 sera encore plus compliqué.
 
Ce catabolisme musculaire est généré dans le cadre du Covid par les cytokines et le traitement de la limitation des cytokines, c’est l’activité physique.
 
Donc oui, pratiquez une activité physique, probablement pas pour vous libérer du risque de contamination du Covid, mais pour vous préparer si vous tombez malade du Covid, pour limiter les risques de rechute de votre cancer, pour un meilleur moral et conserver vos masses musculaires.

À ce propos la CAMI Sport & Cancer a mis en place un dispositif exceptionnel d’accompagnement à distance (téléconsultations et vidéos) pour encourager les patients atteints de cancer à maintenir une pratique physique sécurisée depuis leur domicile. Ce dispositif est gratuit et ouvert à tous les patients atteints de cancer.

Quelle est la question que vos patients vous posent le plus souvent ? Pouvez-vous y répondre ?
Les patients me disent qu’ils ont peur et me demandent quand est-ce que cela va s’arrêter. Je leur réponds qu’ils ont raison d’avoir peur, il faut être prudent et appliquer les gestes barrières. Les patients atteints de cancer, qui eux sont à risque, ont parfaitement compris l’importance des gestes barrières.
 
En cette période de "déconfinement", les patients qui le souhaitent, pourront-ils reprendre une activité sans risque ? Avez-vous des recommandations spécifiques à leur transmettre pour cette "reprise" ?
Les pouvoirs publics et politiques ont visiblement bien pris la mesure du problème et les mesures proposées sont justes. Il n’y a aujourd’hui pas d’autre solution tant que nous n’avons pas de vaccin.
 
De plus en plus de médecins, oncologues s'inquiètent des conséquences collatérales du Covid et du confinement sur les patients atteints de cancer et craignent une hausse de mortalité dans les mois à venir. Partagez-vous ce constat ? Il y-a-t-il des solutions aujourd'hui pour éviter cette situation ?
La surmortalité va correspondre selon moi a des diagnostics retardés. Donc pour en revenir au point précédemment évoqué, la surveillance des cancers est importante et doit être suivie en fonction de l’annonce de la gravité de la pathologie. Faire une politique de dépistage oui, sans danger oui, car les services se sont adaptés pour appliquer les mesures barrières et garantir la santé des patients.

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Publié le 29/05/2020 à 02:00 | Lu 2737 fois