Antiobiorésistance : le point avec le chercheur Philippe Glaser de l'Institut Pasteur

« Pour contrer le phénomène de la résistance aux antibiotiques, il est nécessaire d’avoir une vision globale, mondiale ! » affirme sans ambages Philippe Glaser, responsable de l’unité Écologie et évolution de la résistance aux antibiotiques à l’Institut Pasteur. Le point avec ce grand spécialiste sur un véritable problème de santé publique qui nous concerne tous.


Comment jugez-vous le phénomène de la résistance aux antibiotiques aujourd’hui ?
Il s’agit d’un problème de santé publique pris en compte aujourd’hui par les pouvoirs publics, notamment les hôpitaux. Mais la prise en charge à l’hôpital de patients porteurs de bactéries multirésistantes a un coût.
 
Non seulement un coût financier, pour prévenir la transmission de ces bactéries à d’autres patients et éviter les épidémies, en leur attribuant un personnel dédié. Mais aussi un coût psychologique pour ces patients résultant du suivi spécifique dont ils font l’objet.
 
Toutefois, grâce à ce dispositif, le niveau de résistance est sous contrôle en France et dans la majorité des pays européens, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays du globe, notamment dans les pays à bas revenu.
 
On peut considérer la résistance aux antibiotiques comme une « maladie émergente », car les bactéries résistantes se disséminent mondialement. Pour contrer le phénomène de la résistance aux antibiotiques, il est nécessaire d’avoir une vision globale, mondiale.
 
A quoi la résistance aux antibiotiques est-elle due ?
Les bactéries ont la capacité d’acquérir des gènes les rendant résistantes aux antibiotiques à partir d’autres bactéries résistantes qui possèdent ces gènes. Ainsi, une personne peut être porteuse de bactéries résistantes, sans problème de santé ou symptômes apparents.
 
Son microbiote intestinal peut contenir une souche bactérienne résistante. Il suffit alors qu’une bactérie pathogène infecte cette personne pour que la souche résistante transfère à la bactérie pathogène ses gènes de résistance. Ce phénomène peut être rapide et même favorisé par les antibiotiques.
 
Que peut-on faire pour lutter contre l’antibiorésistance ?
Les bactéries résistantes émergent dans différents endroits du monde et des actions à l’échelle internationale sont nécessaires, qui peuvent être coordonnées par l’OMS. A notre niveau, on peut limiter leur dissémination à l’hôpital et en communauté, par des mesures de surveillance et d’hygiène (hôpital / ville), qui sont déjà prises en France.
 
Il faut par ailleurs un usage plus raisonné des antibiotiques : bonne dose, bonne durée de traitement, bonne combinaison de prescription. Et cette attention doit être portée aussi bien chez l’homme que chez l’animal, pour limiter les réservoirs de résistance.
 
Quelles recherches sont menées à l’Institut Pasteur ?
Les programmes de recherche à l’Institut Pasteur associent l’épidémiologie à l’échelle mondiale (à travers des laboratoires du Réseau international des instituts Pasteur), la génomique et la bioinformatique pour décrire ces phénomènes et en disséquer les mécanismes.
 
Des chercheurs étudient aussi les échanges de gènes de résistance entre les bactéries afin de développer des stratégies pour bloquer ces transferts. Pour trouver de nouveaux antibiotiques, des équipes pasteuriennes étudient la biosynthèse de l’enveloppe bactérienne, cible privilégiée de nombreux antibiotiques.
 
Ces connaissances sont la base pour la recherche de nouvelles molécules actives dans des banques de molécules de structure très diverses ou parmi des produits naturels. L’Institut Pasteur développe aussi des stratégies de lutte alternatives pour cibler les bactéries multirésistantes comme la phagothérapie, les peptides antimicrobiens ou le détournement du système CRISPR, véritable système immunitaire bactérien, pour tuer spécifiquement les bactéries résistantes.
 
Un autre axe important de recherche porte sur la mise au point de test rapide, permettant la prescription d’un antibiotique actif contre l’infection. Une des conséquences de l’antibiorésistance est le retard pris sur l’administration d’un traitement efficace. En effet, la détermination de la résistance aux antibiotiques de la bactérie responsable d’une infection prend du temps et n’est réalisé qu’en cas d’échec thérapeutique.  

Publié le 01/10/2019 à 01:00 | Lu 3026 fois