Un temps à deux pattes : un spectacle où les seniors sont les héros et où le temps se fait prendre...

Jean Bojko, du TéATr’éPROUVèTe, présentera le 25 novembre prochain à Paris, une lecture-spectacle baptisée « Un temps à deux pattes » (où les seniors sont les héros et où le temps se fait prendre...), à l'occasion de la sortie du livre éponyme.


Ce récit avait été imaginé à l’origine pour un film avec Hanna Schygulla , Armand Gatti et Philippe Noiret qui avaient déjà exprimé leur plaisir de l’incarner. Cette rencontre inédite, unique, aurait pu être savoureuse et elle était rigoureusement programmée dans l’espace et le temps.

Tout comme celle des héros de cette histoire : des aînés bien décidés à mettre à l’épreuve cette remarque en forme de question de Gaston Bachelard : « L’avenir ? Est-ce ce qui vient vers nous ou ce vers quoi nous nous dirigeons ? ».

Des seniors déterminées à agir, voire à renaître, même si la mort qui prend ici la figure de l’enfant apparaît à tous les détours dans l’espace européen que parcourent Roger le Morvandiau et Mykola l’Ukrainien des Carpates.

« Un temps à deux pattes », c'est avant tout un hommage à tous les gens très ordinaires, qui ont accompli cette odyssée périlleuse et héroïque qu'est la vie. C’est un chassé-croisé, deux histoires qui en laissent supposer d'autres, à l'infini, dans la grande valse du temps qui fait de tous les hommes des nuages, ébahis, bringuebalés, sur l’étagère bleue du ciel.

Mais cette pièce, c’est aussi le passage (c’est à dire le franchissement d’un pas) d’un temps à un autre, et comme toujours sans possibilité de retour. Où se confondent les débuts et les fins.

L’intention initiale d’en faire un film en a fait une forme littéraire particulière : le récit à voir, chaque lecteur (ou auditeur) devenant un cinéaste dont les images s’impriment sur les écrans intérieurs. Cela marche à merveille comme on peut le constater lors des lectures que donne Jean Bojko de ce texte.

Pour ce qui est de l’auteur, disons qu’Ivan Charabara est la figure de l’illettré, du « péquenot ». C’est un diseur d’histoires, un moulin à paroles, un passionné de la parle, un buveur de canons, un noceur, un rieur, un frétilleur, un titilleur, un goûteur, un danseur, un jardinier (potager), un génie de la mobylette. C’est un bernard-l’hermite, qui a trouvé en Jean Bojko du TéATr’éPROUVèTe une coquille amicale. C’est l’Autre qui nous chatouille l’esprit et sans lequel nous ne serions que des enveloppes.
Un temps à deux pattes : un spectacle où les seniors sont les héros et où le temps se fait prendre...

Extrait

Moment 2
C’est une bonne année à fruits. Le cerisier de la Geneviève, la vieille femme qui vit dans le Haut des Carnées est chargé à craquer de la branche. Alors la Geneviève s’y est perchée, pour cueillir ces belles cerises mûres, presque noires. Elle cueille doucement, avançant sa main de femme de 90 ans, sa main devenue cristalline, presque cassante, tachée de jus de cerises. Elle cueille, accrochée à son arbre comme aux bras d’un amant, appuyée de tout son poids sur le tronc râpeux. Elle, la Geneviève, et son cerisier sont de texture semblable, noueux à souhait, travaillés par le temps. Sous l’effet du vent qui fait bouger légèrement le panier à côté d’elle, donne à sa robe un mouvement voluptueux, et fait frissonner l’arbre, c’est comme s’ils faisaient l’amour, le cerisier et la Geneviève. La sensation est aussi dans la douceur de l’air, le chant des passereaux et le bêlement lointain des agneaux. Un coup de vent brutal provoque la chute du panier. Les cerises s’éparpillent sur la terre, les plus mûres éclatent.

(parenthèse)

Dans le Bas des Carnées, sous le va-et-vient de la lame d’une scie, un arbre tombe. Un vieux fruitier au corps mangé par les lichens.

Moment 2 (suite)
La Geneviève, elle a dégringolé, elle aussi, comme le panier qui a roulé jusqu’aux rangs de radis. Elle gît, étalée de tout son long, les jambes dans les oignons et l’ail, la poitrine dans les plants de salades et les petits pois, et la tête dans les haricots verts qui venaient de faire leurs premières feuilles. La voici comme endormie dans ses chers légumes impeccablement alignés, pour un dernier hommage. Elle tient encore des cerises dans la main maculée, exsudant leur jus noir. Sa robe est légèrement relevée sur ses jambes. Le vent s’en est allé mugir dans les sapins alors qu’une fillette s’approche, ramasse de belles cerises, les place en pendentifs à ses oreilles, et disparaît du côté de la sapinière. Au loin, on entend arriver la camionnette du boucher. Le changement de rapport de vitesses indique qu’elle peine dans la côte, la bricole.

Sur la tôle blanchâtre, peint en lettres rouge sang, on peut lire : « BOUCHERIE / CHARCUTERIE DUCERT / ARLEUF / NIèVRE. »

Infos pratiques

Lecture-spectacle par Jean Bojko le mardi 25 novembre à 19h00 à Paris à l'Espace culturel de l'Ambassade d'Ukraine, 22 avenue de Messine dans le 8ème M°Miromesnil.

Réalisation :
TéATr’éPROUVèTe
Abbaye du Jouïr
58800 CORBIGNY
tél 0386200517
theatre.eprouvette@wanadoo.fr

Publié le 17/11/2008 à 12:07 | Lu 5140 fois