« A-t-on encore le droit de vieillir dans la dignité ? » par Arnaud Montebourg

Le socialiste Arnaud Montebourg, député à l'Assemblée nationale et président du Conseil général de Saône-et-Loire, vient de publier sur son blog personnel un article intitulé « A-t-on encore le droit de vieillir dans la dignité ? ». Le voici.


Après le baby boom des années 50 et 60, voici le papy boom. Le vieillissement de la population est sans aucun doute l'un des grands défis de toutes les sociétés européennes. Malgré sa belle natalité championne d'Europe, la France est désormais touchée par ce changement des équilibres.

C'est en fait tout notre système d'accompagnement du vieillissement et de la perte d'autonomie inventé il y a dix ans (national, local, public ou associatif) qui craque et se lézarde dangereusement sous nos yeux. Ici l'UNA, une grande association nationale d'aide à domicile des personnes dépendantes, qui vient de déposer le bilan, est placée sous procédure de redressement judiciaire. Partout dans les territoires, les associations locales -même bien gérées- sont structurellement déficitaires, menacent de licencier et mettre la clé sous la porte. Là, les Établissements accueillant les personnes âgées dépendantes, (EHPAD) souffrent d'un manque de moyens de plus en plus sensible.

Partout, les familles sont contraintes de faire des sacrifices douloureux pour assumer ce qui reste à leur charge, quand l'un des leurs devient dépendant. Quant aux professionnels, ils font part de leur désarroi et parfois même de leur honte de travailler dans les conditions qui leur sont imposées. On voit ainsi surgir la question difficile de la maltraitance.

Face à ce constat, les solutions manquent : il n'y a pas assez de places dans les maisons de retraite, les services des aides à domicile deviennent trop onéreux, et les associations qui organisent ces services sont étranglées par la crise, comme les Conseils généraux chargés de financer le système, qui ne peuvent plus eux-mêmes faire face.

Tous ces acteurs, si dévoués soient-ils, ne peuvent plus assumer la progression rapide de la perte d'autonomie d'un nombre de plus en plus grand de personnes âgées. A titre d'exemple, en Saône et Loire, nous enregistrerons une progression de 21% des plus de 85 ans en 2012. Alors, quand vieillir dans des conditions dignes devient un luxe que l'on ne peut plus s'offrir, c'est le signe que la société a renoncé à ce qui la fonde, la solidarité.

Quelques chiffres résument les enjeux du vieillissement et de la perte d'autonomie. 800 000, c'est le nombre de personnes en situation de dépendance. 8 milliards d'euros, c'est aujourd'hui la somme nécessaire pour financer cette « cinquième branche » naissante de la sécurité sociale. 70%, c'est la part du financement de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie assuré par les impôts locaux des départements : la création de la caisse dite du « lundi de Pentecôte travaillé » en 2004 après la canicule n'a rien résolu, puisque l'Etat laisse toujours plus à leur charge le coût de la dépendance aux contribuables locaux.

Or ces dépenses explosent. En 2004, la Saône et Loire a versé 37 millions d'euros aux 9.000 allocataires de l'APA et l'Etat en a remboursé 18 millions. En 2008, l'APA, attribué aux 19.000 allocataires a représenté une dépense de 57 millions pour le Département (+20 millions). Le remboursement de l'Etat se cantonne à 20 millions (+2 millions) !

Mais regardons aussi devant nous, vers un futur qui n'est pas si lointain : 2020. Selon l'INSEE, 1 000 000 personnes seront dépendantes en 2020, le nombre des plus de 75 ans va doubler, celui des plus de 85 ans, tripler. Les collectivités locales sont dans l'impasse. Pire, elles sont prises dans la nasse de l'explosion des dépenses et du désengagement de l'Etat. Pourtant, depuis la création de l'APA par le gouvernement Jospin, rien de sérieux -ou presque- n'est venu. Seule la caisse du lundi de Pentecôte, est elle-même aujourd'hui utilisée par le Gouvernement pour perfuser l'assurance maladie en lourd déficit, contrairement aux engagements de ses créateurs !

La réalité est qu'en deux ans et demi, trois ministres et deux secrétaires d'Etat se sont succédés sans que rien de tangible n'aboutisse. Alors, avec responsabilité, le Département de Saône et Loire vient de décider une sorte d'impôt local « 5ème risque » afin de financer la prise en charge de la dépendance. Une hausse de 15% de la fiscalité locale (taxe d'habitation et taxes foncières) dont la totalité du produit sera affectée aux allocations versées aux personnes dépendantes ou handicapées et à leur famille, ainsi qu'aux investissements en maisons de retraite et résidences pour personnes handicapées. Le tout sous un triple contrôle de l'usage des fonds : contrôle politique par une commission spéciale majorité-opposition ; contrôle associatif des associations des secteurs concernés (notamment le Coderpa) ; enfin contrôle des citoyens par la création d'un jury citoyen composé par tirage au sort sur liste électorale et chargé de contrôler l'usage des fonds publics issus de cette hausse d'impôts, afin d'assurer aux contribuables la fiabilité de nos engagements.

Mais telle n'est pas la solution, car localement les situations sont très diverses et les inégalités se creusent. Seuls les départements les plus riches pourront traiter dignement leurs aînés. Les autres départements seront quant à eux réduits à l'impuissance. La Saône et Loire, par exemple, est un département plus âgé que d'autres (30% de sa population) et moins riche que d'autres. A l'opposé, les Hauts de Seine sont un département riche et jeune (17% de personnes âgées).

A terme, comment assurer la justice sociale ? La question de la dépendance est donc un problème de solidarité nationale. Il est temps que l'Etat prenne ses responsabilités. De plus en plus de voix (associations, familles, professionnels, citoyens se font entendre en ce sens. Mais le Gouvernement vient, presque trois ans après son avènement, de repousser encore à l'année prochaine le traitement de ce dossier. Le terrain ne peut pourtant plus attendre...

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Publié le 02/03/2010 à 09:58 | Lu 2103 fois