Mieux manger pour mieux vieillir : pas de retraite pour la fourchette (partie 2)

Parmi les facteurs environnementaux qui conditionnent la qualité du vieillissement, à côté des activités physiques et des activités sociales qui ont aussi une place prépondérante, la nutrition apparaît comme un élément clef d’un vieillissement harmonieux. Ainsi, pas de retraite pour la fourchette ! Le point avec Monique Ferry*, chercheur à l’Inserm.





Idée reçue n°1 : une personne âgée doit manger moins qu’une personne plus jeune

Contrairement aux idées reçues, les besoins ne diminuent pas avec l’avancée en âge, bien au contraire.
 
Des travaux menés dans le cadre d’Euronut-Seneca ont comparé la dépense énergétique liée à la marche sur un tapis roulant de femmes de 70 à 75 ans à celle de femmes plus jeunes, de 40 ans en moyenne, et ont montré une augmentation de près de 20% des dépenses énergétiques avec l’âge pour la même activité.
 
Schématiquement, le moteur de la machine humaine consomme plus et le prix de revient est plus cher à âge supérieur pour la même activité, car le rendement métabolique des nutriments est moins bon. De ce fait, les apports nutritionnels conseillés ont été augmentés pour les sujets de plus de 70 ans et les apports énergétiques également, à 36 kcal/kg/jour, pour maintenir un bon état fonctionnel.
 
La diminution de l’appétit en vieillissant, notamment parce que la satiété est plus rapide, peut rendre difficile d’accorder la consommation alimentaire avec les besoins de l’organisme. Pour y remédier, quelques astuces peuvent être mises en oeuvre : réserver le fromage et le dessert du midi au goûter, prendre un solide goûter en compensation d’un dîner plus léger… Il est également possible d’enrichir les repas avec de la crème, des oeufs ou du fromage.
 
Idée reçue n°2 : à partir d’un certain âge, on supprimer la viande de son alimentation

La viande est une source très importante de fer et de protéines. Il est donc important de continuer à en consommer régulièrement, même si ça n’est pas à chaque repas, auquel cas il est possible de la remplacer par du poisson, des oeufs, un produit laitier, ou encore des légumineuses. Cette diversité est bénéfique et permet de maintenir un apport suffisant en protéines. En effet, les besoins protéiques sont légèrement augmentés chez la personne âgée : entre 1 et 1,2 g de protéines par kilo de poids corporel chaque jour.
 
Cette augmentation s’explique par la moins bonne absorption et disponibilité des acides aminés avec l’âge, ainsi que par des réserves protéiques moindres. Mais attention : il est aussi nécessaire d’apporter les calories nécessaires pour bien utiliser les protéines. Si les apports alimentaires ne permettent pas de compenser ces évolutions, le remplacement de la masse musculaire par de la masse grasse va être amplifié, aggravant la fonte musculaire ou sarcopénie, aux impacts très néfastes, en particulier sur la fonction locomotrice.
 
Il est parfois nécessaire de recourir à des compléments nutritionnels oraux, prescrits par un médecin, pour pallier un apport alimentaire insuffisant en protéines. Se présentant sous différentes formes (liquides, solides, poudres), ces mélanges nutritifs hyperénergétiques et/ou hyperprotidiques, de goûts et de textures variés, permettent de compléter l’alimentation normale, mais ne doivent pas la remplacer.
 
Idée reçue n°3 : en prenant de l’âge on a moins soif, donc c’est qu’il faut boire moins d’eau

Si la sensation de soif diminue chez la personne vieillissante, il est important de continuer à boire environ 1,5 L par jour, soit près de 8 verres d’eau, d’autant que le rein élimine de plus grandes quantités d’eau et que les réserves hydriques de l’organisme sont plus limitées.
 
L’eau constitue la seule boisson indispensable, mais elle peut aussi être apportée sous la forme de jus de fruits, de potages ou bouillons, de lait, de thé, de café ou encore de tisanes, pour varier les plaisirs. Consommer des aliments riches en eau tels que les fruits et légumes permet également d’atteindre plus facilement un niveau d’hydratation suffisant. Les aliments que l’on consomme apportent la moitié de l’hydratation et même les pâtes peuvent apporter 70% d’eau quand elles sont cuites ! L’apport en eau doit être augmenté en cas de fièvre, de forte chaleur ou de prise médicamenteuse, car ces situations aggravent le risque de déshydratation.
 
Idée reçue n°4 : le calcium ne se trouve que dans les produits laitiers

Le calcium, qui est, sous une faible quantité très régulée, l’un des principaux acteurs du fonctionnement cardiaque, permet de préserver le capital osseux, limitant ainsi le risque de fractures, qui peuvent accélérer considérablement le vieillissement. Consommer un produit laitier à chaque repas, en veillant à en varier la nature (lait, yaourt, fromage) permet normalement de s’assurer des apports suffisants en calcium. Il est aussi possible d’en ajouter dans les potages, gratins ou purées. Les eaux minérales calciques peuvent constituer une autre source de calcium. Il ne faut pas omettre le fait que le calcium se trouve aussi dans les légumes, bien qu’en quantité bien moindre. Le calcium sera d’autant plus efficace qu’il sera stabilisé au niveau de l’os par la vitamine D.

Les indicateurs : poids versus IMC

Veiller à maintenir un poids stable est une nécessité lorsque l’âge avance, car il devient de plus en plus difficile de récupérer son poids après qu’il ait diminué et échapper au risque de dénutrition. Il convient donc de se peser régulièrement, de préférence au même moment de la journée.

Une perte de poids, à court terme (- 5% en un mois, soit - 3,5 kg pour une personne de 70 kg) ou à plus long terme (- 10% en six mois, soit – 7kg pour une personne de 70 kg), est un signal d’alerte et nécessite une consultation médicale.

En revanche, l’IMC n’a qu’une valeur relative lorsque l’on vieillit, en raison des modifications corporelles associées. Néanmoins, la valeur de base sous laquelle il faut veiller à ne pas descendre est autour de 23-25 (contre 18,5 pour les sujets plus jeunes).


Dix questions à Monique Ferry, expert en alimentation

Faut-il manger du poisson pour mieux vieillir ?

Il est inutile, voire dangereux du fait des contaminants, de manger du poisson plus de deux fois par semaine. Les poissons gras sont à privilégier car ils apportent des omégas-3... lesquels sont insuffisants, seuls, pour bien vieillir.
 
Le pain et les féculents constipent-ils ?

Non, ils apportent au contraire des fibres. Si vous souhaitez en outre que les féculents n’entrainent pas de gaz, ni de ballonnements, un petit truc : écraser discrètement la bouchée. Le fait de faire « éclater » à l’avance les cuticules évite qu’elles ne le fassent dans le tube digestif.
 
L’œuf est-il mauvais pour le foie ?

L’oeuf est une excellente source de protéines et de micronutriments qui peut être consommé sans inquiétude par les personnes qui avancent en âge. Le risque éventuel est au-delà de 7 oeufs par semaine...
 
Quelles astuces face à la perte de goût qui peut se manifester dès l’âge de 50 ans ?

Le goût diminuant, il est essentiel d’augmenter la saveur des plats. Tous les moyens sont bons : plantes aromatiques, épices… Surtout il ne faut pas qu’une monotonie alimentaire s’installe, car elle aggrave la diminution du goût.
 
Quid de la consommation de sel ?

Le sel est nécessaire à l’organisme pour maintenir la pression dans les vaisseaux (2g/j au moins). Attention à ne pas faire de régime sans sel chez le sujet vieillissant car cela n’est pas sans risque... y compris celui de lui « couper » l’appétit.
 
Le régime méditerranéen favorise-t-il la réussite du vieillissement ?

De très nombreuses études actuelles montrent que manger selon certaines habitudes de type méditerranéen est favorable... A cela s’ajoute le rôle anti-inflammatoire reconnu de l’huile d’olive.
 
Existe-t-il une alimentation de l’hiver ?

Le meilleur pour la santé est de manger les produits de saison. Et ce que nous ne trouvons plus dans les fruits d’été... nous l’avons sous forme de vitamine C dans les agrumes par exemple.
 
La pratique d’un régime diététique est-elle possible à tous les âges ?

Les régimes restrictifs sont exclus après 70 ans, car ils ont alors un effet contraire à celui attendu, créant une dénutrition. La problématique pour ces individus est de conserver l’appétit et le plaisir de manger, et il ne faut pas que des contraintes s’y opposent.
 
Quand est-il nécessaire de recourir à des compléments nutritionnels oraux ?

Les recommandations de la Haute Autorité de Santé stipulent que la complémentation nutritionnelle orale est envisagée chez les sujets dénutris en cas d’échec des conseils nutritionnels oraux et de l’enrichissement de l’alimentation, ou bien d’emblée chez les malades ayant une dénutrition sévère. La CNO constitue dans tous les cas une prescription.
 
Quels conseils majeurs pour les aidants ?

L’aidant doit veiller en priorité à maintenir l’envie de manger chez la personne aidée et lui permettre de bouger un minimum. L’aidant ne doit pas non plus négliger sa propre alimentation !

En conclusion, la nutrition est dorénavant considérée comme un facteur essentiel de l’apparition ou de l’aggravation de certaines pathologies et une alimentation diversifiée et adaptée, associée à une mobilité régulière et au maintien du lien social, participe au maintien de la qualité de vie et à la réussite du vieillissement. La monotonie alimentaire est aussi dangereuse pour l’alimentation que la sédentarité l’est pour la mobilité, et tous deux sont des facteurs de vieillissement accéléré.
 
Manger est indispensable à la vie, comme il est indispensable de respirer. Cette nécessité est celle qui confère à l’alimentation sa fonction vitale et biologique. Mais se nourrir s’inscrit aussi dans toute une dimension affective qui mobilise nos expériences d’apprentissage gustatif, de préférences et de dégoûts, de souvenirs et de bien-être… et s’alimenter est encore plus important quand on avance en âge !
 
*Monique Ferry, ancien médecin des hôpitaux en réanimation puis en gériatrie, est chercheur Inserm/Inra/Cnam/Université Paris 13. Lauréate du prix de Recherche en Nutrition de l’Institut Français pour la Nutrition en 1989, elle a été en 1994 l’investigateur principal pour la France de la première étude sur les liens entre nutrition, vieillissement et état de santé en Europe diligentée par l’OMS-CEE. Elle est membre du groupe de recherche européen HALE (Healthy Aging Longitudinal Evaluation), et de la Commission Nutrition Clinique de la Haute Autorité de Santé (HAS) pour les Recommandations sur la prise en charge de la dénutrition des sujets âgés. Elle est également chef de projet MOBIQUAL sur la Nutrition en EHPAD en 2011, un projet issu de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie dont elle est membre du Conseil Scientifique.

Article publié le 25/10/2013 à 05:37 | Lu 2266 fois