Les services à la personne : un enjeu pour une politique de prévention, chronique de Serge Guérin

Lors d’une journée passionnante organisée à Marseille par le Master « Economie sociale » de l’Université Aix-Marseille et le Pôle Service à la Personne de la région sur « La prévention, nouvelle piste pour les services à la personne », j’ai eu la possibilité de faire le lien avec les politiques du « care ».





En effet, la prévention comme priorité sociale conduit à transformer en profondeur les politiques publiques et notre rapport à la société.

Donner la priorité à la prévention, c’est prendre le contre-pied des politiques d’image où l’intervention est aussi une communication. Et parfois… juste une communication.

Un projet politique fondé sur la prévention ouvre à la société du « care » (ndlr : comprendre « soin »), à la mise en œuvre d’un Etat accompagnant. La prévention concerne, certes, les enjeux de santé mais aussi ceux liés à l’habitat, à la consommation, à la formation… Mais les enjeux de la prévention touchent à d’autres aspects, parfois dramatiques comme le suicide dont une grande partie des 220.000 tentatives annuelles pourrait être évitées par un suivi spécifique.

Il s’agit de s’inscrire dans une perspective d’intervention en amont, fondée sur la prise en compte de la personne et de son projet de vie. Ne pas attendre la manifestation des problèmes, des dysfonctionnements, pour intervenir mais mobiliser des moyens pour dépister les menaces et les déséquilibres avant qu’ils ne se manifestent.

Cela concerne des personnes en forte fragilité comme d’autres dont la situation peut évoluer suite à un changement d’environnement qui ne « passe pas ». Il s’agit aussi d’adapter l’environnement de la personne, sur le plan de l’habitat, des habitudes de vie, de l’activité professionnelle, pour lui permettre de se construire un projet personnel en adéquation avec ses possibilités et ses envies.

L’enjeu est bien d’intervenir en amont pour éviter -ou retarder- les dérives, les fragilités, les pertes, les déséquilibres psychiques... La société de la prévention et une économie de l’investissement à priori plutôt que de la dépense à postériori. La question touche aussi aux inégalités d’accès aux droits et à l’information. Il importe aussi d’insister combien la prévention est une dynamique qui doit s’enclencher au plus tôt mais qui a sa raison d’être à tous les âges.

Les services à la personne peuvent-ils contribuer à faire émerger et vivre une société de la prévention et du « care » ? Les services à la personne participent d’une logique de solidarité de proximité qui prend appui sur la réalité des territoires. Dans les services à la personne, il importe de distinguer les activités de soin pour des publics fragiles ou vulnérables et ceux, centrés sur l’aide et le soutien à la vie quotidienne et domestique. On peut s’interroger si les premières ne relèvent pas prioritairement du secteur associatif, de l’économie sociale et solidaire. A l’inverse, les secondes répondent plus d’une logique commerciale standard et, à ce titre, n’ont peut-être pas à bénéficier d’une fiscalité dérogatoire.

Dans une période où les ressources sont contraintes, il est temps de sortir d’une logique qui, de fait, renforce ceux qui sont les plus aisés au détriment des plus fragiles. Dans le cadre des services de soin, il importe que les aidants professionnels soient formés, accompagnés, valorisés et rémunérés dignement. Cela conduit, aussi, à prendre la mesure de l’échange, de la réciprocité qui peut se créer entre l’aidant (ou plutôt l’aidante), l’aidant bénévole (majoritairement une femme) et l’aidé. Soulignons que des personnes aidées peuvent aussi soutenir, à un autre moment ou dans un autre cadre, d’autres individus.

Cette politique de priorité à la prévention implique aussi de soutenir l’action des aidants et aidantes bénévoles tant sur le plan des infrastructures que d’une présence humaine. Au-delà de l’accompagnement et du soutien pour des actes nécessaires à la vie des personnes fragiles, les structures de service à la personne sont à mobiliser dans l’optique de la prévention via des interventions qui concernent aussi bien l’adaptation du logement, la mise en œuvre de moyens d’alerte que la manifestation d’une présence à l’autre.

Les logiques de prévention dépassent la question du soin au sens large. C’est le cas, par exemple, pour éviter les situations de surendettement à travers une sensibilisation aux enjeux d’une consommation plus soutenable. De même, les services à la personne peuvent participer de l’accompagnement scolaire en cas de déscolarisation pour raisons de handicap ou de maladie ou face à un décrochage lié à un environnement social et culturel défavorable.

Mais, les services à la personne peuvent aussi se penser comme un levier pour permettre à l’individu fragilisé de continuer à avoir une vie sociale, de rencontrer d’autres personnes… Dans ce cadre, il importe de permettre à cette dernière de sortir, dans la mesure du possible, de son logement. On peut prendre l’exemple des services de repas à domicile qui sont parfois proposés par principe et par commodité alors que la personne âgée pourrait se déplacer, à son rythme et avec de l’aide si nécessaire, pour se rendre dans des lieux collectifs et s’ouvrir à d’autres activités et rencontres. Dans certains cas, les services à domicile reviennent à infantiliser la personne, à la maintenir dans un état de dépendance.

Dans cette perspective, on voit combien il est essentiel que les professionnels de la prise en soin puissent être accompagnés, puisse se poser pour réfléchir au sens de leur action, de leurs interventions. Bref, combien la question des moyens et des personnels fait lien avec la nécessité d’assurer un accompagnement qui soit d’abord bienveillant.

L’un des enjeux des services à la personne est bien de participer à la construction d’une société de l’accompagnement bienveillant en structurant le soutien adapté aux fragilités des personnes. Mais ces services sont aussi un formidable levier pour accompagner et favoriser la possibilité pour chacun, y compris les plus fragiles de continuer d’agir sur leur destin et d’être auteur de leur chemin.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG Management School
Dernier ouvrage : « La nouvelle société des seniors », Michalon 2011

Article publié le 20/02/2012 à 08:59 | Lu 2273 fois