Le sens de l’âge de Ludovic Virot : un regard positif et original sur le 4ème âge (film)

Le réalisateur Ludovic Virot présente son film « Le sens de l’âge ». Un long-métrage (1h15) qui permet à six octogénaires de témoigner intimement de leurs tentatives de s’adapter aux difficultés physiques et d’accepter les désirs qui changent. Leur longue expérience et leur soif de vie les incitent à se détacher des contraintes quotidiennes pour savourer un temps pour soi. Sortie nationale au cinéma le mercredi 14 septembre 2011.





Entretien avec le réalisateur Ludovic Virot, par Gaëtan Kondzot

Racontez-nous la genèse de votre film Le sens de l’âge.

J’avais rencontré les responsables des activités sociales d’un groupe de retraite et de prévoyance. Une de leurs missions est d’accompagner les 50-65 ans dans la transition de leur dernière étape professionnelle vers leur nouvelle vie de retraités.

Ceux de ce nouveau siècle sont les premiers à bénéficier de l’augmentation de l’espérance de vie, mais ils n’ont pas anticipé un projet de vie pour les 25 ou 30 prochaines années. En partant de ce constat, je souhaitais découvrir ce que vivent et ressentent ceux qui ont plus de 80 ans aujourd’hui. La plupart des documentaires sur le sujet traitent exclusivement des difficultés liées au grand âge ou à l’opposé occultent ces mêmes difficultés au profit d’un jeunisme revendiqué. J’ai cherché à montrer entre ces deux visions extrêmes, l’existence d’une autre réalité.

Les seniors dans votre film ne sont pas en effet en grandes difficultés, ni dans des maisons de retraites ou dans des hôpitaux. C’est là une réalité du grand âge que vous ne traitez pas.

Il faut évidemment considérer et prendre en charge les personnes en grandes difficultés physiques et psychiques. Mais, lorsqu’on parle des personnes âgées, on évoque systématiquement l’angoissante dépendance rattachée à cette tranche d’âge. Il me semble que cette focalisation excessive contribue à une vision négative de la vieillesse.

Or aujourd’hui, seulement 15% des plus de 80 ans sont en situation de perte d’autonomie ! On effraie ceux qui la vivent ou ceux qui la côtoient, c’est-à-dire chacun d’entre nous. « Le sens de l’âge » tente à sa manière de réhabiliter cet état particulier qui est aussi un potentiel de vie : la vieillesse en forme comme un phénomène moderne !

Vous n’avez donc pas cherché à être représentatif de la situation de toutes les personnes âgées ?
C’est exact, je ne voulais pas intégrer la dimension sociologique ou démographique du grand âge. Ce qui m’intéressait c’était la dimension humaine : suivre au plus près ce que ressentent ces personnes. Pour ce film, il me semblait important de ne pas les filmer dans un environnement social ou une fonction sociale : arrière grand-père, grand-mère, épouse… Je cherchais plutôt à entrer en relation avec chaque personne en tant qu’individu unique et singulier. J’ai essayé d’aborder avant tout une réalité humaine. L’idée d’organiser ces face-à-face avait pour ambition de faire ressentir cette situation de proximité au spectateur.

Ce film est aussi une quête de l’intime. Ces personnes se livrent face à la caméra et ce qu’ils nous disent est profondément personnel. Vous êtes pourtant un parfait inconnu pour eux.

Ces personnes ont accepté de partager, le temps d’un tournage, leur existence avec moi parce que nous n’avons pas d’historique commun. Il n’y avait pas d’enjeu entre nous comme entre des membres d’une même famille. Au-delà de cette condition de départ, nous accédons à ce dépouillement parce que je suis allé les chercher au plus profond de leur intimité. Les interviews étaient des exercices très intenses et difficiles pour moi. Je me bousculais, je forçais une politesse convenue et inutile pour saisir une certaine vérité, la leur. En retour, je ressentais comme une reconnaissance de leur part de m’être vraiment intéressé à eux. Ma récompense était leur confiance et leur courage.

Vous avez aussi rencontré des personnes exceptionnelles ?

Oui et non. Les personnes choisies dans ce film ont une certaine facilité avec la parole, mais je considère que nous pouvons tous être exceptionnels, en certaines occasions. Vous risquez de me taxer d’humaniste naïf. Peut-être, mais je crois que si on s’intéresse vraiment à une personne, elle peut partager avec vous une partie de sa beauté. Il était essentiel que mes personnages se livrent en saisissant pleinement les fils de leur existence. C’était une condition nécessaire pour qu’à notre tour, dans notre expérience de spectateurs nous puissions être touchés. L’empathie du spectateur pour une personne inconnue ne peut se manifester que si cette dernière s’abandonne. L’expérience devient rare et émouvante.

Votre film revendique et affirme des choix formels forts. Comme si la parole était mise en scène. Où se situe le réel ?

Il n’y a pas de scénarisation de la parole puisqu’elle est libre et spontanée. Ensuite au montage, la priorité a été donnée à l’intensité émotionnelle du moment. Ce choix a favorisé une construction du film non thématique et sans progression narrative. Ce qui m’intéresse ce n’est pas la réalité apparente du quotidien, mais plutôt les enjeux qui alimentent le vécu des personnes. Avant le tournage, j’ai essayé d’identifier des liens entre mon propos sur le potentiel de la vieillesse et les personnages du film. À partir de premières interviews, j’ai essayé de comprendre leurs motivations.

Par exemple, Madeleine est très intéressée par l’art contemporain ou les voyages. Son « moteur » est de découvrir de nouvelles activités ou de nouvelles personnes. Je lui ai proposé de visiter le quartier chinois de Paris, qu’elle ne connaissait pas. Sa curiosité naturelle a été largement satisfaite par ces rencontres insolites. Les scènes avec Madeleine montrent que cette étape de la vieillesse peut-être aussi un moment de découverte de soi, des autres. Il y a une sophistication des images. Je pense par exemple à un « pano » sur des branches d’arbres enneigés.

C’était une manière d’apporter de la poésie ?

Mon intérêt ne se porte pas sur la poésie, mais sur ce que suggèrent les images ou les poèmes japonais (les haïkus). Les plans se focalisent sur des détails, comme les marques de la peau, ou au contraire montrent une vue globale de l’environnement quotidien des personnages. Le principe du haïku est d’évoquer un événement éphémère à l’intérieur d’un processus universel. Comme la condition humaine. Notre vieillesse est à la fois unique tout en s’inscrivant dans une finitude immuable.

Cette sophistication ne semble pas empêcher une simplicité, voir authenticité dans le rapport que vous entretenez avec les personnes du film.

La difficulté était d’être simple tout en essayant d’approcher l’essentiel. Je pose des questions difficiles à aborder en tant qu’interviewés et à recevoir en tant que spectateurs. Chaque personnage parle de la dégradation physique, de la perte des proches, de la disparition du désir physique ou de la mort. La beauté des images et la douceur du rythme permettent aussi de mieux accueillir la rudesse des sujets.

Le rythme du film peut sembler déroutant avec ces mouvements de caméra lents.

Le rythme assez lent des mouvements de caméra et du montage n’est pas du tout là pour évoquer la lenteur imposée par l’âge. La vieillesse est l’état idéal pour rompre avec l’urgence et la vitesse, pour savourer enfin le moment présent. Comme si par un phénomène de compensation, ce que la vieillesse apporte en contraintes, elle peut aussi le redonner en atouts.

Vous avez la moitié de l’âge des personnes de votre film. Qu’avez-vous appris à leur contact ?

Après ce film, une évidence oubliée m’est apparue. La fin de sa vie ressemble à celle que l’on s’est construite tout au long de son parcours. Mais il n’est jamais « trop tard ». L’aspect positif est que nous avons une capacité d’action sur nos propres vies. Enfin et c’est presque un cliché, je crois que ceux qui ont vécu longtemps ont des choses à partager avec nous ; sur leurs propres expériences du travail, de l’amour, du deuil des autres et de soi. Les quelques années qui leur restent les incitent à aller à l’essentiel.

Pourquoi ne pas suivre ce principe dès à présent ?

J’ai beaucoup travaillé pour arriver à pouvoir vivre dans l’instant.

Mon sens de l’âge par Pierre Le Coz, philosophe et vice-président du Comité national d’éthique

Ils sont six. Tous octogénaires. Il y a longtemps qu’ils ne sont plus des retraités. Ils sont retraités… de leur retraite. Ludovic Virot s’est plu à croiser leurs trajectoires existentielles. Pour nous les présenter, il s’est rendu présent à eux. Il a voulu qu’ils puissent s’exprimer authentiquement et donner le meilleur d’eux-mêmes. En arrêtant sa caméra sur la peau érodée de leurs visages lumineux, son film donne à écouter, à contempler, à méditer…

Ces vieux-là ne sont pas les vieux de nos clichés. Ils ne parlent jamais pour ne rien dire. Leurs propos sont pesés et sous-pesés. A la question qui leur est posée, on dirait qu’ils avaient déjà souvent pensé. Sans fard et sans détour, ils nous parlent de la vulnérabilité de leur corps, de l’incertitude du lendemain. Ils racontent leur histoire mais ne se racontent pas d’histoire. Ils témoignent du courage de vieillir, de la magnanimité de savoir devenir vieux.

Dans ce film, le sentiment d’unicité des personnages est accusé par l’absence d’allusion familiale. Jamais, en effet, il n’est question des enfants, petits-enfants ou arrière-petits enfants. C’est qu’un « vieux » ne se réduit pas à un statut social, à l’identité de « grand parent » ou « arrière grand parent». Nous vivons au milieu des autres mais nous ne sommes pas eux. Chacun est un monde à lui tout seul. Cette solitude est un face-à-face loyal avec soi-même. Quand la mort se rapprochera de moi, nul ne pourra prendre ma place. La condition d’être vieillissant nous ramène à la vérité d’une solitude ontologique fondamentale.

On peut comparer entre eux des parcours de vieillesse mais la vieillesse est une ultime étape qui n’est pas comparable aux phases antérieures de la vie. A chaque âge, son sens et sa saveur, ses attentes et ses désirs. N’opposons pas la statique de la vieillesse à la dynamique de la jeunesse. En soi, être vieux n’est ni un bien ni un mal. Ce n’est pas plus une injustice qu’une grâce. C’est un autre chapitre à écrire au livre de notre existence.

Ludovic Virot nous rappelle qu’il existe une « vérité du coeur » inaccessible aux outils statistiques de la rationalité scientifique. La raison n’a pas le monopole du savoir. La sensibilité aussi est une forme d’accès à la vérité. À ce titre, ce film représente une contribution majeure dans la perspective philosophique d’une réhabilitation de l’intelligence intuitive et globale de la vie humaine dont notre société a le plus grand besoin.

Article publié le 18/08/2011 à 10:48 | Lu 4752 fois