Je n'ai rien oublié : thriller familial sur fond de maladie d’Alzheimer (film)

Je n’ai rien oublié, le quatrième long-métrage de Bruno Chiche sort aujourd’hui dans les salles avec dans les rôles principaux Gérard Depardieu, Niels Arestrup et Françoise Fabian. Un thriller familial sur fond de maladie d’Alzheimer inspiré du roman de Martin Suter Small World.


L’histoire : depuis des années, Conrad Lang vit aux crochets de la riche famille Senn.

D’abord camarade d’enfance de Thomas, puis gardien de leur maison de vacances à Biarritz, ils l’utilisent comme bon leur semble et lui s’en satisfait.

Mais lorsque son état de santé se dégrade, lorsqu’il se met à raconter à Simone, jeune épouse de l’héritier Senn, des souvenirs d’enfance qui ne collent pas tout à fait à l’histoire officielle de la famille, Elvira, la matriarche, se montre étrangement menacée. Comme si ce vieux fou inoffensif portait en lui les moyens de la détruire.

C’est alors qu’entre Conrad et Simone va naître une amitié étrange, amenant la jeune femme à faire face, pour lui, à une Elvira bien plus dangereuse qu’il n’y paraît.

Entretien avec Bruno Chiche, le réalisateur de Je n’ai rien oublié

Qu’est ce qui vous a incité à faire partie de ce projet ?

J’ai eu un vrai coup de foudre de lecteur pour ce roman. J’ai d’abord été emporté par sa face romanesque née de ce personnage de Conrad entre deux mondes : le monde réel et son monde imaginaire.

Puis j’ai été passionné par le secret qui sous-tend cette histoire et transforme ce roman en thriller familial. Pour autant, lorsque j’ai refermé le livre, j’étais persuadé qu’il était inadaptable. Et puis, un jour, j’étais chez moi dans le centre de la France, en convalescence, je me suis replongé dans «Small World », sans raison particulière. Et là, je me suis mis à l’annoter, bref à commencer à réfléchir à une éventuelle adaptation.

C’était une envie inexplicable, presque animale. Mon producteur Nicolas Duval avait certes acheté les droits du livre. Mais je n’envisageais pas de le porter moi-même à l’écran. Ce projet s’est en fait imposé à moi. Comme j’aimais l’univers de ce livre, j’ai juste eu envie de passer le plus de temps possible avec Conrad, je me sentais étrangement proche de lui.

Comment alors adapte-t-on ce livre fleuve pour en faire un film ?

Il y avait en effet de quoi faire plusieurs films à partir de « Small World ». Il y a de toute manière plusieurs façons d’adapter un roman. Soit on le recopie, soit on décide de le refermer une fois pour toutes et d’utiliser ce que sa mémoire a sélectionné pour créer une intrigue à partir de l’histoire du roman. Et c’est cette option que j’ai choisie. Certains expliquent qu’il faut trahir le livre qu’on adapte, je n’aime pas trop ce mot. La première partie du roman raconte l’histoire d’amour entre Conrad et une jeune femme du nom de Rosemary. Sa deuxième partie se concentre sur les conséquences de la perte de mémoire de Conrad : ses souvenirs d’enfance qui remontent à la surface et mettent en péril la famille bourgeoise avec laquelle il a des liens depuis toujours. C’est cette partie-là qui m’intéressait le plus.

Pour écrire le scénario, j’ai donc trahi la structure du livre mais pas son âme. Pour vous donner un exemple, j’ai choisi de laisser tomber le personnage de Rosemary en tant que tel. Mais comme certains aspects de sa personnalité m’intéressaient, je les ai intégrés dans d’autres personnages : ceux de Simone et Elisabeth. Avec l’adaptation, il faut toujours prendre garde à ne pas être trop révérencieux, surtout quand on a eu un immense plaisir à lire un livre.

Avec la maladie d’Alzheimer en toile de fond, l’un des défis de cette adaptation était aussi de ne pas tomber dans le pathos. Comment vous y êtes-vous pris ?

La première partie du roman de Martin Suter avait un aspect presque documentaire, quant à l’approche de la maladie. J’ai en effet préféré la laisser de côté.

D’une part parce que d’autres cinéastes s’étaient déjà emparés avec talent de ce sujet mais surtout, je n’avais pas envie de montrer cette maladie comme un documentariste. Je me suis donc logiquement concentré sur la deuxième partie du livre, où la dramaturgie s’impose sur la tragédie.

J’ai préféré raconter les effets étranges de cette maladie qui fait remonter à la surface de ceux qui en sont atteints, les souvenirs sans doute les plus importants de leur vie. Et, pour éviter de sombrer dans le pathos, j’ai souhaité que l’émotion passe en permanence par le filtre des personnages qui entourent Conrad : certains touchés par lui, d’autres agacés par sa présence. Je n’ai rien oublié n’est donc pas construit sur une note unique de compassion, le mystère qui entoure son intrigue entraîne le spectateur vers ailleurs. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai voulu entamer le film par une fausse piste. Je trouvais intéressant que le public soit un peu perdu au départ, qu’il ne sache pas vraiment qui est qui, puis qu’il reconstitue petit à petit les pièces du puzzle.

Pourquoi avoir choisi de confier le rôle de Conrad à Gérard Depardieu ?

J’ai toujours eu envie inconsciemment que ce soit Gérard qui interprète ce rôle. Mais j’avais très peur de tourner avec lui. C’est un homme que l’on disait très imprévisible dans ses comportements, ça peut effrayer, surtout quelqu’un comme moi qui n’a pas tourné beaucoup de films. Mais le visage de Gérard s’invitait en permanence entre les lignes du scénario. Car si Depardieu a un côté terrien, hyperactif, boulimique et j’en passe, c’est aussi un homme d’une légèreté et d’une délicatesse absolues et qui, comme Conrad, vit, flotte dans un autre monde, un monde bien à lui.

Finalement nous nous sommes rencontrés, nous avons commencé à parler de cet étrange personnage et sommes tombés d’accord sur le fait qu’il ne fallait pas l’appréhender comme un malade, mais comme un homme libre, affranchi de toute notion de temporalité. Pour avoir oublié ce qu’il a fait cinq minutes plus tôt, pour ne pas se poser la question de savoir ce qu’il fera cinq minutes plus tard, il est dans l’émotion brute de l’instant présent. Dans un monde où nous sommes tous rattrapés par l’angoisse du passé et celle du lendemain, j’aimais montrer ce personnage hors normes, brut et lumineux. N’est-ce pas d’une certaine manière le portrait de Gérard Depardieu ? Alors qui d’autre ?

Comment s’est passé le tournage avec lui ?

Extrêmement bien car je crois que pour toutes les raisons évoquées plus haut, Gérard avait rendez-vous avec Conrad. On se conduit bien lorsqu’on est bien avec quelqu’un. Mais derrière votre question, il y en a, bien entendu, une autre. Comment se passe un tournage entre un « jeune » metteur en scène et une légende vivante comme Gérard ? La seule chose que je peux vous dire, c’est que jamais il ne m’a fait sentir le poids de son immense carrière. Il a eu la délicatesse de ne jamais me dire « Ecoute mon petit bonhomme, j’ai tourné avec Truffaut, Pialat, Ridley Scott, alors ce n’est pas toi qui va m’expliquer…». Non, Depardieu a l’humilité de grands bonshommes qui vous donnent de la confiance. Il est en ce sens, d’une grande élégance.

Pour la première fois de sa carrière, il a pour partenaire Niels Arestrup, à qui vous avez confié le rôle de son ami d’enfance, Thomas. Qu’est-ce qui vous a décidé à les réunir ?

Premièrement parce que Niels est l’un de mes acteurs préférés au monde. Et deuxièmement, parce que Thomas et Conrad sont à mes yeux les deux faces d’une même pièce. Or, cette idée-là correspond précisément à ce que Gérard et Niels peuvent dégager. En apparence, ils sont le jour et la nuit, le chaud et le froid, le volcanique et le cérébral. Mais la réalité n’est pas aussi tranchée !

Dans le rôle de Thomas, j’avais besoin d’un comédien charismatique, capable de faire le poids face à Gérard et d’incarner un homme à qui, comme dans l’intrigue, Conrad peut vouer une amitié quasi fraternelle mais aussi teintée d’admiration.

On connaît Niels dans des personnages généralement plus violents, plus brutaux. Mais lorsque je l’ai rencontré, j’ai senti en lui une dimension ironique mais aussi tendre et même fragile, capable d’une grande élégance qui convenait parfaitement au personnage de Thomas. Et puis, très vite, j’ai découvert en lui un sens de l’humour assez peu exploité au cinéma. Du coup j’ai fait évoluer le personnage de Thomas dans ce sens-là. Il était plus cynique sur le papier… Dans le film, son personnage est en souffrance, d’une souffrance qu’il ne s’explique d’ailleurs pas, elle est inconsciente. En donnant à Thomas ce sens de l’humour que peuvent avoir des personnages aristocratiques, Niels a donné à cet homme une dimension à la fois tragique et drôle.

Je déteste l’idée de faire entrer un acteur dans une boîte, surtout quand il s’agit de Niels Arestrup. Cela dit, vu son amour des contraintes, il aurait brisé les chaînes et m’aurait tapé dessus avec… Lui aussi c’est quelqu’un !

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir Françoise Fabian dans le rôle d’Elvira, la «matriarche» de cette famille ?

Pour incarner Elvira, il me fallait une comédienne capable de jouer une femme avec un immense contrôle de soi : quelqu’un de très soigné et qui fait plus jeune que son âge. La première fois que j’ai vu Françoise, je lui ai d’ailleurs dit : « Je vous adore. Vous n’avez qu’un seul défaut, c’est que vous faites trop jeune ! » (rires).

Quand on rencontre Françoise, on ne se dit pas d’emblée qu’elle est Elvira. Françoise aime la vie, elle est généreuse, marrante, profondément artiste. Et Elvira est tout le contraire, dans le contrôle et le calcul : une dissimulatrice, une joueuse d’échecs. Mais, comme avec Niels, quelques minutes en face d’elle suffisent à comprendre qu’elle pourrait aisément dégager tout cela. Je ne voulais faire d’Elvira ni un monstre, ni une gentille. Car je pense que les pires ordures ont les meilleures raisons du monde de l’être. Et Françoise était la femme de la situation.

Avec Je n’ai rien oublié, vous retrouvez aussi le temps d’un second rôle, Nathalie Baye, l’héroïne de votre premier long métrage, Barnie et ses petites contrariétés…

Nathalie joue un personnage qui n’existait pas en tant que tel dans le livre : l’ex épouse de Thomas, mère de Philippe et… ancienne maîtresse de Conrad. C’est pour une comédienne de l’envergure de Nathalie, une participation, mais pour le film, c’est un rôle essentiel. Elle interprète le rôle du grand amour de Conrad. Le fait que ce couple existe déjà dans l’inconscient du spectateur compte dans la narration du film. Pas besoin d’expliquer pendant des heures ce qui s’est passé entre eux quand on les voit pour la première fois ensemble dans le film.

Mais il est tout aussi évident que pour un metteur en scène –qui plus est, de ma génération– c’est un privilège jouissif de voir jouer Nathalie Baye avec Gérard Depardieu dans l’oeilleton de sa caméra… Il faut dire que si les films de Duvivier, Janson, Prévert ou Audiard ont déclenché ma fascination pour le cinéma grâce à la mélodie de leurs dialogues, ce sont des acteurs comme Gérard ou Nathalie qui m’ont donné l’envie de passer ma vie aux côtés des comédiens.

Lorsque j’avais vingt ans et que je voyais des films interprétés par eux et quelques autres évidemment (je ne vais pas me fâcher avec tout le cinéma français), il m’arrivait de fermer les yeux… Et je partais… Je rêvais… Ce n’est certainement pas pour rien que Truffaut l’avait choisie pour réveiller par téléphone Charles Denner tous les matins dans L’homme qui aimait les femmes. Il se pâmait en écoutant sa voix, comme moi, depuis vingt ans.

(…)

Alors que Je n’air rien oublié s’apprête à sortir sur les écrans, pouvez-vous me dire ce qu’il représente pour vous ?

Qu’est ce qu’on fait de ce qu’on a fait dans la vie ? Ce n’est pas un hasard si j’ai fait ce film à la quarantaine un peu passée, à un âge où l’on prend conscience de son passé et où l’on essaie de recoller tant bien que mal les pièces de son propre puzzle. Quand on est adolescent, on envoie valdinguer son passé, on ne veut conjuguer la vie qu’au futur.

Mais à 40 ans, nos souvenirs d’enfance, la place de nos parents, nos erreurs, nos regrets comme nos joies reviennent sonner à la porte. Plus question de ne pas la leur ouvrir ! On a tendance à parfois se mentir à soi-même. Mais il y a un jour où la vérité éclate, inéluctablement. Et ce jour-là, on a envie d’en faire un film. En cela d’ailleurs, la fin de Je n’ai rien oublié est assez joyeuse puisque les choses reprennent leur place. On sent que la vie va pouvoir continuer dans la vérité et non plus dans le mensonge…

Je n'ai rien oublié de Bruno Chiche
Avec : Gérard Depardieu, Alexandra Maria Lara, Françoise Fabian, Niels Arestrup, Nathalie Baye, Yannick Renier
Sortie en salles le 30 avril 2011

Publié le 30/03/2011 à 11:00 | Lu 4095 fois





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