Forum Santé Publique : le vieillissement porteur d’innovation (partie 1)

A l’occasion du 4ème Forum Santé Publique organisé par le laboratoire Sanofi-Aventis, qui s’est tenu le 3 décembre dernier à l’Institut Océanographie de Paris, de nombreux experts se sont réunis pour réfléchir sur les enjeux et les solutions à apporter ensemble aux défis du vieillissement. En voici la synthèse, qui sera publiée aujourd’hui et demain en deux parties.


1/ Les enjeux médico-sociaux et économiques face aux défis démographique, épidémiologique et sociologique du vieillissement

A/ Le défi démographique

Le vieillissement de la population française est inéluctable car déjà inscrit dans la pyramide des âges. Cet allongement de la durée de vie ne fera que s’amplifier les années futures. Après un léger recul en 2008, l'espérance de vie des femmes est, en effet, repartie à la hausse en 2009, gagnant deux mois, à 84,5 ans, selon les données publiées par l’Insee. A l’horizon 2060, une personne sur trois aura plus de 60 ans, selon les dernières prévisions de l’Insee, dévoilées en octobre dernier.

B/ Le défi médico-social

Vieillir, c’est d’abord vivre plus longtemps en bonne santé : le vieillissement de la population n’est pas uniquement à la source de nombreuses maladies liées à l’âge comme l’arthrose, l’ostéoporose, et dans certains cas, les maladies cardiovasculaires et le diabète. Mais, il doit être abordé dans une dimension plus globale.

En effet, la prise en charge du vieillissement de la population française n’est pas seulement une affaire de médecine. Une coordination entre le médico-social et le sanitaire s’avère indispensable pour permettre aux personnes âgées de rester chez elles. Pour le plan Solidarité Grand Age, « l’offre de soins et de services à domicile doit être développée et adaptée, pour répondre aux attentes des personnes âgées et leur permettre de conserver leur cadre familial habituel le plus longtemps possible. » A cet égard, le rôle des aidants, s’appuyant sur les solutions mises en place pour faciliter le maintien à domicile, s’avère primordial.

La prise en charge des enjeux du vieillissement est pluridisciplinaire. Ministère de la santé, associations, agences régionales de santé (ARS), élus locaux et bien-sûr, professionnels de la santé ont tous un rôle à jouer.

La France sur les traces du Japon

Selon les Nations Unies, l’âge médian de la population mondiale s’établissait, en 2009, à 28 ans, ce qui signifie que 50% d’entre-elle étaient moins âgés que 28 ans, les 50% restants plus âgés. Cet âge médian était le plus élevé en Europe (40 ans) et le plus faible en Afrique (19 ans) ; il variait de 15 à 43 ans selon les pays. La population du Japon était et reste la plus âgée du monde avec un âge médian de 44 ans, talonnée par l’Allemagne et devançant de 20 places la France (près de 40).

Sur la scène internationale, la France possède une particularité. « On y vit très longtemps et en bonne santé. Parallèlement, le pays affiche un taux de fécondité de 1,99 enfant par femme en 2009, le plus élevé de tous les pays européens, avec l’Irlande et le Royaume-Uni », constate Denis Jacquat, député de la Moselle, qui préside le Groupe d'Etudes sur la Longévité de l’Assemblée Nationale.

Le Japon, pays où le vieillissement de la population est le plus crucial, a pris très tôt en considération ce phénomène. L’Archipel s’est, en effet, très tôt, engagé, sur la voie des réformes. Il est en passe de faire du vieillissement une dynamique d’innovation et de consommation. Cet exemple pourrait servir de référence à la France, confrontée aujourd’hui au départ à la retraite de ses baby-boomers. Ces premières générations d'après seconde guerre 1939-1945 ont atteint ou dépassé les 60 ans depuis 2007.

D’autant que, comme le souligne l’Institut Montaigne, « Optimiste, la vision japonaise n’en oublie pas d’être offensive : il n’y a pas d’autre alternative à la conservation d’un système généreux de protection sociale que de faire du vieillissement une dynamique d’innovation et de consommation. La France, quant à elle, ne l’envisage que sous des aspects négatifs, en pointant le coût prohibitif des retraites et la dérive du coût de la santé. Si bien que le vieillissement de notre population est d’abord perçu comme une menace, pour la créativité et la croissance

Une constatation partagée par Bernard Ennuyer, sociologue, directeur d’un service de maintien à domicile dans le XVIIème arrondissement, à Paris. « La France a une image très négative de la vieillesse. Pourtant, la plupart des personnes de 65 ans et plus vieillissent bien même si ce n’est pas le cas pour 8 à 10% de la population de 65 ans restant. De bonnes initiatives ont été mises en place, des gérontopôles fonctionnent bien, mais certains des services créés manquent encore parfois cruellement de coordination ».

Ces dernières années, la France a accompli de grands progrès dans la mise en place d’un système de soins des personnes âgées. Il lui reste encore des progrès à accomplir pour améliorer encore la coordination entre le sanitaire et le social, entre les soins de ville et de l’hôpital, les différentes sources de financement, les sociétés privées et les associations de maintien à domicile.

Accroissement de l’espérance de vie

L'espérance de vie des Françaises est supérieure de deux ans à celle des femmes de l'ensemble de l'Union européenne à 27, selon l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (Insee). En Europe, seules les Espagnoles ont une espérance de vie supérieure de quelques mois aux Françaises.

En revanche, l'espérance de vie des hommes continue sa progression régulière en France mais reste juste au niveau de la moyenne des principaux pays européens. Un garçon né en 2008 en France peut espérer vivre jusqu'à 77,6 ans contre 76,2 ans dans l'ensemble de l'Union européenne à 27. La Suède et l'Espagne figurent en tête du classement : les garçons nés en 2008 peuvent espérer y vivre plus de 79 années.

Ainsi, la France est confrontée à une situation inédite. Le nombre de plus de 60 ans n’a jamais été aussi important (22,6% de la population au 1er janvier 2010) et ira croissant. Il lui faut donc trouver des solutions. Les pouvoirs publics et l’Assemblée nationale en ont conscience comme le rappelle Denis Jacquat. « Notre groupe a vocation à être un lieu privilégié de dialogue, de réflexion et de proposition. Ouvert aux quatre groupes politiques composant l’Assemblée, il doit permettre de faire évoluer les mentalités et de formuler des solutions concrètes aux problèmes posés par cette «révolution». Il aspire à aborder sans tabou toutes les conséquences de l’allongement de la durée de la vie, son impact sur l’économie, sur la société, sur la politique et sur la santé publique. Il devra également être envisagé comme un outil de comparaison international et européen, afin d’identifier et étudier les meilleures pratiques. »

C/ Le défi épidémiologique

Pour que la population reste en bonne santé, elle doit être bien soignée. Or, le Professeur Françoise Forette regrette que les personnes de plus de 80 ans et celles moins âgées ne soient pas logées à la même enseigne. « Cette différence de traitement est liée à plusieurs facteurs : les enseignements académiques que nous donnons dans les Universités ne font pas la part assez grande aux particularités du traitement des personnes les plus âgées et certains médicaments, en particulier les plus nouveaux, n’ont pas été testés pour cette catégorie de la population en particulier. »

L’âge est un facteur reconnu de iatrogenèse et la consommation médicamenteuse est connue pour augmenter avec l’âge. L’augmentation du risque de iatrogenèse lié à l’association de ces deux facteurs constitue une raison majeure d’être attentif au bon usage du médicament chez le sujet âgé. Par ailleurs, la France a mis en place un Plan Alzheimer 2008-2012.

Aujourd’hui, en France, 6% de la population des plus de 65 ans et 18% des plus de 75 ans sont atteints de forme de démence dont 80 % de maladie d’Alzheimer. Sur les 856 000 patients atteints de démence en France, près de 300 000 seraient dépendants. D’ici 2020, selon l’Insee, 1,3 million de personnes seront touchées par la maladie d’Alzheimer, soit une personne sur quatre de plus de 65 ans. Pour Françoise Forette, Professeur de médecine interne et de gériatrie à l’Université Paris V et Présidente du Conseil de surveillance de l’Hôpital Broca (Paris), l’un des grands enjeux des années à venir est la prévention de l’ensemble de ces maladies invalidantes.

D/ Le défi économique

La France dispose de peu de données financières en matière de prévention du vieillissement de la population. La principale source d’information sur le sujet, se trouve dans l’Avis du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie d’avril 2010, porté sur le « Vieillissement, longévité et assurance maladie » qui met en cause un certain nombre d’idées reçues, souligne Isabelle Durand-Zaleski, responsable du service de Santé Publique à l’Hôpital Henri Mondor de Créteil.

« Ce n’est pas une surprise : la population des plus de 75 ans représente 8% de la population française et 20 % de la dépense de soins. Et par ailleurs, les affections de longue durée pèsent pour les deux tiers des dépenses de l’assurance maladie. Et ces patients sont majoritairement des personnes âgées. En revanche, certaines idées reçues (comme l'hypothèse que la dernière année de vie coûterait plus cher) sont fausses, si l’on en croît le rapport du Haut Conseil. En réalité, la dépense de soins de la dernière année de la vie représenterait 8 % de la dépense totale cumulée. Une autre idée reçue qui est fausse : le vieillissement ne coûte pas plus cher en dépenses de soins. En fait, les dépenses de soins sont strictement identiques entre 65 et plus de 85 ans (de 1.500 à 2.000 euros). En revanche, ce qui détermine l’augmentation de la dépense, c’est la proximité du décès mais cette dépense augmente de la même manière pour les personnes de 65 à plus de 85 ans. Le Haut Conseil conclut que ce n’est pas d’être âgé qui coûte cher, mais d’être très malade. »

Publié le 07/12/2010 à 11:19 | Lu 2405 fois