Un candide en Terre sainte de Régis Debray : lumières et court circuit


La référence voltairienne du titre ne doit rien au hasard, car il faut bien cet esprit là pour comprendre le Proche-Orient, celui d’hier, c'est-à-dire celui d’aujourd’hui.

Le livre a une double origine : une idée de François Maspéro, un projet de Jacques Chirac. Ce dernier a confié à Régis Debray « une mission sur l’état des « coexistences ethno-religieuses » au Proche-Orient en (lui) demandant « une démarche sans exclusive, conduit auprès de tous les secteurs d’opinions ».

Le rapport ne vit jamais le jour mais il sert de base à cet ouvrage passionnant rehaussé par la liberté de ton qu’il n’aurait pu avoir dans sa version officielle. Autant dire qu’il est iconoclaste mais sans provocation parce qu’érudit, dans la veine de « Dieu, un itinéraire » (1) et « Le Feu sacré » (2).
Un candide en Terre sainte de Régis Debray : lumières et court circuit

On peut être irrité par le sens de la formule quasi-systématique de R. Debray, elle est sa marque de fabrique, mais il faut bien reconnaître qu’elle amuse en donnant à réfléchir. Dinandier de la pensée intellectuelle, il martèle ses phrases, enfonce le coin dans le hiatus et grave ses idées dans nos réflexions.

En concepteur de la médiologie, cette philosophie éclairante du passage et de la transmission, R. Debray nous livre son carnet de voyage sur les traces supposées, effacées, réinventées de Jésus. Il visite tout, Liban, Syrie, Israël, Territoires palestiniens, Jordanie, Jérusalem. Ah cette excursion sur les rives du Jourdan où officiait Jean-Baptiste...

Ce qui frappe dans le récit, c’est l’omniprésence de la politique et du religieux, quand ce n’est pas du religieux dans la politique « ce qui fait le plus de peine », écrit-il « dans cette drôle d’involution de l’Etat d’Israël, invention laïque en terre d’Israël, réminiscence biblique, c’est le coup de pied de l’âme : la pointe avancée de l’esprit positif, celle des fondateurs de cet Etat, se retournant en fer de lance du surnaturel ».

Et à coté, pardon en face, la première Intifada laïque et la seconde Al Aqsa, le combattant du Fatah et le religieux du Hamas. Sur si peu de place, quelques départements français, chacun y va de son lieu de mémoire au mythe fondateur, parfois jusqu’au grotesque comme dans l’église de la Nativité. Sans parler des murs de toutes sortes.

Si pour Candide de Voltaire chaque chose est conduite à ses fins ultimes par « la fatalité en bien », pour R. Debray il n’en est pas ainsi et on ne l’a jamais vu aussi pessimiste. En citant Valéry il donne l’explication de la marche du monde, « tout ce qui est simple est faux, et tout ce qui ne l’est pas est inutile ».

Ainsi va le Proche-Orient, le meilleur possible dans le meilleur des mondes.

(1) Editions Odile Jacob, 2001
(2) Editions Fayard, 2003

Un candide en Terre sainte
Régis Debray
Editions Gallimard
454 pages
22.50 euros

Publié le 07/04/2008 à 09:11 | Lu 4577 fois