Semaine de la langue française : quand ce sont les « grands témoins » qui en parlent...

Écrivains, chanteurs, comédiens, scientifiques, plasticiens... Les « grands témoins » de cette nouvelle édition de la Semaine de la langue française et de la Francophonie font preuve d’une imagination lexicale foisonnante et débridée. Ils illustrent, par leur travail, les nombreuses possibilités de création qui donnent vie et couleurs à la langue française.





Écrivains, chanteurs, comédiens, scientifiques, plasticiens... Les « grands témoins » de cette nouvelle édition de la Semaine de la langue française et de la Francophonie font preuve d’une imagination lexicale foisonnante et débridée. Ils illustrent, par leur travail, les nombreuses possibilités de création qui donnent vie et couleurs à la langue française.
 
Chacun d’entre eux a accepté de répondre à trois questions à propos des mots,  anciens ou nouveaux, qui les font vibrer, enrager, rêver... Retrouvez leurs réponses au fil de ces interviews… De Jean-Loup Chiflet à Faïza Guène en passant par Joël de Rosnay ou François Morel… Plongée passionnante au cœur des mots sans maux de tête !
 
Claudine Brécourt-Villars
Lexicographe et professeur de lettres à Paris, elle est aussi passionnée de gastronomie. En 2013, elle a publié Mots de table, mots de bouche, dictionnaire du vocabulaire classique de la cuisine et de la gastronomie, aux éditions de La Table ronde.
 
Quel est le mot un peu oublié ou dont l’usage s’est perdu que vous aimeriez mettre à l’honneur ?
« Fâcheux », terme vieilli, aujourd’hui peu utilisé comme substantif, plus pertinent qu’« enquiquineur », euphémisme du familier « chieur » et du trivial « emmerdeur ».

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non - que vous aimeriez voir rayé à tout jamais ?
« Salope », sémantisme injurieux, lié à des normes sociales ou morales, qui fait de la femme un « objet de dégoût », assimilée à la pute, à la putain, ravalée elle aussi au rang d’ordure, au même titre que les homosexuels.

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition) qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
« Numéricophobe », substantif issu de numérique, appliqué aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) et du suffixe –phobe (du grec phobos « peur »). Définit l’individu qui éprouve de la crainte, de l’angoisse ou une intolérance par rapport aux ordinateurs et à l’informatique en général.
 
Jean-Loup Chiflet
Ecrivain et éditeur, il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés aux cocasseries de la langue française et aux expressions idiomatiques : Le dictionnaire des mots qui n’existent pas (Presses de la cité, 1992), Schtroumpfez-vous le français ? (Mots Et Compagnie , 2002) ou encore Les mots qui manquent aux Parisiens (Chiflet & Cie, 2013).
 
Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez mettre à l'honneur ?
« Calembredaine » (histoire absurde, extravagante sottise). Ce mot a la même étymologie que les « calembours » dont je suis fan.

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non- que vous aimeriez en voir rayé à tout jamais ?
« Extrémisme », évidemment pour des raisons politiques.

Pouvez-vous nous proposer un mot  (et sa définition)  qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
« Salivrer » : porter furtivement les doigts à sa bouche pour les lubrifier avant de tourner les pages d’un livre.
 
Faïza Guène
Révélée en 2004 par son premier roman Kiffe Kiffe demain (Hachette), dans lequel elle évoque son quotidien dans la cité des Courtillières à Pantin, elle a par la suite publié Du rêve pour les oufs et Les Gens du Balto. Elle a également réalisé plusieurs court-métrages. 

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez remettre à l'honneur ?
J'ai justement lu un article aux sujets des mots dits « oubliés » et l'un d'eux a retenu mon attention : « sémillance », qui signifie : vivacité d'esprit. Je le trouve joli, il ressemble à un feu d'artifice.

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non – que vous aimeriez en voir rayé à tout jamais ?
En général, tous les anglicismes de bureau qui, je trouve, n'ont pas vraiment leur place... Et « biloute », qui a fait son entrée après le succès du film de Dany Boon !

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition) qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
« L'alterance » : un mot fabriqué qui serait un genre de mélange entre l'alter, l'autre, et la tolérance. Accepter et respecter l'autre, même dans sa différence.
 
PEF
Pierre Elie Ferrier (dit PEF) est un auteur et illustrateur de littérature jeunesse, qui a déjà signé plus de 150 ouvrages tour à tour cocasses, tendres ou graves.... La belle lisse poire du prince de Motordu, publié en 1980, a été vendu à plus d'un million d'exemplaires.

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez remettre à l'honneur ?
 « Irrésistant ». On parle toujours, et c’est heureux, de la Résistance, de bien des résistances et de leurs résistants. Ceux-ci sont ainsi nommés et c’est justice de faire appellation d’actions puis de mémoire. Mais les autres, ceux qui, comme dit Pierre Dac, ont résisté de toutes leurs forces à l’envie de résister, quel qualificatif leur attribuer? Pour ceux-là il serait bon de sortir de la naphtaline dictionnarisée le mot « irrésistant »,   non   pour   stigmatiser   mais   souligner   ce   qui   fut   pour beaucoup et mille raisons, irréalisable.

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non – que  vous aimeriez en voir rayé à tout jamais ?
« Crise ».  Ce mot devrait, au moins pour quelque temps, sinon à tout jamais, être mis de côté, un peu interdit de séjour. Une cure d’oubli ferait beaucoup de bien à  cette obèse, fille trop facile, constamment sur le retour qui nous étourdit par son  identité sans cesse assénée à tout bout de champ. Ce mot est devenu fatalité, verrou, route barrée sans explication. Il a cinq lettres, ce mot, et sonne comme sœur d’injure d’un autre mot de cinq lettres. Un mot, donc, étroit qui pourtant a le dos large et fait tellement de vent que, sur son passage, tout est dit avant que nous ne passions à autre chose.

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition) qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
« Ouestine ». Des millions de mots manquent à la langue française, mais leur foule à inventer reste   désespérément muette car les dictionnaires jouent à guichet fermé. Seuls les mots à valeur d’usage poinçonné peuvent en franchir le seuil de papier. Pourtant chacun de nous peut inventer son mot à lui, libre de droits d’auteur. Ainsi j’utilise depuis quelque temps le mot « ouestine ». Il n’a pas d’équivalent masculin, il semble designer tout et rien à la fois, il n’est qu’une idée, vague lueur à l’horizon, créature mystérieuse au comportement de lande et au tropisme cardinal. Je signale que ce mot ne peut tolérer aucune extension boussolique, « Estine » est par trop marqué russe, « Sudine » a un goût de textile et « Nordine » est déjà utilisé comme prénom.
 
Pépito Matéo
Conteur-acteur passionné par l’« écriture orale », il se distingue par sa langue acérée oscillant entre humour et poésie. Dans ses spectacles pour petits et grands, véritables « rendez-vous de la parole », il bouscule les frontières entre l’art de raconter des histoires et les autres formes de création contemporaine.

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez remettre à l’honneur ?
Il y a bien des mots un peu usés que j'aimerais voir réhabilités. Comme un « tortillard », ce petit train qui n'entre plus dans les plans de nos déplacements.  Egalement les mots « mendigot », « flirtage » ou « turlupinade »... Ou encore « chahut » qui évoque la protestation, l'irrévérence et l'envie de bousculer l'ordre... J'ai toutefois un faible pour le mot « régalade » : cette invitation à boire à la gourde, en faisant jaillir le jet de loin pour partager le même récipient avec un certain art de la bonne humeur.

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non – que vous aimeriez en voir rayé à tout jamais ?
Pourquoi rayerais-je un mot du dico, de quel droit lui ferais-je un procès de mal intention ? Les mots ne sont pour rien dans ce qu'ils désignent, sinon il suffirait d'ôter les mots « barbarie », « exclusion » ou « guerre » pour les faire cesser. Au contraire les mots nous permettent de prendre en charge les choses en les nommant. Par contre, j'ai beaucoup moins d'indulgence pour les mots fabriqués par des « communicants » pour nous obliger à consommer. Car ceux-là nous sont imposés de l'extérieur afin de nous livrer pieds et poings liés au formatage de la pensée en travestissant nos rêves... Je n'aime pas les mots « management », « flexibilité », « interim », « discount » ou « réactivité », « webs-store »... Alors oui, je veux bien leur faire la peau et en particulier le mot : « merchandising» qui m'irrite passablement !

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition) qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
C'est un mot qui décrit ce qui fait l'indicible des petits gestes qui font la relation d'amitié et de respect envers les autres. Quelque chose qui nous relie, mais qui n'est pas la religion...  Ni le mot amour qui est trop large ou trop étroit... Une sorte d'humanité des petites choses, car l'humanité est un grand monument trop écrasant. Ce serait quelque chose de gratuit et d'éphémère, au-delà des clivages, des croyances et des dogmes, loin des célébrations officielles, une lumière entrevue qui tisse notre solidarité, une sorte d'étoile nous reliant... Je l'appellerais : « L'étoilité ».
 
François Morel
Comédien, écrivain et chanteur, il est également chroniqueur sur France Inter depuis 2009. Il a récemment incarné Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois Gentilhomme de Molière et est actuellement en tournée pour plusieurs spectacles, dont La fin du monde est pour dimanche mis en scène par Benjamin Guillard.

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez mettre à l'honneur ?
Le mot « pimpant » n’est plus beaucoup employé. Il est pourtant vif, alerte comme une sirène de pompier. C’est une allitération. Il claironne. Il sonne. Il est jovial, épanoui. D’une manière générale, réhabilitons tous les mots de la langue française qui exprimentla joie, la vitalité, la gaité, l’espoir !

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non- que vous aimeriez en voir rayé à tout jamais ?
Le mot collant devrait disparaître au profit du « bas-culotte » connu des québécois. Comment voulez-vous que le monde aille bien quand le même mot désigne à la fois un fâcheux, un bout de scotch, un sous-vêtement...

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition)  qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
Portabuller : manipuler son portable par désœuvrement.
 
Oxmo Puccino
Considéré comme une référence dans le monde du rap français, il se caractérise par son écriture sensible, riche de métaphores et d’images. Son sixième album, Roi sans carrosse, est sorti en 2012.

Quel est le mot un peu oublié ou dont l’usage s’est perdu que vous aimeriez mettre à l’honneur ?
Le verbe « contre-aimer ». J'adore sa signification et le temps de réflexion qu'il provoque lorsqu’on le lit ou l'entend.
Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non - que vous aimeriez voir rayé à tout jamais ?

Le mot « street art » est de trop dans le dictionnaire, la notion de « street » est galvaudé et entouré d'idées préconçues, il est peut-être trop tôt pour le faire entrer dans le dictionnaire, et puis l'anglicisme n'est pas mon fort.

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition) qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
La « gristesse ». C'est une contraction que j'aime bien. Un suffixe qui rend le gris plus noir ou un préfixe rendant la tristesse plus sombre encore. Un mot illustrant aussi le lien de cause à effet, lorsque le gris du dehors assombrit les âmes ou encore lorsque l'on vit cet état de tristesse, que rien ne semble pouvoir y remédier, lorsque la peine est tellement lourde que les yeux ne peuvent pleurer.
 
RERO
Travaillant principalement avec la police Verdana, l’une des typographies les plus utilisées sur le web, le plasticien RERO crée des « installations de texte », des messages barrés d’un trait noir qui nous interrogent sur « l’overdose d’images dont nous sommes tous victimes en milieu urbain ». Il investit l’espace public mais aussi les lieux désaffectés, questionnant la relation entre l’œuvre et le public.

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez remettre à l'honneur ?
La « vacuité » : cela signifie que toute chose ou personne dépend des autres pour exister. Tout est nterdépendant, car tout seul on n’est rien. Ce sont les interactions qui donnent du sens à la vie.

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non - que vous aimeriez en voir rayé à tout jamais ?
« Workaholisme » : cela correspond à un investissement excessif d'un sujet dans son travail et à une négligence de sa vie extraprofessionnelle. Guy Debord prônait « l'abolition du travail en tant qu'aliénation et activité séparée de la vie », or nous empruntons le chemin inverse. J’espère juste que l’apparition de ce nouveau mot permettra de nous mettre en garde.

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition) qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
La simplexité  (contraction de simplicité et complexité) est une théorie, selon Alain Berthoz, qui consiste à rendre simple une chose qui ne l'est pas (riche en fonctionnalités). « La simplexité est cet ensemble de solutions trouvées par les organismes vivants pour que, malgré la complexité des processus naturels, le cerveau puisse préparer l’acte et anticiper les conséquences ».
 
François Rollin
Il s’est fait connaître du grand public grâce à la série télévisée Palace pour laquelle il a forgé le célèbre et invraisemblable personnage de Professeur Rollin. Humoriste, acteur et metteur en scène, maniant les bons mots et la dérision avec brio, il a notamment participé aux scénarios des Guignols de l’info.

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez mettre à l'honneur ?
« Longanimité ». La longanimité, c'est, selon les dictionnaires, la patience à supporter ses propres maux, l'indulgence qui porte à pardonner ce qu'on pourrait punir. Quel joli programme, dans un monde qui se plaint tout le temps !

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non- que vous aimeriez voir rayé à tout jamais ?
Il faudrait me passer sur le corps pour que j'accepte, a fortiori que je demande, qu'un mot soit à tout jamais rayé du dictionnaire. Même les choses les plus épouvantables doivent pouvoir être nommées. Si elles deviennent littéralement « innommables », il n'est plus possible de les dénoncer ni de les condamner, et le mal triomphe.

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition) qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
Je propose le verbe « bienpenser », sans trait d'union. Bienpenser, c'est se positionner ostensiblement dans le camp de la bien-pensance. « Patrick a bienpensé pendant tout le dîner ; il nous a proprement gavés ».
 
Joël de Rosnay
Ancien chercheur et enseignant au Massachusetts Institute of Technology (MIT) dans le domaine de la biologie et de l'informatique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages scientifiques destinés à un large public, dont L’homme symbiotique, regard sur le troisième millénaire (Seuil, 1995). Il a imaginé le mot « malbouffe » dans un livre éponyme paru en 1979. Son dernier ouvrage, Surfer la Vie (éditions LLL), est paru en mai 2012.

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez mettre à l'honneur ?
« Sérendipité » (capacité, art de faire une découverte, scientifique notamment, par hasard ; la découverte ainsi faite). Je crois qu’il a été mis récemment dans le dico. Il est très utilisé dans le monde (« serendipity »).

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non- que vous aimeriez voir rayé à tout jamais ?
« Cédérom ». Si on continue dans cette ligne, il faudra ajouter « dévédé ».

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition) qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
J’en ai trois au choix : « Bionomie » (l’art ou la science du management de la vie). Il existe « Economie » (de Oikos Nomos), « Ecologie » (de Oikos Logos) et « Biologie » (de Bios Logos), mais rien sur Bios Nomos, règle de gestion de la vie, ou économie de la vie. On apprend aux enfants à être « économes » mais pas « bionomes », savoir bien gérer sa vie (nutrition, sport, gestion du stress, etc.).
« Biotique » : discipline née du mariage de la biologie et de l’informatique (terme inventé par moi en 1981).
« Ecoénergétique » : bilan énergétique fondé sur l’usage et la consommation d’énergie. Il existe pourtant la « bioénergétique », étude du flux et du stockage de l’énergie par le vivant. J’ai créé « Ecoénergétique » dans Le Macroscope  en 1975.
 
Pierre di Sciullo
Depuis 1983, il édite la revue Qui ? Résiste dans laquelle il expérimente diverses polices de caractères ainsi que des procédés littéraires et graphiques inédits.  Il a été lauréat du prix Charles Nypels à Maastricht en 1995, en récompense de l’ensemble de sa production typographique.

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez mettre à l'honneur ?
Le verbe « cauteler » : user de ruse, et surtout le nom féminin « cautèle » : finesse, prudence mêlée de ruse. Car c’est une nuance utile et précise, que les mots ruse, astuce, piège ou subterfuge ne recouvrent pas. La cautèle décrit bien l’attitude de certains personnages de Balzac, de Flaubert ou de séries télévisées contemporaines : différer une réponse, attendre et voir avant d’engager ses forces discrètement, en vue de préserver ses intérêts et de gêner ses rivaux.

Quel est le mot entré dans le dictionnaire -récemment ou non- que vous aimeriez voir rayé à tout jamais ?
« Solutionner » mérite l’oubli, alors que résoudre fonctionne si bien. Ceux qui utilisent solutionner me posent un solublème* : une solution (de facilité) qui crée un problème. Certes, le verbe résoudre est un petit peu plus délicat à conjuguer, mais sonne tellement mieux : nous résolvions (plutôt que nous solutionnions), je résous (plutôt que je solutionne), il faut résoudre la difficulté plutôt que solutionner le problème.

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition) qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
« Suffilosophe » : (nom masculin ou féminin) intellectuel à courte vue et plus généralement, toute personne qui pratique la philosophie à la petite semaine, qui émet des sentences plates, des tautologies, des truismes.

Olivier Talon et Gilles Vervisch
Respectivement docteur en chimie et agrégé de philosophie, Olivier Talon et Gilles Vervisch débusquent depuis 2007 les néologismes et idiolectes de tout poil. Le fruit de leur traque permanente est réuni dans le Dico des mots qui n’existent pas et qu’on utilise quand même (L’Express Roularta, 2013).

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez mettre à l'honneur ?
G.V. : « Inclination » : joli mot classique à la sonorité romantique. Un peu tombé en désuétude : on pourrait le confondre avec « l’inclinaison », et aujourd’hui, on parle plutôt de « penchant », de « désir » ou « d’envie ». Mais l’inclination exprime le mouvement de manière plus sensible.
O.T. : « Derechef ». Qui ne signifie en aucun cas « aussitôt », comme trop de gens semblent le croire, mais bien « une fois encore ». Il est déplorable qu’un mot déjà de moins en moins usité le soit une fois sur deux dans une acception qu’aucun lexicographe, d’Émile Littré à Alain Rey, n’a jamais osé admettre. Si son côté désuet semble devoir désormais le cantonner aux récitatifs de Blake et Mortimer ou à des discours pompeux pleins d’imparfaits du subjonctif, je ne manque pour ma part que rarement l’occasion militante de l’utiliser en toutes circonstances, du rapport administratif à la conversation courante.

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non- que vous aimeriez en voir rayé à tout jamais ?
G.V. : « Assistanat » : terme péjoratif entré dans le dictionnaire dès 1984, et revenu à la mode assez récemment. A l’origine, le terme désigne tout simplement la fonction d’assistant.  Au sens péjoratif moderne, c’est le « secours donné aux personnes socialement nécessiteuses ». Avant, on ne sait plus quand, on pouvait plutôt parler de « solidarité ». Mais pourquoi est-ce devenu péjoratif ?
O.T.: « Solutionner ». Présent dans la plupart des dictionnaires de référence qui le présentent toutefois comme critiqué ou critiquable, ce qui pose la question de savoir si un dictionnaire doit être un témoin de la langue telle qu’elle évolue ou un guide de bonnes manières vocabulistiques, ce verbe est parfaitement inutile en ceci que nul n’est jamais parvenu à le justifier par la plus subtile nuance qui le différencierait du verbe résoudre. Il est en plus paresseux, car c’est un verbe du premier groupe. Lutter pour l’éradication du verbe « solutionner », c’est lutter
pour la sauvegarde des verbes du troisième groupe.

Pouvez-vous nous proposer un mot  (et sa définition)  qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
G.V. : « Banqueroutable » (prononcer : « bankroutaibeule ») : pour désigner les acteurs ou actrices qui, par leur seul présence dans un film, en garantissent l’échec commercial. Parce qu’il y a toujours des acteurs qu’on déteste, et à cause desquels on n’irait pas voir un film, même s’il est bon.
O.T. : Si l’on entend par « mot qui fait défaut à la langue française » un mot qui bien qu’il soit d’un usage relativement répandu n’est toujours pas repris dans la plupart des dictionnaires sans que l’on comprenne bien pourquoi, mon cœur balance entre « capillotracté » et « epsilonesque ». Si l’on cherche plutôt à populariser, comme Jacques Chirac l’a fait avec l’ « abracadabrantesque » de Rimbaud, un néologisme littéraire qui n’a pas fait florès, le verbe « chéquander » inventé par Queneau dans Les derniers jours pour dire « se serrer la main » pourrait être un bon candidat. Si enfin il s’agit ici de néologiser en toute liberté pour tenter de donner un nom à ce qui n’en a pas mais en mériterait peut-être un, à la manière des xyloglottes, alors « notoglycoclaste » pourrait fort bien désigner un médisant qui passe son temps à casser du sucre sur le dos des autres.
 
Miss Tic
Plasticienne, poète et figure incontournable du street art, Miss Tic s’est fait connaître dans les années 1980 en dessinant au pochoir, sur les murs de Paris, des personnages féminins accompagnés de messages, jeux de mots et calembours. Elle expose aujourd’hui dans de nombreuses galeries françaises et internationales, tandis que ses phrases et dessins ont fait l’objet de plusieurs publications (Je prête à rire mais je donne à penser, éditions Grasset, 2008).

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez mettre à l'honneur ?
"Musarder" : passer son temps à flâner.

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non- que vous aimeriez en voir rayé à tout jamais ?
Bas-culotte, qui est synonyme de collant.

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition)  qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
« Cœurelle » : dispute entre amoureux.
 
Marcel Bénabou
Ecrivain et historien français, il est depuis 1969 membre de l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), au sein duquel il cumule les postes de Secrétaire définitivement provisoire et de Secrétaire provisoirement définitif. Il est l'auteur d'une Anthologie de l'Oulipo, publiée aux éditions Gallimard en 2009.

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez mettre à l'honneur ?
J'aimerais qu'on remette à l'honneur le verbe « abouter » qui désigne l'action de « joindre, lier, mettre en rapport », ce qui me semble bien nécessaire dans la société où nous vivons.

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non- que vous aimeriez en voir rayé à tout jamais ?
J'ai très mal réagi à l'introduction dans le dictionnaire de l'adjectif « classieux » : je trouve qu'il manque totalement de classe, et que sa proximité phonétique avec le mot « chassieux » lui enlève tout attrait.

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition) qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
Je sens depuis longtemps l'impérieuse nécessité de créer le mot « oligographe », qui servirait d'antonyme pour le mot polygraphe, et qui désignerait donc une personne qui écrit peu et avec difficulté.
 
Frédéric Pommier
Frédéric Pommier est journaliste et chroniqueur sur France Inter. Il est par ailleurs l'auteur de deux ouvrages sur le langage médiatique : Mots en toc et Formules en tic - Petites maladies du parler d'aujourd'hui (Le Seuil, 2010) et Paroles, paroles - Formules de nos politiques (Le Seuil, 2012). Sa première pièce de théâtre, Le Prix des boîtes (éd. Actes Sud, 2013), a été créée au théâtre de l'Athénée-Louis Jouvet au printemps 2013. Prochain livre à paraître : L’assassin court toujours... et autres expressions insoutenables (Le Seuil, mai 2014).

Quel est le mot un peu oublié ou dont l'usage s'est perdu que vous aimeriez mettre à l'honneur ?
J’en propose un pour chaque lettre de l’alphabet (mais attention, il y a un piège) : "Algarade", "Billevesée", "Calembredaine", "Dragonner", "Emboucaner", "Fanfreluche",   "Grippe-coquin",   "Hurlupé",   "Irrision",   "Joliveté", "Kopeck", "Lantiponner", "Mugueter", "Naqueter", "Oison", "Pouacre", "Quinteux",   "Ragotin",   "Sacripant",   "Turlutaine",   "Ubiquiste", "Végétailler", "Water-closet", "Xyloglotte", "Youpi", "Zigomar".

Quel est le mot entré dans le dictionnaire - récemment ou non- que vous aimeriez en voir rayé à tout jamais ?
Si l’on s’en tient uniquement à leur sonorité, les mots « nyctalope » et « concupiscent » auraient dû, je pense, être rayés depuis longtemps de tous les dictionnaires. Le mot « superfétatoire » pourrait aussi disparaitre. Parce  qu’il est précisément ce qu’il signifie –inutile, superflu, prétentieux : superfétatoire !

Pouvez-vous nous proposer un mot (et sa définition) qui, à votre avis, fait défaut à la langue française ?
Je suggère le mot « surréalhystérie ». Affection se manifestant par l’usage abusif du mot « surréaliste », notamment dans des circonstances qui ne le sont pas du tout : pour parler d’automobilistes coincés dans les bouchons un jour de départ en vacances – « une situation surréaliste » ; pour parler de la neige qui tombe en
hiver – « des paysages surréalistes » ; pour parler d’une moussaka dans laquelle on a ajouté des carottes ou du paprika – « une recette surréaliste ». Les personnes atteintes par « la surréalhystérie » sont souvent touchées   également par « l’ubuescarre » et par « la kafkaïose ».
 
*mot entré dans le dictionnaire en 2013

Article publié le 07/02/2014 à 09:19 | Lu 2461 fois