Réfugiés climatiques : quand le climat rend la cohabitation intergénérationnelle obligatoire (BD)

Les éditions Grand Angle viennent de publier la bande dessinée intitulée « Réfugiés climatiques & castagnettes » de David Ratte qui aborde deux thématiques très contemporaines : le réchauffement climatique et le vivre ensemble intergénérationnelle. Interview de l’auteur.





Vous avez fait le choix de la dystopie en plaçant votre récit dans une réalité actuelle, mais parallèle. Pourquoi ?
Une importante crise migratoire due au réchauffement de la planète nous pend au nez. Les réfugiés
climatiques existent déjà. Ce sujet ne relève pas de la science-fiction, tout comme une pandémie mondiale finalement.
 
Si on nous avait annoncé il y a un peu plus d’un an ce qui nous arrive, on aurait eu du mal à le croire. En réalité, le virus a fait basculer le monde en quelques semaines. Insérer de la technologie dans mon récit ne m’intéressait pas, je voulais rester proche de notre quotidien, de notre société. Et le sujet de cet album place l’humain au centre.
 
Car il est intéressant d’observer les réactions des gens face à une situation grave. La crise est un bon révélateur de l’âme humaine finalement.
 
Cette crise climatique est traitée par le biais de la rencontre d’un jeune Parisien avec une vieille
dame espagnole. Comment cette idée vous est-elle venue ?

Je m’imprègne souvent de mon entourage. Mon précédent album, Ma fille, mon enfant, m’avait été inspiré par l’histoire de ma mère confrontée toute jeune au racisme ordinaire.
 
Cette fois, j’ai voulu rendre hommage à ma belle-mère, une vieille dame espagnole que nous avons hébergée, ma femme et moi, pendant plusieurs années. Cette orpheline embauchée dès son plus jeune âge comme « bonne », à la vie difficile, est entrée dans mon existence un peu comme le personnage de Maria dans celle de Louis.
 
Ensuite, comment réunir une vieille Andalouse et un jeune Parisien ? En imaginant simplement cette
crise migratoire très probable dans un futur pas si lointain. Car les problématiques climatiques m’interpellent depuis très longtemps. Ma série Toxic Planet, écrite il y a plus de dix ans, en atteste.
 
Au-delà de la crise climatique, vous n’êtes pas tendre avec le traitement des seniors…
Dans notre culture, on laisse les personnes âgées de côté. Cette pandémie a mis en valeur cette tendance à l’abandon des plus vieux, et pas seulement en France.
 
Pourtant, d’autres sociétés restent davantage tournées vers la famille. Un ancien reste au milieu des siens jusqu’à sa mort. Pour notre défense, notre société est organisée de telle façon que les gens ne possèdent ni le temps ni l’espace pour s’occuper des plus âgés, qui par ailleurs, ne veulent pas forcément loger avec leurs enfants. Finalement, en se déconnectant des générations précédentes, on
se prive de leur richesse.
 
Vivre avec ma belle-mère pendant plusieurs années s’avéra une expérience parfois pesante, mais emplie d’humanité. Dans cet album, on découvre un jeune homme élevé dans un milieu bourgeois un peu froid, qui n’a pas eu le mode d’emploi pour vivre avec une personne âgée. Mais il découvre la chaleur d’une famille grâce à cette vieille dame.

Réfugiés climatiques : quand le climat rend la cohabitation intergénérationnelle obligatoire (BD)
Avez-vous d’autres sources d’inspiration ?
Je lis beaucoup, je regarde aussi de nombreux films, séries, documentaires… D’ailleurs, quand je travaille, j’ai besoin d’images pour m’inspirer. Je pense que tout ce que j’ai vu, lu, entendu, m’a nourri pour me pencher à nouveau, et plus sérieusement, sur l’écologie, le climat.
 
La paperasse administrative possède ici un vrai rôle dans le destin des personnages… Un travers bien français ?
C’est vrai, mais je ne m’en suis même pas rendu compte ! Afin d’imaginer les réponses d’un gouvernement face à une telle crise, je me suis inspiré du pays dans lequel je vis : une France bureaucratique avec ses lenteurs.
 
On aperçoit par exemple des réfugiés qui restent en transit sous des tentes, en attente de logement. Je me suis aussi amusé à ajouter des petits détails très français comme « l’ordre de réquisition de surface habitable », le « coût de l’allocation forfaitaire mensuelle » ou les « poursuites pénales » en cas de refus d’obtempérer. Je précise que tout cela a été écrit avant la crise sanitaire…
 
Entre solidarité et rencontres, cet album reste optimiste malgré tout.
La solidarité n’est pas naturelle chez mes personnages. Dans cette première partie de l’histoire, les gens n’ont d’autre option que d’accueillir les migrants. Mais qu’un gouvernement fasse le choix de la solidarité colle bien avec mon côté optimiste. Néanmoins, dans le deuxième tome, la société va se fissurer. Les personnages vont se révéler.
 
Or, nous sommes tous le fruit d’une expérience, d’une éducation. J’aime à penser que l’aigreur est due au malheur. J’aime ce type de personnages qui n’ont pas immédiatement de bons réflexes, qui ne débordent pas d’humanité au premier abord. Cette crise leur donne l’occasion de changer. Dans le cas de Louis, son manque affectif peut expliquer bien des réactions. Mais la situation exceptionnelle à laquelle il est confronté va le faire évoluer.
 
Vous considérez-vous comme un auteur engagé ?
Je ne suis là ni pour faire la morale ni apporter des solutions. Je ne me sens aucunement militant, mais j’aime m’interroger et simplement aborder des thèmes qui ne sont pas anodins, traiter de nos cultures et de nos modes de vie. Je ne me vois pas traiter de sujets éloignés de toute réalité. Une princesse coincée dans sa tour, pour l’instant, ne m’inspire pas… Mais sait-on jamais ?

L’histoire en quelques mots
Le réchauffement climatique s’est accentué au point que certains pays européens sont devenus
inhabitables. Les habitants de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal doivent abandonner leurs terres pour
fuir vers le nord. Pour faire face à cette crise migratoire sans précédent, les gouvernements prennent des mesures drastiques. En France, un décret ministériel ordonne la réquisition de toutes les surfaces habitables disponibles afin d’accueillir les réfugiés climatiques.
 
Louis Clémant-Barbier, un jeune homme de bonne famille souffrant de TOC et vivant seul dans un trois-pièces au rez-de-chaussée d’un petit immeuble parisien, voit sa vie basculer le jour où il reçoit son « Ordre de réquisition de surface habitable ». D’ici peu, il va devoir accueillir et cohabiter avec
une certaine Maria Del Pilar Gomez y Gomez, une octogénaire espagnole.


Article publié le 11/06/2021 à 08:00 | Lu 2734 fois