Réforme de retraite : Noël Mamère dénonce le putsch des retraites

« Forfaiture » est un mot qui claque comme un fouet, qui fait mal et donne aussitôt le sentiment que celui qui en est accusé est un forban. Dans sa définition, la « forfaiture » n'est rien d'autre que le refus constaté d'appliquer la loi, qui vaut déni de justice et manquement à la parole donnée et à son devoir. Autrement dit, elle est une trahison de la confiance d'autrui.


Par Noël Mamère

Certes, le concept de forfaiture est un peu daté ; Il est apparu dans le Code pénal napoléonien en 1810, et il en a disparu en 1994. La forfaiture était punie de la dégradation civique, c'est à dire de l'interdiction d'occuper des fonctions publiques...

Cette dégradation s'appliquerait aujourd'hui amplement à une bonne partie du gouvernement, à commencer par le Président. Mais, d'Eric Woerth à Eric Besson, de Brice Hortefeux à Christian Estrosi, il semblerait que la forfaiture soit désormais un mal commun partagé par le clan au pouvoir. Les plus hautes autorités de cet État à la dérive viennent de nous en fournir deux exemples récents.

Premier acte : le putsch des retraites.

Bernard Accoyer, Président de l'Assemblée nationale interdit aux députés de donner leur point de vue, conformément au nouveau règlement interne du Parlement. En effet, l'opposition a eu recours à son article 49-13... introduit en 2009 par Thierry Mariani, député UMP du Vaucluse !

Le principe : chaque député qui le souhaite, peut obtenir 5 minutes d'explication de vote. Mercredi matin, Bernard Accoyer se voit saisi de 166 demandes d'explications de vote, soit 13h50 de débats supplémentaires. Mais, arguant du fait que ces interventions ne relèvent que de « l'obstruction », il décide de lever la séance, sans autre explication. Pour répondre aux exigences de l'Elysée, qui n'accepte aucun retard dans le vote de la loi, il bafoue les droits élémentaires des députés et jure ses grands dieux qu'il n'a été inspiré par personne pour prendre cette décision en forme d'oukaze.

Certes, la Vème République nous a habitués à ces mauvais traitements du Parlement mais elle respectait au moins le droit d'amendement, qui permettait un débat sérieux dans l'hémicycle. Aujourd'hui, tout en affirmant vouloir renforcer les droits des parlementaires, le pouvoir traite les élus de la République comme des paillassons. Ce mépris montre à quel point les valeurs démocratiques sont bafouées dans ce pays. Cette fois, Bernard Accoyer, le doigt sur la couture du pantalon, a commis un manquement grave à l'éthique et au droit du Parlement. Il devra rendre des comptes.

Pendant ce temps, la France se mobilise. D'abord le 23 septembre. Par millions, les salariés de ce pays manifesteront contre la loi sur les retraites qui les prive non seulement d'un acquis social majeur, mais qui demande aux plus pauvres, aux femmes, aux seniors, aux jeunes, de payer le manque à gagner des caisses de retraites qu'a créé la politique économique de ce gouvernement.

Puisque le Parlement n'a pu s'exprimer sur ce sujet majeur, c'est au peuple de se prononcer. En ce sens, l'idée d'un référendum sur les retraites se justifie pleinement.

Deuxième acte : l'affrontement entre la Commission européenne et le président Sarkozy.

Au départ, un mensonge caractérisé de deux ministres, Eric Besson et Pierre Lellouche, affirmant que la circulaire du ministère de l'intérieur sur les démantèlements de camps illégaux ne spécifiait pas les Roms. La Commissaire Viviane Reding, qui avait engagé sa parole devant le Parlement européen sur la foi des déclarations de nos deux compères, se retrouve piégée.

En dénonçant avec force ce mensonge d'État, elle ne dit rien de plus que le strict rappel des faits : Les Roms sont pour l'Union européenne une minorité ethnique de 12 millions de personnes et, à ce titre, bénéficient d'une protection juridique particulière. Mais dans la France de Sarkozy, les minorités ethniques n'existent apparemment pas ; avec la caution de plusieurs ministres, un fonctionnaire peut donc se permettre de spécifier dans une circulaire : « et particulièrement les campements de roms ».

Depuis la seconde guerre mondiale, il n'y a jamais eu en Europe de ciblage des populations. Cette circulaire scélérate n'est donc pas un document anodin, mais la preuve que l'administration, couverte par son Ministère de tutelle, s'est affranchie de la Constitution qui interdit ce type de discrimination à l'encontre d'un groupe de personnes. Comme si une telle « forfaiture » ne suffisait pas, la cellule de communication de l'Elysée en a rajouté une couche dans le cynisme d'État.

A partir des déclarations de la Commissaire, Sarkozy fait de l'Europe son bouc - émissaire. Il n'y a pas de petit profit ! l'opération est menée à partir d'une triple tromperie : Un mensonge sur la circulaire, un travestissement des propos de la Commissaire, suivie d'un nouveau mensonge sur les déclarations d'Angela Merkel, démenties aussitôt par la Chancelière. Non content d'avoir dégradé durablement l'image de la France, Sarkozy piétine l'Europe au moment où celle-ci, en pleine crise sociale et économique, a le plus besoin d'unité. Appelons ces faits par leur nom : une forfaiture.

Venant après les rebondissements de l'affaire Woerth - Bettencourt - qui n'est rien d'autre qu'une affaire Sarkozy, puisqu'elle concerne le financement de sa campagne des présidentielles- le parfum de « watergate » qui plane sur la violation du secret des sources d'un journaliste du Monde, les passe - droits innombrables, à commencer par la triste affaire de l'EPAD pour son fils Jean, la « bienveillance » obligée de la police pour le fils de son patron, Pechenard, les pressions sur la justice, qui se traduisent cette semaine par les provocations répétées du ministre de l'Intérieur contre les magistrats, la coupe est pleine.

L'injustice est au pouvoir. Elle ne se cache pas. Quand la République est menacée dans son essence, le rassemblement de tous ceux qui veulent sauvegarder les valeurs inscrites aux frontons de nos mairies est nécessaire. Je sais que l'anti-sarkozysme n'est pas une alternative en soi, mais le refus de ce régime trace les lignes de ce qui pourrait en être le substitut :

- Une République des biens communs, du respect et de la reconnaissance de toutes et de tous ; Une République de la Justice sociale et environnementale, qui permette l'application la plus étendue des droits civils, politiques, sociaux, civiques, écologiques et culturels ;
- Une République qui respecte les autorités locales, régionales et européennes et ne se réduise pas aux périmètres du palais de l'Elysée, du Fouquet's et du CAC 40 ;
- Une République qui assume pleinement sa « déprésidentialisation », en réhabilitant les corps intermédiaires et en faisant du Parlement un vrai lieu de débats et de contrôle de l'exécutif ;
- Une République moderne qui s'oppose à la République du mépris dans laquelle nous sommes plongés depuis trois ans.
- La refondation de la République devient une tâche prioritaire.

Nous avons besoin d'urgence de cette rupture, face au populisme qui embrase la France mais aussi l'Europe. Ce populisme qui ronge notre pays porte deux noms : Sarkozy et Berlusconi, les pizzaiolos de la politique, fondés de pouvoir des élites politico financières qui se sont accaparées les leviers de l'État. La semaine dernière, comme par hasard, les deux larrons se sont entendus sur le dos de l'Europe. Cet axe là, il faut le briser d'urgence.

Par Noël Mamère, le 20 septembre 2010

PS/1. Le modèle suédois en crise : l'arrivée de l'extrême-droite au Parlement signe la fin d'une époque, celle de l'État Providence. Le national-populisme, en Suède comme ailleurs, surfe sur la crise en entonnant l'air de la xénophobie anti-roms et islamophobe.

PS/2. Les Verts ont organisé leur dernier Conseil national avant leur mutation, prévue le 14 novembre à Lyon. Cette étape n'est pas une fin de partie mais un renouveau, assumé depuis deux ans. Malgré les difficultés, les ambitions, les egos, l'émergence d'Europe Ecologie s'affirme chaque jour un peu plus. Une mutation, ce n'est jamais évident ; les échecs du NPA, du Modem ou de Désir d'Avenir sont là pour nous le rappeler. Mais j'y crois dur comme fer, parce que je crois à la force propulsive de l'écologie politique, seule vision du monde apparue ces cinquante dernières années. L'avenir est devant nous. Cette mutation est la condition nécessaire, mais pas suffisante, pour qu'émerge un pôle nouveau dans la politique française.

PS/3. Ce lundi s'ouvre à l'ONU une conférence sur le bilan des Objectifs du Millénaire pour le Développement, autrement dit sur la réduction de la pauvreté dans le monde. Si le nombre de personnes vivant sous le seuil de l'extrême pauvreté a reculé, on ne le doit pas à l'aide des États du Nord qui continue à se réduire, comme en France, mais à l'émergence d'une classe moyenne mondiale, notamment dans les pays émergents comme la Chine et l'Inde... Pays où les inégalités se creusent encore plus du fait du mode de développement poursuivi. Nous sommes encore loin du but !

Publié le 24/09/2010 à 12:20 | Lu 1427 fois