Pour une femme : au nom du père (film)

Le dernier film de Diane Kurys, « Pour une femme » sort aujourd’hui sur les écrans français. L’histoire ? A la mort de sa mère, Anne fait une découverte qui la bouleverse : une photo ancienne va semer le doute sur ses origines et lui faire découvrir l’existence d’un oncle mystérieux que ses parents ont accueilli après la guerre. En levant le voile sur un secret de famille la jeune femme va comprendre que sa mère a connu un grand amour, aussi fulgurant qu’éphémère… Entretien avec la réalisatrice.


C’est un projet que vous mûrissiez depuis longtemps ?

Sûrement, sans le savoir. Après Sagan, je me suis demandé ce qui allait m’inspirer et me passionner suffisamment pour me tenir en haleine pendant trois ou quatre ans.
 
En tombant par hasard sur une photo au fond d’un tiroir, j’ai compris que j’avais envie de me replonger dans mon enfance et dans l’histoire de ma famille : je me suis rendu compte qu’on a beau avoir déjà fouillé, on n’a jamais tout compris.
 
Car cette vieille photographie, au dos de laquelle figurait une date, m’a interpellée. En effet, j’avais un oncle avec lequel mes parents s’étaient brouillés et dont le nom revenait de temps en temps dans les conversations. Je savais vaguement qu’il avait été hébergé chez nous pendant quelques années, mais j’ignorais à quelle date. Tout à coup, en tombant sur cette photo de lui et de ma mère, je me suis aperçue que son passage à la maison correspondait au moment où j’ai été conçue et où mes parents s’étaient fâchés avec lui. Il y avait là un mystère familial que j’avais envie de creuser.
 
D’ailleurs, dès le générique, on plonge dans votre univers intime…

D’entrée de jeu, j’ai imaginé un générique composé de photos personnelles qui évoqueraient un album de famille. Vers la fin du montage j’ai eu envie d’y intégrer des clichés de mes films : je me suis dit qu’il y avait une logique à entremêler ma vie et le parcours de mes personnages, puisque, chez moi, tout est mélangé ! De fait, Diabolo menthe, Coup de foudre, La Baule-les-Pins et Pour une femme composent un ensemble cohérent qui raconte « mes origines ».
 
Vous avez une prédilection pour le passé et les films d’époque.

C’est vrai que j’ai du mal à parler de la période contemporaine –j’ai plus de facilité avec le passé. Après l’amour est le premier film que j’ai choisi de situer au présent : on était en 1990 et j’avais le sentiment qu’il allait être démodé avant sa sortie ! La télé va plus vite que nous… Les films d’époque résistent mieux en conservant quelque chose d’atemporel.
 
Peut-on dire qu’il s’agit d’une fiction autobiographique ou d’une autobiographie romancée ?

Je ne sais pas. Je suis partie de personnages qui ont existé mais que j’ai totalement réinventés en leur donnant des objectifs, des désirs et des sentiments qui sont le fruit de mon imagination. Du coup, tout est vrai et rien ne l’est. Ce qui m’a passionnée, c’est que cette histoire m’a donné l’occasion d’aller à la rencontre de ces hommes et de ces femmes –tous disparus aujourd’hui– et d’essayer de les comprendre. Imaginer leurs vies, leurs moments de faiblesses, leurs espoirs, leurs doutes. Les donner à voir à d’autres en espérant qu’ils reconnaissent quelque chose d’eux-mêmes, c’était mon but. Laisser une trace. Faire ce portrait de mes parents, de leurs amis, de cette époque, c’était laisser une petite trace d’eux. J’adore cette phrase d’Alfred de Vigny qui dit dans un poème en parlant de ses ancêtres : « Si j’écris leur histoire ils descendront de moi ».

Le film prend parfois la forme d’une enquête introspective, comportant même une part de suspense…

C’est vrai, même si j’avais peur qu’on reste sur sa faim, puisqu’au bout du compte, Anne renonce à connaître la vérité.

Mais je pense qu’on est suffisamment porté par l’émotion que suscite sa relation à son père –faite d’éloignement et d’occasions ratées– pour que la question qu’elle se pose tout au long de son « enquête » puisse rester sans réponse.
 
Elle n’a plus besoin de savoir parce que la mort lui a enfin permis de « rencontrer » son père. Je n’ai pas cherché à faire tendre le film vers la révélation d’un secret de famille, parce que finalement l’investigation est un prétexte pour explorer les sentiments des personnages.
 
Le rapport au père traverse le film.

Autant Coup de foudre était un film sur ma mère, autant celui-ci parle de mon père –cet homme que j’ai mal connu et à qui, paraît-il, je ressemblais. Alors même que j’en étais à me dire qu’il n’était peut-être pas mon père, je me suis identifiée à lui et j’ai ressenti le besoin de lui rendre justice et de le « connaître » à travers un film, puisque je l’ai si peu connu dans la vie. Pour une femme est donc le portrait de cet homme trahi. Par son frère, par sa femme, par le Parti, par la vie…
 
Michel est un idéaliste qui a foi en l’avenir, au risque de s’aveugler parfois…

Les hommes de sa génération étaient pétris de certitudes : quand il a sa première fille et qu’il a le sentiment de construire une famille, Michel se sent rassuré car il se dit qu’il tient enfin quelque chose de concret et de solide. Pour lui, le chemin de la liberté et de l’amour est tout tracé ! Tout comme il est convaincu que le Parti Communiste va sauver le monde, il est persuadé que Léna va rester avec lui et qu’il saura la rendre heureuse. Il pense qu’il faut la protéger, l’enfermer et l’arroser comme une plante !
 
À l’inverse, Jean est tourné vers le passé et a les yeux grands ouverts.

Michel et Jean sont frères et se sont construits dans l’opposition. Dans le même temps, ce qui me plaisait, c’est qu’ils ne se connaissent pas bien. À tel point qu’à un moment on se demande s’il est vraiment son frère et Michel lui-même a des doutes. Il faut dire que Jean est un personnage complexe qui multiplie les fausses pistes et les mensonges : il commence par faire croire qu’il n’a pas déserté, plus tard il dit qu’il travaille pour les services secrets de l’Armée Rouge et qu’il a pour mission de ramener des dissidents passés à l’Ouest – alors que la vérité est ailleurs.
 
Léna semble à mi-chemin entre ces deux hommes : elle est d’un tempérament joyeux tout en étant lucide sur ses chances de bonheur avec Michel.

Elle est animée par un véritable appétit de vie et par une simplicité qui la pousse à se projeter vers l’avenir. D’ailleurs, je ne voulais pas révéler grand-chose de son passé : on comprend qu’elle est issue de la même culture que son mari et on devine qu’elle a perdu sa famille pendant la guerre. Parce que Michel lui a sauvé la vie en l’épousant, elle s’est attachée à lui, mais il y a dix ans d’écart entre eux et un gouffre les sépare : il la trouve frivole, il voudrait qu’elle lise Le Capital alors qu’elle ne s’intéresse qu’aux romans, elle veut s’émanciper et travailler, alors qu’il la voudrait à la maison. Ils n’ont pas les mêmes goûts, mais il l’aime. Ce qui ne l’empêchera pas de la perdre…


Le film est aussi une magnifique histoire d’amour et de lutte entre deux frères pour la même femme…

D’instinct, quand Léna voit son beau-frère débarquer dans la maison, elle sent qu’il y a un danger : de manière quasi animale, elle demande implicitement à Michel de l’empêcher de commettre l’irréparable. De même, on sent que Jean a du mal à résister lorsqu’ils se frôlent ou que leurs regards se croisent. Ce que j’aimais beaucoup, c’était cette idée de la lente progression du désir de chacun : une tension insoutenable à laquelle ils s’obligent pourtant à se plier. Jusqu’au paroxysme de la séquence de l’hôtel.
 
Vous jouez par moments sur les contrastes, comme dans la scène au bord de l’eau, en apparence légère et solaire

…J’aime emmener le spectateur, l’air de rien, dans une direction et puis le surprendre. C’est ce qui me plaît quand je vois un film : les situations inattendues, les surprises. Et qu’on ne me fasse sentir ni la mise en scène, ni le travail. C’est ce que j’aime faire quand je tourne : surtout, ne pas donner à voir les «coutures». On se surprend soi-même quand on écrit un scénario, les personnages prennent vie malgré nous et comme on est le premier spectateur de l’histoire qu’on invente, on a envie d’être étonné.
 
Les époques se répondent à travers la prégnance du communisme dans l’après-guerre et dans les années Mitterrand.

L’histoire se passe en 1947, le Parti Communiste Français vient de remporter les élections et il connaît son apogée, mais en refusant de cautionner la guerre en Indochine et d’encourager la grève chez Renault, les ministres communistes sont contraints de quitter le gouvernement au mois de mai de la même année. Ils n’y reviendront qu’en 1981 et l’histoire se répètera à trois décennies d’écart : face au tournant «libéral» de Mitterrand, le PCF, avec George Marchais, décide de renoncer au pouvoir, une fois encore, au mois de mai
1984. Trente ans séparent les deux époques, les fameuses Trente glorieuses. Le film s’inscrit donc dans les deux temps forts du communisme d’après-guerre. C’était passionnant d’explorer cette époque où Staline et Thorez faisaient la Une des journaux.
 
Comment avez-vous choisi Benoît Magimel dans le rôle de Michel ?

D’abord, il ressemble à mon père –qu’on aperçoit dans le générique de début– avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus. Et puis, je l’adore ! J’avais travaillé avec lui dans Les Enfants du siècle, où il était tout jeune homme, et j’avais envie de le retrouver plus adulte. J’aime sa fragilité, sa fêlure et sa folie, mais aussi son sens de l’écoute et son ouverture d’esprit. Benoît est un écorché vif. Je suis fascinée par sa manière de se livrer entièrement et sa constante recherche sur le plateau. Quand on voit les rushes, on comprend qu’il est capable d’enchaîner les prises, de s’arrêter et de recommencer, à tel point qu’il déstabilise parfois ses partenaires.
 
Comment s’est-il transformé physiquement ?

Il a pris un peu de poids pour le rôle. Pour les scènes où il est censé avoir 80 ans, j’avais envisagé de faire appel à un autre acteur, mais Benoît n’a pas voulu en entendre parler ! Du coup, il a connu les longues heures de maquillage particulièrement éprouvantes pour lui car il faisait une chaleur épouvantable : je me souviens que le soir, au moment où on lui retirait cette sorte de masque en latex sous lequel il avait suffoqué toute la journée, il perdait d’un coup au moins un litre d’eau qui jaillissait comme un geyser ! Il est sorti exsangue du tournage.
 
Mélanie Thierry incarne Léna.

C’était difficile de trouver Léna car elle a déjà été interprétée –entre autres – par Isabelle Huppert et Nathalie Baye. J’avais une vision assez précise du personnage et en même temps Mélanie s’est imposée assez vite : elle a beaucoup de talent, une grâce et une émotion à fleur de peau et une cinégénie incroyable. Elle est très crédible en jeune femme de l’après-guerre et on croit totalement au couple qu’elle forme avec Benoît. J’adore la voir traverser l’appartement dans son peignoir rouge à pois blancs. Le même, de film en film, que portent toutes mes Léna...
 
Nicolas Duvauchelle est épatant dans le rôle de Jean.

Absolument ! Il m’a surprise par son instinct et sa capacité de concentration hallucinante. Et puis, il a une présence et un charisme extraordinaires. C’était un vrai défi car ce n’était pas évident d’incarner ce personnage mystérieux, venu de l’Est, et de rendre crédibles sa colère et son désir de vengeance. Je trouve qu’il s’impose naturellement et que le tandem qu’il forme avec Clément Sibony fonctionne très bien.
 
Comment avez-vous constitué cette famille ?

Il fallait que tout le monde se ressemble un peu pour qu’on y croit ! Il fallait que la petite Tania soit devenue la pétillante Julie Ferrier et qu’on ne se pose pas de question. Ils ont tous les yeux clairs et un petit air de famille. Sylvie Testud, c’est moi dans le film. J’ai tout de suite pensé à elle en écrivant le scénario. D’abord, parce que notre rencontre sur Sagan a donné naissance à une vraie amitié et surtout parce que c’est une actrice géniale et qu’elle est drôle et intelligente. Je me voyais bien comme ça !
 
Et Clotilde Hesme ?

Elle est formidable en Madeleine, ce personnage qui préfigure les femmes de l’après-guerre qui s’émancipent et qui veulent vivre et aimer sans contrainte. C’était amusant qu’elle interprète l’épouse de Podalydès qui a été son professeur au Conservatoire car on retrouve un peu de ces rapports de maître à élève dans les relations du couple. J’aimais bien l’idée que Madeleine et Léna aient cette envie de liberté et de jeunesse face à deux hommes qui ont dix ans de plus qu’elles.
 
C’est la troisième fois que vous dirigez Denis Podalydès.

Il ne lit même plus les scénarios que je lui envoie ! Il se débrouille pour être disponible, quoi qu’il arrive. Ce n’était pas un rôle évident car il devait fédérer tous ces militants communistes lyonnais autour de lui : j’avais besoin d’un « meneur de troupe » très généreux qui sache galvaniser son entourage. Il m’a vraiment aidée ce sur film. D’autant plus que les acteurs ont dû beaucoup improviser pour ces scènes de cellules et de ventes d’Huma-Dimanche au marché.
 
Comment les avez-vous tous dirigés ?

On ne les dirige pas ! Je pense qu’au bout du compte on adapte sa méthode aux acteurs, pas l’inverse. Il faut juste organiser quelques lectures en amont pour aborder toutes les questions qui se posent. Par la suite, le réalisateur, pour moi, est un « vampire » et un obsessionnel de l’efficacité car il veut obtenir quelque chose de ses comédiens, coûte que coûte. Je veux simplement avoir obtenu le meilleur résultat à la fin de la journée. Et surtout, je ne veux rien laisser au hasard et ne rien lâcher en cours de route, ni une réplique, ni une intonation, ni un accessoire, ni un décor...
 
Avez-vous cherché à différencier les époques visuellement ?

On a tourné à l’ancienne, en pellicule ! On a éliminé certaines teintes car les années 50 ont une couleur dans l’imaginaire collectif. Du coup, pour l’appartement et le magasin, on a privilégié le bois, les beiges, les verts, et les bruns qui correspondent bien à la période de l’après-guerre. Pour les années 80, on est allés vers des tonalités plus colorées. C’est la justesse qui importe quand on fait un film d’époque. Que les figurants n’aient pas l’air déguisés et que les costumes correspondent à la période, c’est bien le moins, mais la justesse réside dans le choix des figurants et surtout dans la façon dont on les entraîne dans l’aventure d’une journée de tournage. On va patiner leurs vêtements et apporter un soin particulier à la coiffure et au maquillage. Tous ces « détails » sont essentiels et participent à la véracité, à l’authenticité du film.
 
Vous avez entièrement tourné à Lyon

Oui, un peu partout dans la ville et dans la région lyonnaise. La guinguette au bord de l’eau, c’est l’Auberge du Faisan doré à Villefranche-sur-Saône qu’on a trouvée après des semaines de recherches infructueuses. De même pour la maison de Michel en Ardèche qu’on a fini par découvrir dans le Beaujolais. Nous avions une équipe de Lyonnais et de Parisiens et ce tournage a été très heureux pour moi. J’ai été entourée de gens motivés et je me suis sentie protégée. Et puis, j’ai aimé revenir à Lyon pour y tourner ce film et redécouvrir la ville. Trouver une rue en pente avec des escaliers qui ressemblerait à celle des années d’après-guerre et qui ne serait pas taguée ou massacrée par les potelets... Réinventer le magasin de mon père ou l’appartement de mon enfance… Sillonner le parc de la tête d’Or à la recherche d’une allée pour installer des balançoires... Au fond, je pense que ce film m’a réconciliée avec ma ville natale.

Pour une femme de Diane Kurys
Avec Benoît Magimel, Mélanie Thierry, Nicolas Duvauchelle, Sylvie Testud, Julie Ferrier, Denis Podalydès, Clotilde Hesme et Clément Sibony
Sortie le 3 juillet 2013

Publié le 03/07/2013 à 06:00 | Lu 1261 fois





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