Pour une culture de la présence, chronique de Serge Guérin

L’économie de l’accompagnement de l’autre nécessite une écologie de la présence à l’autre, « une économie de convivialité » pour reprendre, la belle formule d’Edgar Morin. On notera que donner plus de valeur au temps nous entraîne vers l’éloge de la lenteur dont parlait Pierre Sansot. Ce retournement de valeur est aussi une autre façon de réintroduire les plus âgés dans le concert social.


Ces derniers sont aussi souvent les plus lents, ceux qui prennent le plus de temps. Au lieu d’en faire une source de moquerie ou d’énervement, pourquoi ne pas en faire une qualité au nom de l’intensité de la relation ?

Ce rapport au temps ne concerne pas seulement la bientraitance des personnes dans leur quotidien. Il intervient aussi pour ceux qui fabriquent le « prendre soin ». En effet, assurer que prendre le temps est une qualité –et même une nécessité- revient à valoriser le travail de ces personnes.

Surtout, cela leur assure de pouvoir exercer dignement et sereinement leur métier, d’allier la sollicitude à la compétence. La bientraitance concerne tout le monde : les aidants comme les aidés. La bienveillance pour les uns rejaillit sur les autres.

Plus largement, soulignons aussi que le rapport au temps est en grande partie lié à des considérations de situations de géographie sociale. Celles et ceux qui vivent dans « La France périphérique » décrite par Christophe Guilluy (Fractures Françaises, Bourin Edition, 2011) cumulent souvent le handicap de l’éloignement entre leur lieu de vie et leur lieu de travail et de la mauvaise qualité et organisation des transports. Ils perdent plus de temps pour aller et revenir de leur travail alors que ce dernier est bien moins rémunéré que celui de ceux qui vivent dans les principales métropoles.

Sans compter que d’autres services d’accompagnement font aussi plus défaut pour assurer, par exemple, la garde d’enfants. Eléments particulièrement prégnants pour les familles monoparentales, c’est-à-dire pour les femmes qui cumulent souvent avec un emploi précaire et en temps partiel contraint. De ce point de vue, l’inclusion sociale apparaît plus dynamique pour les classes populaires qui vivent dans des quartiers proches des grandes métropoles que pour ceux qui se sont éloignées dans les zones rurales et périurbaines.

Poser la question du temps et de la présence entraîne la remise en question du totem technologiste. Face aux complexités de la vie et à la difficulté de résoudre les grands enjeux, la fuite en avant au prétexte de technologie tient souvent lieu de politique. Faire technologie c’est faire moderne. Souvent, l’investissement dans les technologies permet de laisser croire que l’on tient la solution.

Or, si les technologies apportent des réponses pour résoudre des questions précises, si elles peuvent faciliter le travail des accompagnants, qu’ils soient enseignants, travailleurs sociaux ou encore dispensateurs de soin, pour autant, elles ne sauraient résoudre comme par enchantement les déficits de lien social, les difficultés de financement des comptes sociaux, l’échec scolaire d’un nombre croissant d’enfants ou encore la nécessité d’investir dans l’accompagnement des plus âgés et des plus vulnérables.

Le discours sur les gérontotechnologies participe de cette dualité : pour de nombreux acteurs, il s’agit d’une solution permettant de réduire l’intervention humaine, l’embauche et la formation d’un personnel du « care » adapté et dédié et favorisant la recherche et des marchés pour des entreprises de haute technologie ; pour d’autres, ce sont des outils qui doivent rester complémentaires à la présence humaine et aux politiques d’accompagnement. Qui peuvent aider à alerter et participer des politiques de prévention.

Inventer une société de la bienveillance et de la convivialité conduit bien à interroger les dogmes de la productivité, de la vitesse, du chiffre comme seuls étalons de la performance. Et probablement à y renoncer au nom d’un autre modèle.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG Management School
Dernier ouvrage : « La nouvelle société des seniors », Michalon 2011

Publié le 03/05/2012 à 23:14 | Lu 1780 fois





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