Pièce montée : règlements de compte intergénérationnels (film)

Plus de vingt-ans après son dernier film, le réalisateur Denys Granier-Deferre revient aujourd’hui dans les salles obscures avec un nouveau long-métrage : Pièce Montée, une comédie avec Jean-Pierre Marielle et Danièle Darrieux qui met en scène un mariage bourgeois plutôt traditionnel… Mais comme les liens du sang ne sont pas toujours ceux du cœur, cette journée va vite devenir « L’heure de vérité », toute génération confondue...


L’histoire : Bérengère et Vincent se marient dans le respect des traditions bourgeoises. Selon la coutume, familles et amis se réunissent à la campagne par une belle journée de printemps. Journée joyeuse pour certains, douloureuse pour d’autres, en tous les cas déterminante et inoubliable pour tous.

Mais comme les liens du sang ne sont pas toujours ceux du cœur, cette journée un peu particulière va vite devenir « L’heure de vérité », toute génération confondue... Puisque se cache une belle histoire d'amour entre Victor (Jean-Pierre Marielle), un vieux curé, et Mady (Danielle Darrieux), une grand-mère.

Entretien avec Denys Granier-Deferre

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’adaptation du roman de Blandine Le Callet « Une pièce montée » ?

Le film « Pièce montée » est né de la coïncidence entre une envie et une rencontre. L’envie, c’était pour moi de revenir au cinéma avec un sujet en rapport avec mon état d’esprit d’alors, c’est-à-dire avec quelque chose qui soit dans la droite lignée de « Que les gros salaires lèvent le doigt », mon premier film. Soit un film de groupe, très mal élevé, mais avec de la tendresse en plus. Pour la rencontre, c’est celle qui a eu lieu avec les producteurs Marc-Antoine Robert et Xavier Rigault qui adorent « Que les gros salaires... », et qui sont venus me proposer l’adaptation du roman de Blandine Le Callet. De plus, Jean-Marc Roberts, éditeur du roman, était également l’auteur de « Bêtes curieuses », la nouvelle qui avait inspiré « Que les gros salaires ... » ! Tout ça s’inscrivait pour moi dans une cohérence formidable.

« Pièce montée » est une comédie qui mélange différentes sortes d’humours : l’humour grinçant, l’humour tendre, l’humour poétique et même le burlesque. Pour quelles raisons ?

Je tenais tout d’abord à garder la même causticité que celle de « Que les gros salaires... » et j’y ai ajouté d’autres façons de rire. Par exemple le personnage joué par Christophe Alévêque m’a permis d’introduire le côté burlesque. J’ai pu travailler ces différentes sortes d’humours, en premier lieu grâce aux acteurs et ce, dès le choix du casting.

Ce qui m’intéresse, c’est de jouer sur les contrastes dus au mélange entre des comédiens qu’on n’imagine pas une seconde dans le même film parce qu’issus de familles de cinéma distinctes. On n’associe pas spontanément Hélène Fillières à Charlotte de Turckheim, Dominique Lavanant à Aurore Clément... En allant ainsi aux extrêmes, en prenant des « ingrédients » excessivement différents, je souhaitais que naisse un mélange détonnant et comique mais sans heurts.

Cependant, y-a-t-il un humour qui prédomine dans « Pièce montée » ?

Je crois que c’est tout de même l’humour tendre. Parce qu’il fait le lien entre l’humour noir et le sentiment d’amour. J’aime par exemple que soit liées la connerie et la méchanceté du personnage joué par Christophe Alévêque (qui est également touchant parce qu’il ne comprend rien à ce qui lui arrive), et l’humanité au regard perdu du personnage interprété par Jean-Pierre Marielle, auquel personnellement je m’identifie.

Pour quelles raisons le personnage incarné par Jean-Pierre Marielle est-il important pour vous ?

Parce qu’il joue le rôle d’un homme dont la vie bascule d’un seul coup. Il voit ainsi toutes ses certitudes exploser, s’anéantir. Et à son âge c’est d’autant plus fort et émouvant. J’aime, d’une façon générale, l’idée que toutes les certitudes peuvent et doivent être ébranlées pour faire place au doute.

Le couple Danielle Darrieux / Jean-Pierre Marielle prend l’ascendant sur les autres couples de l’histoire. Était-ce une intention de départ ?

Je ne pensais pas que ce serait à ce point-là. C’est arrivé pour deux raisons. D’abord, de par la personnalité de ces deux acteurs. Ensuite, parce que leurs personnages ont un humour fondé sur la nostalgie et sur le ratage et c’est bien plus fort à faire exister, c’est naturellement plus émouvant que l’humour jeune, un peu cruel, naïf et fougueux du couple de Clémence Poésy et Jérémie Renier. Le couple Danielle Darrieux/Jean-Pierre Marielle porte en lui la puissance de la nostalgie.

Et que penser du couple de jeunes mariés ?

Il peut être vu comme le couple qui fait face à celui incarné par Marielle et Darrieux qui est là pour porter une idée précise : ne ratez pas votre vie, la route est longue et il y a très peu de temps. Ce jeune couple doit apprendre immédiatement à ne pas avoir l’ego mal placé, à ne pas laisser de place aux non-dits, à vivre leur vie. Je dirais qu’il n’y a pas de honte à être les élèves de « maîtres à vivre » quand les professeurs sont non seulement les acteurs Danielle Darrieux et Jean-Pierre Marielle mais aussi les personnages qu’ils incarnent, Mady et Victor…

Dès le scénario y avait-il ce face-à-face entre ces deux couples ?

Comme expliqué auparavant, l’importance du couple formé par Danielle Darrieux et Jean-Pierre Marielle a émergé pendant le tournage. On savait que cela allait être fort mais pas émouvant à ce point. Ça donne la leçon à toutes les autres générations. Et cela conforte une autre idée que j’aime, présente dans bien des civilisations : l’aîné, au sens ancien du terme, détient une certaine vérité sur la vie, due à son expérience.

Avec ce film, avez-vous voulu montrer un point de vue particulier sur le mariage ?

Comme pour la plupart des enfants de divorcés, le mariage (civil) est une chose que je respecte beaucoup. Tout comme l’ensemble des engagements. Le couple et l’engagement à deux m’intéressent énormément. Ce qui me fascine aussi, c’est qu’en se mariant, on n’épouse pas qu’une personne, on épouse une famille. Et j’ai tendance à me dire que parfois, je préfère les familles qu’on se choisit, plutôt que celle de notre naissance, même si ce n’est pas véritablement mon cas.

Les thèmes de l’engagement, de la famille choisie ou imposée ne permettent-ils pas aussi de traiter du thème de la liberté ?

Tout à fait. Par exemple le personnage de Julie Depardieu qui ne correspond pas aux critères de sa famille, à cause ou grâce à son excentricité, arrive à revendiquer sa liberté. Mais il y a aussi la liberté que prend le couple des mariés : en se liant paradoxalement l’un à l’autre, ils s’affranchissent de l’autorité de leurs parents. Mais il n’y a pas que la liberté comme thème, il y a aussi ceux de l’héritage et de la transmission d’un secret. Le secret de famille. Enfin le mariage est aussi un bon prétexte de cinéma. Il me permettait de montrer un groupe d’hommes et de femmes contraints de cohabiter, de se supporter, de s’aimer ou de se confronter.

Ce thème de la transmission, et en particulier de la transmission du secret de famille, se fait entre la grand-mère et l’une de ses petites-filles, ce qui est très injuste pour les autres membres de sa famille, qui ne semblent pas dignes de recueillir ses confidences. Pourquoi montrer ce privilège ?

C’est le thème éternel de l’injustice, de la préférence d’un être plutôt qu’un autre au coeur d’un même groupe. On donne tout à un être et rien aux autres. Il y a toujours cette injustice dans les familles, il y a toujours un canard boiteux qui pourrait être ici le personnage de Julie Depardieu ou celui de Charlotte de Turckheim (personnages pourtant très différents). Dans toutes les familles, il y a des préférences ataviques dues à des raisons irrationnelles, comme une ressemblance physique, une attitude...

Pourquoi les deux mariés se ressemblent-ils physiquement ?

C’est un film de blonds aux yeux bleus. Ce qui me plaisait, c’était de semer un vrai désordre au coeur de familles qui, physiquement et moralement, n’ont en apparence rien qui dépasse, qui sont parfaites. C’est en quelques sorte "foutre la merde" dans un catalogue Pronuptia. Ils ont tous des visages de communiants et pourtant rien ne va se passer sagement. Les mariés en sont l’emblème.

Pourquoi avez-vous fait le choix de filmer vos personnages allant se perdre la nuit dans un parc ?

Je l’ai fait pour donner une note de mystère et d’étrangeté à l’histoire, et peut-être même un peu de poésie. En disparaissant dans le noir, les personnages traversent en quelque sorte un miroir pour trouver leur vérité particulière. Dès l’écriture du scénario, avec mon scénariste Jérôme Soubeyrand, nous avions décidé que tous les personnages-clés auraient ainsi à passer par le même endroit la nuit dans le parc sans savoir que les uns ou les autres avaient pris ou prendraient ce même chemin.

Je trouve également intéressant d’établir des points communs entre le cinéma et le théâtre. De pratiquer un chassé-croisé ludique à la Beaumarchais. J’ai voulu que tout se déroule comme dans un bal masqué, avec un étrange jeu de chats et de souris perdus dans un labyrinthe. Cette façon de s’échapper qu’ont les personnages leur permet aussi de surprendre des conversations, d’entendre ce qu’ils ne devraient pas entendre, de comprendre un peu plus d’où ils sont issus. C’est une façon aussi de générer de la comédie et de profiter de l’unité de temps et de lieu qu’impose la circonstance du mariage.

Que représente ce film pour vous ?

Une deuxième jeunesse !

Pièce montée un film de Denys Granier-Deferre
Avec : Jean-Pierre Marielle, Jérémie Renier, Clémence Poésy, Danielle Darrieux, Christophe Alévêque, Aurore Clément, Julie Depardieu, Léa Drucker, Hélène Fillières, Julie Gayet, Dominique Lavanant, Charlotte de Turckheim, etc.
Pièce Montée, DR

Publié le 10/03/2010 à 11:55 | Lu 2915 fois