Permanence de la solidarité (3), chronique de Serge Guérin

Nous terminions la semaine dernière sur la nécessité de regarder autrement les enjeux du don. Des enjeux qui appellent la nuance. En effet, il est essentiel de ne pas seulement percevoir l’aide de proximité comme une douleur, une contrainte, une source de souffrances et de solitude.





N’oublions pas le bonheur qu’il y a aussi à aider l’autre. Ne négligeons pas, non plus, la dimension et le chemin personnel de réalisation d’une éthique et d’estime de soi, dans l’aide à un proche, à titre familial ou non.

On gagne en estime de soi à aider l’autre. Cette estime de soi peut répondre à des injonctions morales, religieuses ou éducatives mais l’aide à l’autre peut aussi, simplement, produire du plaisir par la rencontre de l’autre et des autres, l’échange, le goût de l’action… L’aidant peut aussi se découvrir, mieux se connaître, trouver un autre sens à sa vie.

Il arrive également que des aidants transforment par la suite cette expérience en métier au service d’autres individus. Des personnes s’étant occupées d’un parent résidant en maison de retraite ont été par la suite embauchées pour faire le lien entre les familles et les soignants, pour jouer un rôle de liant auprès des personnes âgées.
Permanence de la solidarité (3), chronique de Serge Guérin

Il n’est pas possible de faire comme si ces actions n’avaient pas d’influence sur l’aidant, sur sa vision du monde et de lui-même, sur ses relations interpersonnelles largement déconstruites par l’évolution des relations et des normes familiales.

En ayant mis à jour la puissance du don comme mode de compréhension des phénomènes sociaux, Marcel Mauss s’est inscrit dans une notion de flux et non de stock : ce qui compte c’est au moins autant ce qui circule entre les individus que ce qu’ils peuvent accumuler par leur travail ou leur capital. À sa façon, le sociologue conteste aussi bien Karl Marx qu’Adam Smith. Ce qui fait société c’est d’abord l’échange « gratuit » au sens où celui qui va vers l’autre, n’attend pas de retour nécessairement monétaire pour son geste.

Mauss ou Polanyi ont soutenu et démontré combien l’échange monétaire ne saurait représenter l’ensemble des formes d’échanges. Le don n’est pas une alternative, mais plutôt une autre réponse pour d’autres questions. Une réponse qui peut aussi être une rétribution mais sous une forme, ou une valeur, distincte de la traduction pécuniaire.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Dernier ouvrage, La société des seniors Editions Michalon

Article publié le 30/11/2009 à 09:33 | Lu 2231 fois