Les éclaireurs d’Antoine Bello : leurre de vérité

Après avoir refermé le nouveau roman d’Antoine Bello on ne lira plus son journal avec la même confiance. On aura cette sourde appréhension de faire partie d’une secrète manipulation, peut-être pour notre bien, à notre corps défendant.


Attention, on est bien loin de ces livres plus ou moins nauséeux emplis de complots internationaux et de réécriture de l’Histoire. Les livres d’Antoine Bello sont faits d’imagination ancrée dans la réalité.

Depuis son précédent roman -dont nous avions ici rendu compte (1)-, on connait la mécanique du Consortium de Falsification du réel (CFR) : on invente d’abord un scénario, puis on caviarde toute sorte d’archives ou sources d’informations afin d’en corroborer la véracité.

Le scénario « des éclaireurs » est qu’Al Quaïda est une invention du CFR. Dès lors, le consortium est-il responsable du 11 septembre ? C’est la question que se poseront Sliv, Maja et Youssef. Quelle est la finalité du CFR ? On le croyait nourri d’idéaux des Lumières. Est-ce en fin de compte un monstre ?

Imbriquant les faits réels à sa fiction, Antoine Bello pose quelques questions vertigineuses où sont abordés le sens de l’Histoire, le choc des civilisations. Ainsi, on peut lire : « il suggérait même qu’il fallait laisser l’Histoire se réaliser. Le jour où l’humanité n’aurait pas besoin de polarisation pour se construire était encore loin ». Hegel n’est pas loin.

On s’interroge aussi sur la notion de vérité. Le héros explique : « (…) la vérité est la vérité, elle ne peut pas, elle ne doit pas être mise sur le même plan que les scénarios que nous imaginons à longueur de journée. Tout nous conforte dans cette illusion : la sagesse populaire d’abord, qui postule que la vérité finit toujours par triompher ; une certaine conception de la morale ; la peur du vide enfin – si la vérité n’est plus la plus forte, sur combien de mythes vivons nous ? Or rien n’est plus faux, (…) Je tiens quand à moi que la vérité n’est qu’un scénario parmi d’autres (…) ».

Avec une force précise, un brin machiavélique, Antoine Bello, qui charpente son histoire d’après les informations délivrées sur Wikipédia (!), donne un récit véridique de la préparation de la guerre en Irak.

C’est terrifiant et enthousiasmant.

Et en plaçant résolument l’écrivain dans un rôle de demiurge, à la fois falsificateur et éclaireur, il est au cœur des enjeux de la littérature. La vraie…

Les éclaireurs
Antoine Bello
Editions Gallimard
477 pages
21 euros

(1) Les falsificateurs, Gallimard, 2007
Les éclaireurs

Publié le 27/04/2009 à 09:39 | Lu 4610 fois