Les dames, encore femmes : interview des deux réalisatrices

Le long-métrage (81 minutes) Les dames, encore femmes de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond sortira sur les écrans le 25 novembre 2020. Interview des réalisatrices de ce film qui met en scène ces cinq sexagénaires (célibataires, veuves ou divorcées) qui mènent au jour le jour un discret combat contre la solitude, à un âge où les hommes ont déserté leur paysage affectif.





Comment est née l’idée du film ?
Stéphanie Chuat : en premier lieu, par l’angoisse toute personnelle de nous retrouver « entre femmes ». En effet, nous avons remarqué que la société se féminise nettement dès le passage à la retraite…
 
L’idée du film est d’abord due à l’appréhension d’une perspective de vie où les hommes se font de plus en plus rares, attirés très souvent par des femmes nettement plus jeunes. Afin de conjurer peut-être cette angoisse, nous avons eu envie de mettre en lumière ces femmes sexagénaires qui se sentent invisibles aux yeux de la société.
 
Véronique Reymond : et c’est en les côtoyant au quotidien que nous avons réalisé à quel point elles sont riches, pleines de vie, de désirs multiples. Elles nous ont vite impressionnées par leur courage, un courage discret, à renouveler au quotidien.
 
Sur quels critères avez-vous « casté » vos 5 protagonistes ?
V. R. : lors de la diffusion en 2014 de notre série A LIVRE OUVERT, nous avons lancé un « Appel à Dames » via la presse. Les femmes intéressées par notre projet pouvaient appeler un numéro et laisser un message sur le répondeur à disposition. Nous avons reçu plus d’une centaine d’appels. Ça nous a fait un choc, on ne s’attendait pas à un tel enthousiasme...
 
Un désir de parole qui a confirmé en quelque sorte la nécessité pour nous de faire le film. Par la suite, nous avons fait une présélection puis avons rencontré une trentaine de protagonistes potentielles. Le choix final s’est porté sur un mélange de parcours personnels qui nous semblaient représentatifs de la réalité de ces femmes, doublé du sentiment qu’une relation « vraie » pouvait se développer entre elles et nous dans le cadre du tournage.
 
S.C : la sincérité est en effet essentielle sur ce projet qui repose sur la captation des protagonistes dans leur vie de tous les jours, dans leur intimité, en évitant bien sûr le voyeurisme. Nous avons surtout choisi des femmes chez qui nous avons senti un profond besoin de communiquer et transmettre quelque chose de leur vie aujourd’hui.
 
Ont-elles accepté facilement d’être suivies et filmées ?
V.R. : oui, car comme elles répondaient à cet « Appel à Dames », elles voulaient faire entendre leur voix et témoigner de leur vie, de leurs projets. Exister. Ensuite, il a fallu les habituer à la caméra... Pour ces femmes qui n’ont jamais été confrontées à une équipe de tournage, il s’agissait d’abord de les « apprivoiser », afin qu’elles se comportent comme si on n’était pas là...
 
S.C. : on a d’ailleurs fait appel à un seul caméraman car il était important pour nous que ce soit toujours la même personne qui les filme, pour qu’une relation se crée directement entre elles et la caméra et qu’elles oublient qu’elles étaient filmées.
 
Avez-vous rencontré des difficultés pendant le tournage ?
S.C. : la principale difficulté durant le tournage a été de gérer l’agenda sur une année, et de faire concorder les divers moments que nous souhaitions capter avec le planning de notre chef opérateur. Le tournage s’est fait avec une petite équipe, ceci dû en partie à notre budget limité.

LES DAMES a en effet été un film difficile à monter financièrement car mis à part la Télévision Suisse Romande et des fondations privées, personne au départ ne faisait confiance à ce projet pas assez « glamour » à leurs yeux. Parler de femmes invisibles, c’est un vrai défi...
 
A quoi ne vous attendiez-vous pas ?
V.R. : à ce qu’elles nous amènent elles de la vie, de l’espoir car elles sont pleinement dans ce qu’elles font. Les entrevues étaient toujours très vivantes. Certains moments de tournage ont été épiques, comme passer une journée dans la neige avec un groupe de chasseurs du Nord Vaudois ou accompagner une de nos dames durant une nuit au Carnaval de Monthey. On ne s’attendait pas à ce qu’il y ait autant de moments joyeux, drôles, qui amènent au film un grand mouvement de vie.
 
Que retenez-vous de ce tournage et de ces rencontres ?
S.C. : suivre ces femmes confrontées à la solitude affective sur une année entière, leur manière à chacune de vivre pleinement leur vie, avec leurs hauts et leurs bas, m’a montré la force de la vie même. Et ce désir d’aimer qui ne nous lâche pas, même si le temps marque nos visages, affaiblit nos corps...
 
V.R. : aussi, certaines m’ont appris l’importance de rester ouverte et souple face à l’existence, d’être capable d’aborder les choses avec un peu de distance, de prendre ce qui se présente « comme une expérience », de garder le sens de l’humour… Comme quoi, plus on vieillit et plus le dicton « l’humour sauve » semble d’actualité. Certaines de nos protagonistes en sont la preuve !
 
Réaliser à deux semble être une évidence pour vous. Pourquoi ?
S.C. : peut-être parce que nous sommes entrées ensemble dans ce métier d’écriture et de réalisation, partager la création est pour moi naturel. J’aime échanger avec Véronique, chercher en salle de montage le moment le plus juste, la structure de film qui correspondra le plus au sentiment que nous voulons exprimer.
 
V.R. : inventer des mondes, créer ensemble de nouvelles histoires, de nouvelles aventures de vie, c’est notre aire de jeu. Et nous ne nous en lassons apparemment pas...

Article publié le 22/09/2020 à 01:00 | Lu 1612 fois