Les beaux jours : retraite, amours et trangression (film)

Le dernier film de Marion Vernoux, Les beaux jours, avec Fanny Ardant, Laurent Lafitte et Patrick Chesnais sort sur les écrans le 19 juin prochain. L’histoire ? Caroline, fraîchement retraitée, n’a que ça devant elle : du temps libre et encore du temps libre. Comment alors tout réinventer ? Transgresser les règles, provoquer de nouvelles rencontres, ou bien simplement remplir son agenda ? Ardente Fanny Ardant.


Entretien avec Marion Vernoux

Les beaux jours est d’abord un roman de Fanny Chesnel intitulé Une jeune fille aux cheveux blancs. Pourquoi avez-vous eu le désir de l’adapter ?

Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée mais les producteurs François Kraus, Denis Pineau-Valencienne et Juliette Favreul Renaud, qui sont ensuite venus me proposer ce projet. C’est ça qui m’a plu au départ : qu’on vienne me chercher ! Quand j’ai lu le livre, j’ai commencé par me demander : en quoi cette histoire me touche ? Est-ce qu’honnêtement je peux m’en emparer ? Après tout, je ne suis pas cette femme, je n’ai pas soixante ans, je ne suis pas provinciale, ni dentiste… Pour autant et par le plus grand des hasards, me trottait dans la tête depuis quelques temps, un personnage de femme d’une soixantaine d’années dont je voulais raconter l’histoire, même si celle-ci n’avait rien à voir.
 
Quels chemins avez-vous pris pour y arriver ?

J’ai beaucoup travaillé le personnage de Julien. Dans le roman, il était endeuillé par la mort de sa mère et sa femme dans un accident de voiture. Caroline était un peu une mère de substitution. Moi, je voulais qu’il soit au contraire à armes égales avec elle, que leur attirance soit moins justifiée psychologiquement. Dès que j’ai pensé à Julien comme à un homme à femmes, c’était bon, je savais que j’avais ma porte d’entrée dans l’histoire. Une femme vient de prendre sa retraite, elle croit qu’elle va tomber dans l’anonymat, devenir transparente, ne plus être regardée par un homme, l’est à nouveau mais pour la bonne raison que cet homme regarde toutes les femmes ! J’aimais cette ironie qui m’évitait le premier piège dans lequel je ne voulais pas tomber : le côté cougar. Cet homme n’aime pas « les vieilles », non, il aime les femmes. Toutes ! Et puis pendant que j’écrivais le scénario, j’ai pris conscience que mes parents étaient morts l’un et l’autre au moment d’aborder la soixantaine. Et qu’ils m’avaient laissée face à cette page vierge. Page que je me devais de remplir pour combler leur absence. En faisant ce film, je leur rends hommage à ma manière. J’aurais aimé avoir avec ma mère ce temps du film que je passe avec Caroline.
 
Le thème du film n’est pas tant la vieillesse que la question de ce que l’on fait de sa vie, de son désir…

Oui, et c’était ma troisième motivation pour faire le film : parler du couple. Qu’est-ce qui fait que l’on reste ou non ensemble ? Comment relance-t-on les dés ? C’est un immense mystère, plus que le coup de foudre. Cette capacité à continuer, ou pas… C’est très touchant, d’autant plus quand on est dans la dernière ligne droite de sa vie, à l’heure des bilans : qu’est-ce que j’ai réussi, raté ? Avec en filigrane la question : est-ce que je vais mourir seul ou pas ? Quand on vit en couple, il ne faut jamais perdre de vue que tout peut toujours se casser la figure. Sinon, c’est mortifère.
 
Il a tout de suite été question que Fanny Chesnel participe à l’écriture du scénario ?

Ce n’était pas une obligation mais dès que je l’ai rencontrée, l’alliance s’est imposée. J’étais très en confiance et j’ai eu raison, c’est une excellente scénariste. Elle est très douée, elle a le sens du dialogue, des situations. On a vraiment travaillé à quatre mains. Et puis son livre est très nourri par son expérience puisqu’elle s’est inspirée de sa mère pour l’écrire. Elle était garante de la crédibilité de l’histoire. Structurellement, le scénario reste très proche du livre. La plus grosse modification concerne l’histoire d’amour.
 
Quand Caroline rencontre Julien, elle ne se raconte pas que tout est de nouveau possible, elle ne court pas après sa jeunesse ni ne rêve de construire un futur avec cet amant… Elle est juste dans l’acceptation de ce qui lui arrive…

Dans le film, personne ne se raconte de bobards, ni n’en raconte aux autres. Caroline et Julien sont heureux simplement parce qu’ils passent l’après-midi au lit à prendre clandestinement du bon temps. Ils sont dans une forme d’abandon, ils fument des joints, se chamaillent, se confient… Comme des ados ! Leur histoire commence de manière toute bête : Caroline se rend compte que c’est agréable de boire au déjeuner, que c’est bête de ne pas en avoir profité plus tôt. C’est la première petite porte qu’elle entrouvre, elle est un peu pompette, Julien la séduit… Il y a un côté : « Eh merde, pourquoi pas ? ! » Même si je pense qu’elle est terrorisée et bouleversée quand elle pressent ce qui va se passer.
 
Le fait que Julien soit un homme à femmes rend d’autant plus libre leur histoire. On évite le cliché de la femme plus âgée qui regarde ses rides dans la glace avec d’autant plus d’angoisse qu’elle a rencontré un homme plus jeune…

C’était prévu dans le scénario ! Mais au moment de tourner, je me suis dit que ce serait un contre sens. Caroline est regardée par quelqu’un d’autre, elle n’a plus besoin de se regarder elle. C’est d’ailleurs ce qu’elle dit à son mari quand il lui lance : « non mais tu t’es regardée ? » Et qui lui répond : « Non, c’est lui qui me regarde ! » Caroline et Julien ne sont pas dans la stratégie amoureuse. Peu importe qui rappelle l’autre, qui donne et demande des gages d’amour. C’est une histoire d’amour assez inédite, au-delà de la chronique d’un banal adultère. Caroline ne prend pas spécialement de précautions pour cacher son histoire et son mari ne lui lance pas d’ultimatums du genre : « Si tu n’arrêtes pas immédiatement cette histoire, je te quitte. » C’est beau et inspirant de traiter un trio de cette manière-là. Caroline et Philippe sont un peu en avance en âge mais aussi en conscience. Au fur et à mesure, ils découvrent qu’ils « en ont sous la semelle » et qu’ils vont être moins conventionnels que certaines personnes plus jeunes. Ils ne lâchent pas l’affaire alors que ça pourrait justement être l’âge on l’on commence à le faire.On peut d’ailleurs se dire au début du film qu’il y a encore de la joie et du désir entre eux. On ne sent pas l’usure du quotidien.

Oui, ce couple repose beaucoup sur sa capacité à se faire rire, heureusement inépuisable. Julien aussi séduit Caroline par son humour. À sa manière, elle a un type : les hommes drôles et spirituels.

Les beaux jours : retraite, amours et trangression (film)
Philippe est astucieux quand il dit à sa femme qu’il ne cherchera pas à la reconquérir…

Oui, il a bien raison mais on voit sur son visage qu’il est vraiment atteint. C’est la grâce de Patrick Chesnais d’exprimer ainsi combien le personnage a de la peine, combien il est déstabilisé. Entre ce qu’il dit et ce qu’il montre…
 
Love Etc., Rien ç faire… Ce n’est pas la première fois que vous racontez une histoire d’amour clandestine… Est-ce la raison pour laquelle les producteurs ont pensé à vous ?

Ils aimaient effectivement beaucoup Love Etc. Ils trouvaient que c’était la veine sentimentale appropriée pour ce film. Les histoires d’amour clandestines ne peuvent pas le rester trop longtemps donc, dramatiquement, il y a d’emblée un potentiel. Vivons heureux, vivons cachés… mais combien de temps ?
 
Fanny Ardant est très étonnante dans le film…

Je n’ai pas pensé spontanément à elle car son registre habituel n’allait pas avec le côté spontané et espiègle du personnage. Mais je savais aussi que je cherchais une actrice belle tout en n’étant pas trop dans l’image d’elle-même… Et qui accepte d’incarner un personnage qui va dans un club pour retraités, qui a des scènes de lit avec un homme beaucoup plus jeune... Et d’assumer un scénario où revenaient à plusieurs reprises les mots « vieille », « vieillir »… On ne répètera jamais assez à quel point la vieillesse reste un tabou. Heureusement, Fanny a su s’en amuser plutôt que de s’en formaliser. Et surtout se saisir du personnage, au-delà de son état civil. Je pense que la direction d’acteur a commencé le jour où l’on a fait une lecture à voix haute du scénario : en entendant Fanny, je me suis dit que j’allais la faire parler plus vite car je voulais un film vif. Du même coup, cela la faisait parler une octave plus haute. Et ça changeait tout ! Je ne l’ai jamais lâchée là-dessus. Fanny est très intelligente, au sens d’être en bonne intelligence : avec le rôle, le projet, ses partenaires, ma façon de faire, mon univers.
 
Et le désir de la teindre en blonde ?

Au départ, j’avais envie qu’elle ait les cheveux blancs, comme le suggère le titre du roman. On a fait des essais mais ça la rendait paradoxalement trop sophistiquée. En revanche, on s’est rendu compte que les cheveux clairs lui donnaient un aspect en même temps « passe partout » et énigmatique. Et puis je voulais la voir en jeans. Alors qu’elle n’en avait jamais portés de sa vie ! Fanny a une classe folle. Avec elle, c’est facile, tout lui va. Dans la vraie vie, elle porte surtout du noir auquel je préférais des couleurs fondues. Que ses vêtements soient intemporels et un petit peu improbables.
 
Et le choix de Laurent Lafitte ?

J’ai pensé à lui en le voyant… aux Césars l’année dernière. Il avait fait un sketch plutôt casse-gueule mais son élégance très « british » faisait passer ces énormités. Je me suis dit, c’est lui, c’est Julien ! J’avais envie qu’il soit sexy, qu’il ait les cheveux un peu hirsutes, qu’il ait plus de poils ! Et montrer sa peau, qu’il a très belle. Entre Julien et Caroline, l’attirance est épidermique. Laurent a un regard exceptionnel, en un quart de seconde, il passe d’une émotion à l’autre. On sent son intelligence, il sait écouter ses partenaires, réceptionner vraiment ce qu‘ils lui donnent. Dès qu’il plante son regard sur Caroline, on sent combien elle est regardée. Quand j’ai fait se rencontrer Fanny et Laurent pour voir si ça marchait entre eux, elle a tout de suite été emballée : « Avec lui, ce n’est pas une histoire d’âge qu’on va raconter mais une histoire qui marche. »
 
Et Patrick Chesnais ?

Je l’avais rencontré dans un festival, on se connaissait un peu. À peine avait-il refermé le scénario qu’il m’a rappelée pour me dire, moitié en m’engueulant : « Je ne vois pas à qui d’autre tu aurais pu le proposer ! » J’aime ces acteurs dont on se dit quand ils jouent qu’ils pensent un peu à autre chose. Patrick possède cette forme de présence-absence qui convenait bien pour incarner ce mari, dont on se demande s’il a compris que sa femme a un amant, s’il s’en fiche. Ce n’est pas de la désinvolture mais du mystère. Patrick a une intériorité, c’est un acteur spirituel et un très bel homme. Pendant le tournage, je les sentais tous heureux d’être là. Je crois qu’ils avaient confiance en moi, en eux. On n’avait pas à s’embarrasser de rapports de force ou de pouvoir. C’était très agréable.
 
Vous avez enquêté sur la réalité des clubs pour retraités ?

À chaque fois que je commence un scénario, je me dis qu’il faudrait aller vérifier ce que j’écris mais je me laisse emporter par mon imagination. Ici en l’occurrence, il y avait déjà le matériau de Fanny, qui elle avait bénéficié d’une documentation à la source puisqu’elle s’inspirait de l’expérience vécue par sa mère. Au cours de l’écriture mon intérêt pour le sujet s’aiguisant, j’ai posé des questions autour de moi, lu quelques livres sur le sujet etc…
 
Les adhérents du club sont drôles mais votre regard n’est jamais ironique…

Je les aime bien, ces personnages, je n’ai aucune raison de me ficher d’eux. J’avais envie de ce côté « petite bande ». Ce sont peut-être des utopies de cinéma de se dire qu’en acceptant les choses, en n’étant plus dans le déni, on peut recréer de la solidarité, de la fraternité, libérer la parole, aller au-delà des clichés... Les copines de Caroline sont cash. Elles ne se mentent pas, avouent qu’elles ne font plus l’amour, font des inventaires : le premier cheveu blanc, le premier « Madame », etc. Caroline, elle, a vécu avec des oeillères. D’où l’intérêt de la confronter à ces gens. Jusque-là, elle n’a pas forcément eu les yeux très ouverts sur les autres.
 
Au début du film, dans la scène avec le professeur de théâtre, tout est dit…

Caroline a un côté rebelle mais elle ne s’est jamais vraiment jetée à l’eau, elle a porté un masque pendant trente ans – même concrètement, avec son masque de dentiste. Je ne pense pas qu’elle se soit beaucoup abandonnée avant de connaître cette histoire avec Julien. Je commence donc à la placer sur la sellette d’une scène de théâtre. Avec la peur de perdre de sa superbe, de tomber de son piédestal. Et là, c’est bas les masques.
 
Julien est très émouvant quand il avoue à Caroline qu’il se sent inutile…

Je ne pouvais pas ne pas écrire cette scène. Il fallait que Julien dévoile à un moment la vacuité et la velléité de sa vie. Sinon, il devenait un simple sextoy !
 
Si Caroline et Julien finissent par se séparer, ce n’est pas une question d’âge mais de forme d’amour…

Oui, Caroline tient à son mari, elle ne veut pas le faire souffrir. C’est ça qui la détermine. À un moment, même s’il ne lui lance pas d’ultimatum, elle est obligée de faire un choix.
 
Et la scène de rupture à l’aéroport ?

J’adore ce genre de scène au cinéma. Quand on devine qu’il ne reste plus que quelques secondes avant la fin. Comment filmer ces dernières secondes ? Avec ou sans violon ? Comment et sur quel ton vont-ils s’échanger les mots de la fin ? Avec quel tremblement ? Il fallait que leur histoire finisse en l’air, sans se déliter, mais en même temps qu’ils en soient affectés. C’est abyssal pour Caroline de se dire qu’elle ne refera plus jamais l’amour avec Julien, qu’elle ne touchera plus une peau si jeune. Caroline dit adieu à quelque chose de beau et précieux.
 
Cette scène à l’aéroport réunit trois femmes, trois âges de la vie…

J’avais un peu peur que ça fasse quota, que cette femme de quatre-vingts ans disant à Caroline que soixante ans sont les plus belles années soit un peu démago. Je ne voulais pas survendre cette période de la vie. Mais choisir Marceline Loridan et non une actrice pour incarner cet âge, m’a aidée. Le fait de savoir qu’elle a eu une vie tellement exceptionnelle, même si les spectateurs ne la connaissent pas, m’inspirait.
 
Plutôt qu’un jugement sur les différents âges de la vie, il s’agit d’un état de fait… C’est la vie…

Oui, et puis quand on a 60 ans, ça veut dire qu’on a eu 59, 32, 15, 3 ans… Tous ces âges sont en nous, ils nous ont construits. Si on est un peu clown quand on est jeune, on va le rester en vieillissant. Si on a aimé porter des jeans, on ne va pas se mettre à porter des jupes droites. On ne va pas, à soixante ans pile, devenir un « vieux ». À cet égard, les acteurs m’inspiraient beaucoup. Quand je les voyais arriver sur le plateau le matin, je ne voyais pas des « vieux », mais d’abord des personnes.
 
Et tourner à Dunkerque ?

Je reviens toujours à cette région, tant elle est belle à filmer. Et puis je ne voulais pas enfermer les personnages dans une ville bourgeoise ou trop identifiable, je voulais qu’on se sente un peu « quelque part en Europe ». À part le vin français qui a beaucoup de place dans le film, il y a un petit côté no man’s land. Dès la préparation d’un film, ce sont vraiment les décors qui m’inspirent. Ces longues jetées sur la mer du Nord, je ne peux m’empêcher de les filmer…
 
… et Caroline de s’y promener…

Oui, pleine de cette histoire avec Julien, elle porte un autre regard sur sa ville, et se laisse porter par elle lors de ces longues promenades. La jouissance d’être à nouveau regardée lui donne accès à celle de tout regarder autour d’elle, de tout ressentir. Elle marche sur la plage, les pieds dans l’eau, sourit à ces jeunes, sans amertume aucune…
 
Et la scène sur le banc, où elle avoue à ses filles qu’elle a un amant ?

Là, c’est la petite note presque amère. On sent que cette mère n’a pas été idéale. Elle a « fait le job » mais on ne la sent pas débordante de tendresse. Eh bien oui, pendant une courte période, elle s’autorise à ne penser qu’à elle et même elle le revendique. Mais après tout, n’est-ce pas la plus belle preuve d’amour d’une mère à son enfant de lui transmettre le goût de la liberté ?
 
Quand Caroline et Julien écoutent Les mots bleus de Christophe dans la voiture, lui connaît la chanson, pas elle… On s’attend au contraire !

Je ne voulais pas que la nostalgie soit de son côté à elle, mais de son côté à lui. C’est pour ça aussi que Fanny Ardant était le rôle : on sent qu’elle aime la vie. Les tempéraments nostalgiques n’ont rien à voir avec l’âge. À vingt ans, moi je l’étais déjà ! On entend déjà Les mots bleus dans RIEN À FAIRE. C’est presque devenu une blague entre Christophe et moi ! Il sait qu’à chaque fois que je fais un film, je vais utiliser l’une de ses chansons.
Nous nous appelons respectivement « mon fan ».
 
Et la scène de fin, quand tous s’élancent vers la mer, nus ou presque…

Elle a beaucoup d’importance pour moi, j’ai vraiment bataillé pour qu’elle existe. C’est quasiment une exigence politique et esthétique. En montrant des corps de tous âges, tous genres, tous poids, tous poils, j’entendais briser un tabou... On nous balance des milliards d’images de nudité toute la journée mais on a peu l’occasion de voir des corps dans leur diversité, des corps ordinaires, des corps vivants. Les acteurs ont été d’une générosité incroyable : l’eau était froide, Jean-François Stévenin est carrément nu… Ils y sont allés, ça m’a touchée.

Entretien avec Fanny Ardant

Qu’est-ce qui vous plaisait dans le scénario des Beaux jours ?

C’est obscur, l’envie, ou pas, de jouer un rôle. Quand je reçois un scénario, je ne décortique pas les choses. Je suis comme un chien dans la forêt qui renifle une odeur et se dit : « j’ai envie ». Caroline, je l’ai aimée tout de suite. Et j’ai aimé Marion quand elle m’en a parlé. J’avais envie de l’interpréter, de rentrer en elle, avec toutes les choses d’elle que je ne connaissais pas encore. J’aime bien me sentir disponible, ne pas avoir une idée préconçue du rôle.
 
Caroline, la soixantaine, tombe amoureuse d’un homme alors qu’elle vient de prendre sa retraite mais on se dit que cette histoire aurait pu lui arriver à un autre moment de sa vie…

Exactement. Si j’imagine le parcours de cette femme avant de rencontrer Julien, je me dis qu’elle a toujours eu cette façon irréductible et déterminée de vivre, de ne pas correspondre aux tranches d’âge telles que les définissent les journaux ou les cases des formulaires de police. Elle prend la vie comme elle arrive. Elle n’est pas comme un mouton, il n’y a pas de résignation en elle. Elle est dans le plaisir, elle aime boire, manger. La vie est comme une forêt équatoriale, il y a des lianes qui passent, on les saisit, ou pas... Caroline est téméraire, elle n’a pas peur d’avoir cette histoire avec cet homme plus jeune, malgré tous les risques d’humiliation possibles.
 
Avec Julien, Caroline ne court pas après une jeunesse perdue, elle profite juste du moment présent.

Oui, elle est un peu comme un boxeur. Elle monte sur le ring de l’amour et du désir avec assez d’intelligence pour ne pas être possessive ou folle de croire que la vie va changer tout d’un coup. Ce n’est pas Phèdre qui se jette à corps perdu dans la passion. Elle n’est pas non plus dans la revanche, je suis partie du principe que c’était une femme assez équilibrée, qui aimait son mari, sa famille. Avec néanmoins ce que sous-entend un long mariage, des enfants, des petits-enfants. Et puis l’arrêt de son travail, qui provoque une sorte d’errance après toutes ces journées si occupées.
 
Avec Patrick Chesnais, vous incarnez un couple qui continue d’être uni, malgré les circonstances…

J’adore ce mari, il connaît très bien sa femme, ils partagent encore une grande intimité. J’aime quand elle le rappelle lorsque qu’elle ne peut plus rentrer dans sa chambre d’hôtel, et qu’il la rejoint. Il a quelque chose de solide et de libre lui aussi. Ce n’est pas le petit bourgeois coincé. À mon avis, elle a dû avoir d’autres écarts, cette femme. Lui, je ne sais pas puisque le focus n’est pas sur lui… Il n’empêche, leur couple dure depuis longtemps, sans doute aussi parce qu’ils ont une complémentarité de caractères. Ça convient à Philippe que Caroline ne soit pas bobonne à la maison. Quand elle revient ivre morte au dîner avec les pizzas, il râle mais bon, ce n’est pas si grave, il y aura toujours du bon vin ! C’est aussi un père et un grand-père magnifique.
 
Ils sont dentistes, ont visiblement bien réussi dans la vie mais le film ne tombe jamais dans la caricature de classes…

Je trouve terrible de définir quelqu’un par sa classe sociale. C’est réducteur et humiliant, quel que soit le niveau social. Je déteste raisonner en termes de castes, de caricatures, de clichés. Un être humain est un être humain. Il y a autant de parcours différents de femmes dentistes qu’il y a de femmes dentistes. Ce qui me plaisait dans cette histoire, c’est sa liberté. On ne donne pas de leçons, on suit l’itinéraire singulier d’une femme. Après, bien sûr que la classe sociale détermine les moyens financiers. Ce couple a tellement travaillé qu’ils ont une belle maison, mais pas non plus un palais, et leurs enfants ont été élevés normalement.
 
Un autre cliché est évité : celui de la femme plus âgée qui aime les garçons plus jeunes. Et vice-versa…

Je n’ai jamais compris l’appellation « cougar ». C’est un terme venant d’Amérique désignant une panthère, c’est ça ? Je n’aime pas du tout le côté « petite femme sexy de pouvoir » qu’il évoque. Quelle barbe ! Caroline est à mille lieues de ce genre de femme. Le meilleur exemple est le moment où la jeune maîtresse de Julien arrive. Sûrement que Caroline a mal mais elle transforme sa peine en quelque chose de drôle, grâce à son intelligence et sa vivacité. Il se trouve qu’elle est tombée sur ce garçon qui a l’âge d’être son fils mais il n’y a rien d‘incestueux, lui-même ne cherche pas une maman. C’était bien que Laurent Lafitte soit grand, d’emblée, cela m’enlève tout côté protecteur.
 
Quand Philippe lui dit qu’il ne cherchera pas à la reconquérir, vous croyez à sa sincérité ou c’est justement sa tactique pour la séduire à nouveau ?

Cette forme de non reconquête, c’est profondément lui. Il ne jouera pas au jeune homme à genoux avec une fleur ! Il ne lui infligera pas non plus des heures d’explications, de revendications, de reproches… Philippe est dans l’acceptation, c’est sa grande générosité à lui. À la fin du film, quand ils font du stop et se retrouvent dans la benne du camion plein de sable, elle se sent bien avec lui et comprend qu’il est le pilier central de sa vie. C’est évident, il n’a pas besoin de la reconquérir. Au-delà de la vieillesse et de son aventure avec Julien, eux deux refaisant la route à pied... C’est presque métaphorique, comme un chant d’amour à l’amour, au couple. Quelquefois, on a besoin d‘avoir des errances pour savoir la place très importante qu’occupe quelqu’un dans notre vie.
 
Et puis il y a eu la rencontre de cette femme plus âgée à l’aéroport…

Oui, cette petite bonne femme encore tellement vive lui apprend la liberté vis-à-vis du chagrin. C’est comme si elle lui disait : « Allez, allez ! » Je crois à la dernière phrase d’Un tramway nommé désir : « Moi, j’ai toujours fait confiance aux inconnus. » On trouve ça aussi dans les romans russes… Un inconnu dans un bar ou dans un train, qui vous dit une chose qui résonne incroyablement en vous. Quand Caroline voit Julien pour la énième fois faire du gringue à une énième fille, elle pense alors : « Allez, partons avant que ça devienne médiocre. » L’adultère ne supporte pas la médiocrité. Quand on brûle des choses, il faut que ce soit flamboyant. Si ça commence à être sordide, il faut partir.Dans cette scène, c’est lui qui connaît une chanson ancienne de Christophe, pas elle… Oui, c’est lui qui est dans la nostalgie, pas elle, contrairement à ce que l’on attendrait du cliché, encore une fois réducteur. Pour moi, l’avancée en âge devrait être synonyme d’ouverture d’esprit, de tolérance et de capacité, grâce à ce que l’on a vécu.
 
Le mari et l’amant sont très différents mais le film ne joue pas l’un contre l’autre, ils valent tous les deux le coup !

Je trouve malhonnête quand on montre un vieux pépère ou une vieille mémère avec le rouleau à pâtisserie, et l’amant ou l’amante, somptueux ! Ça peut arriver bien sûr, c’est pour ça que les gens divorcent ou se séparent, mais souvent, c’est plus compliqué, on est vraiment partagé. Dans Madame de…, le mari et l’amant sont tous les deux aussi séduisants. C’est aussi le cas dans La femme d’à côté. Gérard Depardieu était marié à une femme charmante. Et mon mari à moi aussi était charmant.
 
Caroline est réfractaire au club pour seniors où l’inscrivent ses filles…

Oui, le club des Beaux jours, c’est tout ce qu’elle déteste. Elle aime les gens mais elle déteste les groupes. Quand elle arrive là pour la première fois et que la jeune femme lui demande une photo d’identité, elle ne comprend pas, se sent tout de suite emprisonnée. Au cours de yoga, sa réaction première est moqueuse, j’aime beaucoup son insolence, c’est important de toujours porter un regard distancié, ne pas se laisser embrigader. J’aime beaucoup les personnages qui gravitent autour de ce club. Ils sont traités avec une légèreté apparente, comme les comédies italiennes, qui parlaient de choses très dures mais en en riant. Jean-François Stévenin, j’ai adoré le retrouver là. J’avais également déjà rencontré Fanny Cottençon sur Change-moi ma vie de Liria Begeja. Mais jamais Catherine Lachens ni Marie Rivière… On est tous arrivés là avec des parcours différents mais on fait tous partie d’une mémoire du cinéma.
 
Et tourner avec Laurent Lafitte ?

C’est un esprit très drôle, intelligent et élégant. J’aime ce mélange en lui de grand acteur du Français et de type un peu voyou qui n’a peur de rien, qui balance. Il est très généreux, il vous écoute, mais ça réfléchit vite là-haut ! J’ai toujours aimé les hommes qui me faisaient rire, qui se moquaient, mais généreusement. Dans les scènes d’amour, je me sentais à l’aise, protégée. Au cinéma, on peut être immédiatement très intime avec un homme qu’on ne connaissait pas quinze jours plus tôt, on prend des ascenseurs très vite, il n’y a pas tout le méli-mélo de faire connaissance, on est plongé dans la vérité des scènes. Je me suis énormément amusée avec lui et Patrick Chesnais, avec lequel je n’avais jamais joué non plus mais que j’ai beaucoup vu au théâtre… J’aime son flegme, tellement élégant car il cache une fêlure. Patrick est très mystérieux.
 
Comment s’est passé le tournage ?

On était en été, il faisait très beau, c’était comme des vacances. Tous les matins, j’étais contente de retrouver tout le monde. On était une petite équipe, on n’avait pas beaucoup de temps de tournage, il fallait travailler vite mais ce n’était pas un souci car Marion est très énergique et gaie. Et puis les moyens réduits, ça soude les gens et ça favorise l’inventivité. On a tourné à Dunkerque, à Calais, et dans cet endroit que j’ai découvert, le Cap Blanc-Nez, qui ressemble à la Cornouailles. Les jours où il fait beau, on voit les côtes d’Angleterre, c’est magnifique. Marion tourne tous ses films là-bas. Le côté vif du Nord, sa grande générosité, son ouverture, sa lumière magique… Ça dit beaucoup du film, je trouve.
 
C’est la première fois qu’on vous voit en blonde ?

Quand j’ai rencontré Marion, elle était blonde avec des racines noires. J’ai eu envie de lui ressembler. On a aussi essayé les cheveux blancs mais dans cette blancheur qui rappelait les mannequins photographiés par Helmut Newton, il y avait quelque chose de trop sophistiqué. C’est très difficile pour une brune comme moi de devenir blonde. Il a fallu de longues heures chez le coiffeur pour enlever cette noirceur !
 
Outre la couleur de vos cheveux, votre diction est presque méconnaissable…

Oui, Marion voulait que je parle plus vite, plus haut. On est tous de nature obsessionnelle, on a tendance à toujours refaire le même personnage, à toujours avoir la même coiffure, la même façon de parler… C’est donc une chance de se retrouver dans les mains d’un metteur en scène qui a la liberté de vous demander autre chose que le cliché de vous-même. Et en lequel on a suffisamment confiance pour avoir envie d’aller ensemble sur un terrain qu’on n’a pas encore exploré.
 
C’est aussi la première fois qu’on vous voit en jeans…

Quand Marion me l’a demandé, je lui ai dit : « Mais je ne rentrerai jamais dans un jeans ! » Je ne sais pas pourquoi j’avais cette idée, j’avais peur que ce ne soit pas confortable, et d’avoir l’air d’un carabinier ! J’étais persuadée que ce n’était pas pour moi mais j’y suis allée. J’en ai même gardé un, comme un trophée ! C’est très important le moment où l’on définit le personnage extérieurement, comment il est habillé, et coiffé... Le corps s’exprime différemment selon qu’il porte un corset ou un jeans, il envoie des signaux différents. Et ces signaux sont très importants parce qu’ils surgissent avant la parole et le spectateur de cinéma les enregistre sans s’en rendre compte. Quant aux chaussures, j’avais vu que Marion portait des bottines avec ses jeans et je lui ai dit : « Mais pourquoi pas vos bottines ? ! » Elle pensait que je ne rentrerais jamais dedans mais malgré sa petite taille, elle chausse plus grand que moi et ce sont effectivement les siennes que j’ai portées pendant tout le film !
 
Vous éprouviez des réticences à jouer une femme à la retraite ?

Non, je pourrais même jouer une arrière-grand-mère ! La seule chose que je ne veux pas jouer, c’est la caricature, le noir sur du noir. Je n’ai pas besoin qu’on m’aime mais j’ai besoin d’aimer ce que je joue. Dans notre société, on est tous focus sur la vieillesse, mais la vraie histoire de la vie, c’est la mort. La vieillesse, elle, n’est qu’un passage, obligé et inéluctable certes, mais l’important est de savoir si on décide de la prendre à bras le corps ou se laisser balayer par la vague. Dans le plan final, justement, Caroline rentre dans l’eau… Alea jacta est, ça ne sert à rien de devancer les choses, de s’en faire une idée préconçue.

Entretien avec Patrick Chesnais

Qu’est-ce qui vous plaisait dans le projet de Marion Vernoux ?

Que l’histoire soit émouvante et que, sans être dérangeante, elle nous bouscule un peu. Et puis mon rôle, celui du mari est d’une grande dignité, il n’y a jamais de sensiblerie ou de sentimentalisme.
 
Avec Fanny Ardant, vous incarnez un couple de dentistes mais sans  tomber dans la caricature de la bourgeoisie…

Oui, on n’est pas dans le cliché, dans une représentation grossière des classes. Avant d’être des bourgeois ou des dentistes, Caroline et Philippe sont des gens, avec des personnalités intéressantes. Ils ont du charme, une originalité, une richesse. C’est pour ça que le film a une grâce.
 
Au début du film, on sent qu’ils forment un couple qui marche bien.

Oui, ils ont dû avoir beaucoup de bonnes raisons de s’aimer passionnément, charnellement. Et leur couple continue de bien fonctionner, même s’ils n’ont pas de relations sexuelles deux fois par jour ! Mais c’est un classique du genre. Quand on est avec quelqu’un depuis longtemps, souvent, la sexualité s’endort un peu. N’empêche que l’amour est toujours là. Je crois que pour le spectateur, ce couple est attachant car malgré la crise qu’il traverse, il reste un vrai couple.
 
Le film évite le cliché de l’amour régressif… Caroline ne court pas après l’espoir vain de retrouver sa jeunesse perdue en se lançant dans sa relation avec Julien, elle vit simplement le moment présent…

Oui, elle vit le moment, elle n’est pas à la recherche de sensations d’un temps révolu. Cette rencontre avec Julien aurait pu se passer à n’importe quel âge mais elle est rendue plus aiguë parce qu’elle intervient au moment où Caroline est à la retraite, qui est comme un trou béant pour cette femme qui a travaillé toute sa vie. Elle sait qu’elle n’est plus de la toute première jeunesse, elle est très à l’écoute de la forme de marginalisation que cela représente, presque sur la défensive. Sa manière de se tenir sur ses gardes est d’ailleurs l’une des forces et des beautés du film. Elle sait que Julien voudra s’en aller, un jour. C’est pour ça qu’elle-même fait plusieurs tentatives pour le quitter, indépendamment du désir qu’elle éprouve pour lui.
 
À un moment du film, on se demande si Philippe est désinvolte ou digne : ne voit-il vraiment pas que sa femme a un amant ou fait-il semblant de ne pas voir ?

C’est une question que je me suis posée et que j’ai souvent posée à Marion sur le tournage. À quel moment Philippe a-t-il un soupçon ? Quelqu’un lui a lâché le morceau sur la relation adultère de sa femme, il le lui dit. Et puis il est tombé sur des joints dans la voiture, remarque qu’elle a mis son pull à l’envers… Mais on n’est jamais certain de ce qu’il sait car il ne tombe pas dans le misérabilisme crispé du type qui souffre.
 
« Je ne chercherai pas à te reconquérir », dit-il à sa femme quand il comprend qu’elle a un amant.

Oui, et il est vraiment sincère, il ne cherche pas à la séduire à nouveau, à faire le beau. Il l’aime, il n’y a pas de doute. Si elle veut revenir, il l’accueillera à bras ouverts. Mais si elle choisit de s’en aller, il lâchera l’affaire, il ne se battra pas. Il ne veut pas engager un bras de fer avec son amant. Il est trop sonné. Et puis il possède assez d’amour et de force pour ne pas rentrer dans le jeu classique du mari bafoué. Il conserve de la légèreté, de l’humour et du détachement. Il a une relative maîtrise de soi. Ce qui n’empêche qu’il éprouve de la souffrance, de l’incertitude, et qu’il se pose des questions.
 
À la fin du film, ils ont apparemment retrouvé du désir l’un pour l’autre…

Oui, cette histoire leur aura peut-être donné un petit coup d’accélérateur ! Ce couple est vieillissant, elle est à la retraite, lui bientôt aussi, mais ils ont gardé une légèreté adolescente. Elle a une séduction folle, lui n’est pas un vieil homme bedonnant. Ce ne sont pas un monsieur et une dame, même s’ils ont des cheveux blancs et sans doute mal au dos en se levant le matin ! Quelque chose peut se réveiller, repartir. Mais le film ne démontre rien, il dessine avant tout un portrait de femme à la recherche de quelque chose, et qui le trouve, par petites touches.
 
C’est compliqué pour un acteur de jouer un homme proche de la retraite ?

Non, car j’ai encore une large fenêtre de tir, on me propose des personnages très variés, dont l’âge s’étale de 50-55 ans à 75 ans ! Je ne suis plus un perdreau de l’année mais je continue à jouer des hommes qui ont une vie amoureuse, qui font des rencontres. En revanche, je crois que c’est plus difficile pour les femmes, on les fige plus vite dans des rôles, la question de l’âge pèse plus. C’est injuste mais c’est comme ça. Du coup, elles ont davantage peur de passer la ligne jaune, que les spectateurs les identifient à cet âge-là. C’est pour ça que le film et la performance de Fanny Ardant sont remarquables. Elle est au carrefour de toutes ces interrogations, de ces ambiguïtés, de cette chronobiologie.
 
Philippe n’est d’ailleurs pas tendre quand il lui fait remarquer : « Tu t’es regardée ?! »

« Tu t’es regardée, ma pauvre vieille, avec l’âge que tu as... » C’est vrai que ce n’est pas très classe. Ben oui, mais à ce moment-là de l’histoire, il n’est pas content ! C’est lourd d’apprendre qu’elle fait l’amour avec un autre. C’est quand même la femme qu’il aime, la mère de ses enfants, ils vivent ensemble… C’est très beau quand elle lui réplique : « Non, c’est lui qui me regarde. » C’est un coup de poignard pour lui.
 
Comment s’est déroulé le tournage ?

Quelque chose se passait sur le plateau, on sentait un très grand respect, un sérieux mais aussi de l’amusement, une décontraction de bon aloi. Marion Vernoux n’est pas une metteuse en boîte, c’est une cinéaste, avec un regard. Elle a quelque chose de flamboyant, d’énergique, d’amoureux. Je tourne avec beaucoup de gens, je sens quand ils ont un univers, une originalité, une façon de voir les choses, de les découper, des les accompagner. Sur le plateau, Marion est quelqu’un qui cherche. Elle doute, comme tout artiste mais elle sait immédiatement si quelque chose s’est passé dans la prise, qu’elle pourra utiliser. Et si ça ne lui plait pas, elle n’hésite pas à changer le cadre, et à nous donner des indications générales, comme jouer plus vite par exemple. Un bon film vous échappe à un moment, il vit sa vie. Pourquoi ? C’est mystérieux mais il n’empêche que c’est le metteur en scène qui donne l’impact, le signal de départ.
 
C’est la première fois que vous jouez avec Fanny Ardant…

Oui, et j’y ai pris beaucoup de plaisir. Fanny est une formidable actrice. Elle a une personnalité, très agréable. Elle est attachante, on a envie de partager des moments avec elle, de la connaître, de rire avec elle. Elle a une hauteur d’esprit, elle dégage une forme d’aristocratie.
 
Le plaisir du film vient aussi de la galerie de personnages secondaires rencontrés au club Les Beaux jours…

Oui, c’est là aussi que Marion Vernoux s’est révélée être un formidable metteur en scène. C’est très difficile de mettre en scène ce genre de personnages : le petit chauve, la femme dépressive… qui font du yoga, de l’informatique… J’étais amusé quand je lisais ça dans le scénario mais il y avait le risque que cela soit pathétique à l’écran. Et aussi que ça foute les jetons ! Mais Marion ne s’appesantit pas, on voit tout de suite qui est qui, ces personnages sont croqués rapidement, ça n’est jamais explicatif. Et puis ils virevoltent autour de Caroline, qui reste la ligne directrice du film.
 
Quelle a été votre réaction à la vision du film ?

Je ne pensais pas que ce serait aussi réussi ! Le scénario était très bien, je pensais que ce serait un bon film mais je ne pouvais pas savoir qu’il aurait cette grâce folle, d’entrée de jeu, avec la mer, les oiseaux, les lettres qui défilent au générique… Le scénario racontait une belle histoire, il y avait en germe tout ce que propose le film mais Marion Vernoux s’en est emparée et en a fait un objet à part, un objet artistique personnel. Elle a suivi la direction que lui indiquait le scénario mais en le sublimant. On se laisse embarquer par cette histoire, il y a un rythme, on ne s’ennuie jamais, ce qui veut dire qu’on prend aussi le temps de voir les gens s’arrêter, s’expliquer. Et puis on repart. Les beaux jours est un film qui respire bien…

Publié le 17/06/2013 à 11:08 | Lu 1999 fois






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