Le Nord présente sa politique culturelle et artistique mise en place pour les personnes âgées du département

A l’occasion d’une rencontre qui s’est tenue à Lille (Nord) le 25 novembre dernier, le département a présenté les enjeux du dispositif d’aide au développement de projets culturels en maison de retraite mis en place par le Nord. Cette grande réunion des élus locaux a également permis de dresser un bilan des différentes actions réalisées à destination des seniors. Détails.





Regards croisés : d’un côté, Martine Filleul, vice-présidente du Conseil général du Nord chargée de la Culture et de l’autre, Didier Manier, vice-président du Conseil général du Nord chargé des Personnes âgées

Pourquoi une politique « Culture/Personnes âgées » ?

Martine Filleul : Collectivité de la solidarité et de tous les âges de la vie, le Conseil général du Nord a depuis près de trente ans développé une politique culturelle ambitieuse. La culture a vocation à s’intéresser à tous les publics et à chacun en particulier. A l’occasion des débats menés sur les nouvelles orientations de la politique culturelle départementale, il est apparu assez nettement que le Département avait une carte spécifique à jouer sur la question des médiations culturelles vers les publics empêchés ou éloignés.

La délibération cadre adoptée fin 2009 a donc placé au coeur des préoccupations départementales ces médiations, en s’appuyant sur les dispositifs déployés autour des personnes en parcours d’insertion et des personnes âgées. Le grand âge ne se résume pas aux difficultés de santé, de mobilité… Chacun conserve sa sensibilité, sa curiosité… La culture a donc toute sa place auprès des personnes âgées, y compris dans les établissements les hébergeant. C’est là une conviction forte.


Didier Manier : La loi du 13 août 2004 confie des responsabilités majeures au Département. Elle fait de lui le chef de file de l’action sociale. Concernant spécifiquement les personnes âgées, notre rôle est bien connu. Nous délivrons l’Allocation Personnalisée d’Autonomie, nous autorisons la création d’établissement d’hébergement, les accueils de jour Alzheimer et de services d’aide à domicile. Cependant, nous ne nous contentons pas de déployer ces programmes obligatoires, prioritaires et essentiels pour nos aînés.

En développant cette politique volontariste, nous voulons que les établissements soient largement ouverts sur le monde extérieur dont la culture est un reflet important. Toutes les personnes qui y séjournent doivent pouvoir en bénéficier quelles que soient les difficultés qu’elles peuvent rencontrer… A tout âge, la culture doit demeurer un puissant vecteur d’épanouissement et de partage. Et ce à plus forte raison quand l’âge venant, l’autonomie est moins grande et que l’isolement frappe des personnes déjà fragiles.


Comment mener à bien de tels projets ?

Martine Filleul : Pour construire un projet culturel au sein d’un établissement de personnes âgées, il faut une envie commune et la réunion de toute une série de compétences. Le Conseil général du Nord s’attache tout particulièrement à rapprocher l’envie exprimée par un établissement avec des acteurs culturels capables de co-construire un projet. En ce domaine, il n’y a pas de recettes miracles et les produits clés-en-main sont à bannir.

Plusieurs conditions semblent indispensables à réunir. La forte mobilisation des personnels soignants et d’animation des établissements apparaît comme un gage indispensable de réussite. Les artistes doivent aussi pouvoir interroger leurs propres pratiques pour construire un projet ad-hoc… un projet qui intègre les contraintes spécifiques liées aux personnes âgées concernées (une mobilité et une motricité limitées, une mémoire chancelante… ) mais aussi tirer profit de potentialités insoupçonnées (un vécu exceptionnel ou des histoires de vie riches…). Sans parler enfin des partenariats extérieurs qui peuvent être trouvés et venir enrichir le projet d’une dimension intergénérationnelle ou sociale par exemple…

En conséquence, chaque projet élaboré est en quelque sorte cousu main. Dans cette élaboration, le Conseil général apporte son soutien et son expertise : il se veut facilitateur des projets
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Didier Manier : L’implication de tous les collaborateurs de l’établissement est déterminante pour garantir des projets adaptés aux résidents. Souvent convaincues de la nécessité de cette ouverture sur le monde, ces équipes manquent hélas souvent du temps nécessaire pour leur mise en place. Il n’est certes pas aisé de mobiliser des soignants sur des projets culturels qui peuvent être perçus comme des enjeux secondaires. La mission prioritaire de ces établissements étant bien de répondre à la dépendance et ses conséquences.

Pourtant, pour ceux qui s’y essaient, le bilan s’avère extrêmement positif tant pour le personnel et les personnes hébergées que pour leur famille. A travers les actions menées, le regard des uns et des autres change et d’autres modes relationnels s’établissent. Il n’est pas rare qu’à cette occasion, la famille renoue des liens très différents avec son parent hébergé. Ce sont ces liens que le Département du Nord entend favoriser en apportant aide et conseils aux structures d’hébergement qui souhaitent promouvoir humanité, dignité et estime de soi.


Au-delà de ce dispositif spécifique, quelles sont les autres actions déployées dans les délégations pour inciter l’accès à la culture des personnes âgées ?

Martine Filleul : Aucun dispositif si intéressant soit-il ne peut à lui seul répondre à toutes les interrogations et à tous les enjeux d’une question aussi complexe que celle de l’accès des personnes âgées à la culture. Le dispositif dont il est question ici concerne particulièrement les personnes âgées en établissement, et donc, compte tenu des évolutions en cours sur l’aide à domicile, des personnes plutôt très âgées et pour lesquelles les problématiques de dépendance sont les plus évidentes.

Au titre de sa politique culturelle globale, le Conseil général accompagne aussi les personnes âgées « isolées »… en accordant par exemple le tarif réduit dans l’ensemble des musées départementaux, en proposant des actions de médiation spécifiques dans ces mêmes musées…

Un autre enjeu porte sur la lecture publique et sur le développement de supports adaptés pour les personnes âgées… qu’il s’agisse de livres à gros caractères ou de livres-audios par exemple. La Médiathèque départementale du Nord propose au plus de 300 bibliothèques relais avec lesquelles elle travaille des supports adaptés à tous les publics mais particulièrement destinés aux personnes âgées…

Lieu culturel de proximité, la médiathèque est aussi un lieu de sociabilité : développer de tels supports doit donc permettre aux personnes âgées de conserver ce lien avec cette offre culturelle… et partant de là contribuer au maintien d’échanges et de relations sociales. Surtout lorsque les médiathèques au-delà du seul livre, s’ouvrent vers d’autres fonctions, d’autres missions… et qu’elles permettent aussi, par exemple, de se familiariser avec les nouvelles ressources numériques.


Didier Manier : Cette politique volontariste adaptée à des personnes âgées vivant en établissements, et parfois très dépendantes, n’est évidemment pas notre seule réponse à la problématique de l’accès à la culture pour nos aînés. Nous prenons également en compte les besoins de la majorité des Nordistes âgés qui souhaitent continuer de vivre à leur domicile. Ce qui leur occasionne parfois des problèmes liés à la perte de mobilité ou à l’isolement.

Pour ce faire, nous soutenons chaque année clubs des aînés et associations culturelles. Chacun à leur manière, ils s’engagent à mener des actions propres à maintenir la vie sociale des personnes âgées : visites culturelles, animations favorisant l’intergénérationnel et les solidarités autour de moments dédiés à la culture notamment.

Depuis 2009, nous avons également créé le Fonds Départemental à l’Innovation qui accompagne les porteurs de projets autour de quatre thématiques : l’aide aux aidants naturels, la mobilité des personnes âgées, les relations intergénérationnelles et bien sûr l’accès à la culture. Le dispositif récompense un projet par direction territoriale dans la limite de quatre directions par an. Les quatre autres concourant l’année suivante par roulement.

Le but est d’expérimenter des idées innovantes pouvant être reproduites et mutualisées pour accompagner les personnes âgées quel que soit l’endroit où elles vivent. Nous espérons par ces différents dispositifs contribuer à apporter des plages de détente et de bien être aux personnes âgées sans nous contenter de répondre exclusivement à leurs besoins fonctionnels.

Des souvenirs marquants : directeur d’établissement, animateur ou artiste nous font part de leur expérience sur ce dispositif

Michèle Lacoste, responsable de l’animation au Centre Intercommunal de Gérontologie d’Aulnoy-lez-Valenciennes :
A quels types de projets avez-vous participé ?

Le CIG d’Aulnoy-lez-Valenciennes a déjà mené de nombreux projets artistiques et culturels. Nous avons particulièrement à coeur de travailler sur la mémoire, le vécu de nos résidents. De 2003 à aujourd’hui, nous avons mis en place : une fresque, des sculptures en béton, de la mosaïque, un arbre à contes, une expo photos. Pour la plupart de ces projets, nous avons travaillé avec des élèves d’écoles alentours. Nous y avons parfois associé les habitants. Nous faisons toujours en sorte que chaque participant puisse garder une trace du projet. Des livrets comprenant photos, récits et commentaires sont ainsi édités. Nous organisons une inauguration pour chaque projet : l’occasion d’ouvrir le CIG vers l’extérieur.

Comment vous êtes-vous impliquée dans ces projets ?

Je suis en quelque sorte la cheville du projet. Je cherche l’idée, le thème et le soumets à ma direction. Je gère le dossier administratif. Je mets en place l’atelier. Je trouve les intervenants adéquats avec l’aide de la Direction de l’Action Culturelle du Département du Nord. Je fais le lien entre les différents intervenants. Je rencontre les personnes âgées et leur famille pour leur expliquer le projet. J’organise les rencontres et réponds aux besoins logistiques. Je suis l’avancement du projet. Je travaille également sur l’après projet. Chaque atelier est répertorié et contient des photos souvenirs.

En quoi ces projets ont-ils eu un impact sur la vie des résidents ?
Pour la mosaïque, par exemple, les résidents souhaitaient aller toujours plus loin dans le projet. A la fin de l’atelier nous avons poursuivi le travail en réalisant des dessous de plats, des cadres ect… Ils se sont tellement impliqués dans ce projet qu’une personne âgée a eu une tendinite à force de casser de la mosaïque ! Les participants deviennent des ambassadeurs pour les nouveaux résidents qui entrent au CIG. Ils leur racontent tout ce qu’ils ont fait et leur montre le fruit de leur travail. Ces ateliers permettent de créer du lien et de faire travailler la mémoire des résidents car ces derniers se remémorent le travail accompli.

Les personnes âgées sont très surprises de voir ce qu’elles sont encore capables de faire ! Elles sont fières de se voir représentées en photos ou en dessins. Et bien souvent, elles gardent le contact avec des participants extérieurs : par exemple les élèves des écoles.


Vos relations avec les résidents ont-elles évoluées ?

Au cours des différents projets menés, certains résidents ont montré une très grande patience. Ils sont très reconnaissants de ce qu’on leur apporte. Au fil des ateliers, une confiance mutuelle s’instaure. Certaines personnes se confient. On apprend ainsi à mieux les connaître, ce qui permet notamment d’avancer sur leur suivi médical. On développe des moments très privilégiés avec les résidents. Cette idée du « vécu ensemble » instaure des relations beaucoup plus amicales entre le personnel soignant et les personnes âgées.

Christian Valette, Directeur général du Centre Intercommunal de Gérontologie d’Aulnoy-lez-Valenciennes
Comment en êtes-vous venu à faire appel au dispositif d’aide au développement de projets artistiques et culturels dans votre établissement ?

Il y a quelques années, en travaillant avec un mouvement qui souhaitait faire entrer la culture en maison de retraite, j’ai entendu parler de l’existence d’un dispositif d’aide. En arrivant au CIG d’Aulnoy-lez-Valenciennes, la responsable de l’animation m’a soumis des projets vraiment intéressants. Notre volonté était de mettre en place des outils permettant de donner une nouvelle image des établissements accueillant des personnes âgées. Ces projets sont l’occasion de donner un coup de jeune à notre établissement, de changer l’image que l’on a les uns des autres.

D’après vous, quel impact ce projet a-t-il eu sur votre personnel soignant, vos résidents et leur famille ?

Ces projets ont permis au personnel soignant de se rendre compte que certaines personnes âgées avaient encore des capacités insoupçonnées. Le personnel a également pu voir quelle relation pouvait se tisser entre les jeunes et les résidents. Les personnes âgées ont pris beaucoup de plaisir à participer à ces projets. Elles ont pu se raconter, se livrer. Quant aux familles, elles étaient ravies de voir ce que leurs parents et grands-parents pouvaient encore réaliser.

Quels sont vos objectifs pour l’avenir ?

Nous avançons petit à petit. Nous aimerions que la part d’action des personnes âgées soit de plus en plus grande. Nous voulons aller toujours plus loin. Notre but ultime est de réussir à intégrer « l’art thérapie ». C’est une technique non médicamenteuse : un artiste thérapeute travaille avec les personnes âgées dans une relation analytique et comportementaliste à travers l’art. C’est un mode d’entrée et de communication différent, qui permet d’engager beaucoup de choses notamment pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

Le photographe Marc Helleboid et l’atelier photographique autour de l’univers d’Alzheimer : « La Grâce de l’oubli »
En quoi consiste le projet « La Grâce de l’Oubli » ?

L’Association de Développement Gérontologique du Valenciennois (ADGV), Fondation Denis Lemette, souhaitait connaître le regard que je pouvais porter sur l’établissement et ses résidents. Nous avons cherché à savoir ce que je pouvais recevoir des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Je me suis donc axé sur un travail très frontal en oubliant complètement la notion de soin, la dimension médicale de la structure. Je me suis particulièrement intéressé à la sensibilité de ces personnes.

Le travail a duré neuf mois dont six mois passés à me rendre chaque semaine à l’ADGV. J’ai interrogé les malades d’Alzheimer. J’ai également rencontré les familles des malades. L’ADGV a la particularité d’associer les familles des résidents à la vie de l’établissement. La Fondation Denis Lemette est une structure ouverte. Je tenais à le montrer dans les photos qui ont été prises sur place.


A-t-il été facile de mobiliser les résidents et le personnel ?

L’une des principales difficultés résidait dans le fait que les personnes âgées pouvaient difficilement exprimer leur souhait d’être prises en photo ou non. Ce que je pouvais prendre pour un refus résultait parfois d’une incapacité physique de la personne. Donc, soit je décidais moi-même de les prendre en photo, soit le personnel soignant ou les familles me guidaient en fonction des dispositions des résidents ce jour là.

Quant au personnel de la structure, je pense qu’il a d’abord manifesté des craintes car je venais avec beaucoup de matériel : lampes, câbles… Ils trouvaient ça compliqué et se posaient beaucoup de question. Il leur a fallu un peu de temps pour comprendre ma démarche. Et lorsqu’ils ont compris que j’étais capable de rester seul avec une personne âgée, ils sont devenus complices de mon projet. Ils m’ont par exemple appris des techniques pour déclencher des réactions chez la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, par exemple : une main sur l’épaule entraîne un sourire. Ceux qui ont pu participer au projet étaient très contents car ils se sont sentis valorisés
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Que retenez-vous de cette expérience ?

Par moment j’étais bouleversé car j’ai ressenti une réelle souffrance au sein de certaines familles. J’ai aussi pris conscience qu’il y avait là une véritable possibilité de construire quelque chose. J’ai surtout retenu qu’il fallait être suffisamment ouvert pour construire un projet tel que celui là car le langage était très peu présent. J’ai mené un véritable apprentissage. J’ai par exemple eu la chance de participer à des massages. J’ai découvert un autre rapport avec la personne. Je suis devenu actif dans la relation que je menais avec les résidents atteints de la maladie d’Alzheimer.

Même si le regard de ces personnes semble être complètement vide, elles existent, elles vivent. Elles construisent leur propre monde et finalement ce rapport frontal que j’ai entretenu avec elles durant mon travail nous a mis sur un pied d’égalité : car ni elles ni moi ne savions ce que nous pensions l’un de l’autre…

Article publié le 01/12/2010 à 10:50 | Lu 2870 fois