Lancement de l’Observatoire B2V des Mémoires (partie 2)

Le Groupe B2V, spécialiste de la protection sociale, vient d’inaugurer à Paris l’Observatoire B2V des Mémoires, un outil qui vise à approfondir la compréhension de la mémoire sous toutes ses formes (individuelle, collective, d’entreprise…), qui vise à diffuser la connaissance et à participer au développement de moyens de prévention. Partie 2.





A/ Principes de base de la mémoire humaine

La mémoire humaine comporte trois temps et fonctions. Le souvenir est une sorte de traduction en langage « neurones » de l’information que l’on a captée de différentes manières.
 
L’encodage : la fabrication du souvenir. Etape de transformation de l’information pour en constituer un souvenir. L’encodage peut être volontaire ou par incident.
 
Le stockage : rangement de l’information dans la zone appropriée du cerveau. Pour le maintien des informations en mémoire. Le stockage peut durer quelques secondes comme plusieurs années.
 
La récupération des souvenirs. La restitution peut être consciente ou non, spontanée ou stimulée.
 
B/ L’Observatoire B2V des mémoires a choisi de s’engager dans les champs thématiques suivants :

Mémoire Individuelle

La mémoire rend possible l’apprentissage et donc l’expérience. Elle permet la construction de l'identité d'un individu et son maintien. Elle est en lien avec l’identité humaine et la notion de dignité. Grâce à l’IRM notamment, on a réalisé que la mémoire individuelle se distribuait en plusieurs mémoires, au nombre de cinq systèmes (en référence au travail du neuroscientifique Endel Tulving), chacun intégrant les systèmes précédents pour fonctionner :

-la mémoire procédurale que sont les habitudes, les automatismes ;
- la mémoire perceptive qui repose sur des mécanismes complexes et nous permet de faire deux choses à la fois ;
-la mémoire sémantique, connaître sa date de naissance ou savoir que le Nil est un fleuve d'Égypte, qui se réfère à l’ensemble des concepts et connaissances générales sur le monde ;
-la mémoire de travail, qui a une capacité de stockage restreinte et maintient l’information à court terme, une sorte de présent psychologique de quelques secondes. Historiquement, on parlait de « mémoire à court terme » pour désigner par exemple le temps de composer un numéro de téléphone ou de répéter le nom d’une rue inconnue où l’on cherche à se rendre. On l’oppose à la « mémoire à long terme », qui commence au-delà de quelques secondes et peut aller jusqu’à la vie entière.
-la mémoire épisodique, le souvenir d'un voyage par exemple, qui permet de voyager dans l’espace et le temps, de récupérer une situation, d’évoquer un souvenir. Elle nous permet de nous projeter dans le futur.
 
Mémoire d’entreprise

La mémoire d’entreprise est de plus en plus la résultante de cultures d’entreprises qui ont fusionnées. L’intérêt des entreprises pour une plus grande valorisation de leurs informations, connaissances et compétences est grandissant. Ces entreprises disposent d’un capital de connaissances (documents, données, référentiels, messages, …) souvent mal exploité.
 
Plusieurs modèles ont été créés pour étudier cette gestion des connaissances passant par la mémoire d’entreprise. Outre la mise en place d’un réseau, d’un intranet ou d’un système de circulation de documents, la gestion des connaissances exige une attention particulière aux informations contenues dans les documents. L'entreprise est donc de plus en plus définie par une accumulation de savoirs et de savoir-faire. D'autre part, les mouvements des salariés sont toujours plus fréquents. Départs en retraite, mobilité de carrière, délocalisations, demandent à l'entreprise de mettre en place des moyens pour conserver les connaissances de ceux qui partent. En effet, si l'on n'y prend pas garde, le départ d'un collaborateur fait parfois perdre un savoir-faire précieux. On réalise alors que l'absent avait un « tour de main » particulier pour telle ou telle tâche
 
Mémoire collective

La mémoire collective est partagée, transmise et aussi construite par le groupe ou la société moderne. Le terme « mémoire collective » a été inventé par Maurice Halbwachs par opposition à la notion de mémoire individuelle. La culture populaire est un exemple de culture collective comme terrain sur lequel s’élaborent l'identité sociale et les représentations collectives fondées sur la mémoire. Les relations interindividuelles participent à une construction commune d’une mémoire en partage d’un évènement, une période, un acte.
 
Les nouvelles mémoires, les nouvelles technologies et Internet

L’utilisation fréquente de moteurs de recherche et de ressources en ligne a modifié la façon dont nous mémorisons les informations, rapporte une étude scientifique. Publiée dans la prestigieuse revue Science, la recherche a été menée sous la direction de Betsy Sparrow, de l’institut de psychologie de l’université de Colombia, aux États-Unis. Les ordinateurs et Internet sont devenus une sorte de mémoire auxiliaire. Plutôt que de se rappeler certains faits, les internautes se souviennent de la façon de les retrouver en ligne. L’étude relève qu’Internet est devenu une sorte de moyen de stockage externe de notre mémoire, sur lequel l’humain se repose. Ce phénomène est déjà connu sous le nom de « mémoire transactive » : un individu va se rappeler qui consulter parmi ses proches ou encore, où rechercher une information, plutôt que de faire l’effort de la retenir lui-même! Récemment sur ce sujet de l’influence d’Internet et des nouvelles technologies, l’écrivain français Michel Serres a publié en 2011 Petite Poucette.

Petite histoire et quelques métaphores de la mémoire

La mémoire fait-elle partie de nos corps ? Pour l'individu moderne la question paraît de prime abord un peu absurde. Pour nous, la mémoire est dans notre cerveau, et tout le monde s'y accorde. Pourtant il n'en a pas toujours été ainsi.

• Apprendre par coeur

Nous parlions avant, à la suite d'Aristote, du coeur comme lieu de passage de la mémoire. Cette idée est restée longtemps ancrée dans les consciences, et l'on en a gardé l'expression « apprendre par coeur », qui est encore utilisée dans de nombreuses langues en dehors du français, comme par exemple l'anglais « learn by heart ». Mais le coeur n'était pas le lieu même de la mémoire, c'était juste un passage. La mémoire n'était pas physique, elle était métaphysique.

Un certain Ménon a mis Socrate face à un paradoxe que nous n'avons toujours pas résolu. Imaginons que nous trouvions une vérité. Si jamais nous reconnaissons cette vérité comme étant vraie, c'est que nous savions déjà qu'elle l'était, donc nous ne la découvrons pas... Ce paradoxe, Socrate va le contourner d'une manière habile. Il déclare qu'à chaque fois que nous découvrons une vérité, nous la reconnaissons car nous la connaissions dans une vie antérieure. La mémoire existe hors de nous et notre âme s'en souvient lors de ses voyages de corps en corps que l'on nomme la métempsychose (réincarnation). Il est intéressant de voir que ce concept de la métempsychose chez les grecs qui fondent la philosophie de l'Occident, est partagé par de nombreuses cultures et religions.

Pendant de très longs siècles, l’homme a considéré que la mémoire existait hors de lui, dans le « Ciel des idées » pour les platoniciens, dans le monde de l'âme pour les religions monothéistes, dans l'Âkâsha pour les Jaïnistes, dans le monde du Bardö pour les tibétains, ou dans le feu sacré des zoroastriens du Moyen Orient.

Depuis nous avons fait de nombreuses découvertes scientifiques. Le séquençage du génome humain marque une étape importante pour comprendre les mécanismes du développement de l’homme, sa physiologie et son histoire évolutive. Le génome est un lieu où des informations moléculaires essentielles sont conservées. Notre corps serait détenteur d’une mémoire des gènes de nos ascendants. Progressivement, grâce à l'observation et aux études des effets produits par les lésions cérébrales, nous avons pu localiser en grande partie les fonctionnements complexes de la mémoire dans le cerveau, et avancer considérablement sur le chemin de nouvelles connaissances comme par exemple la neuropsychologie...

Alors à quoi ressemble cette mémoire ? Depuis que nous connaissons la plasticité cérébrale, nous savons que la mémoire est mouvante, non pas seulement au niveau du ressenti, mais au niveau physiologique également. Peut-être est-ce pour cette raison que l'homme a toujours décrit la mémoire avec des métaphores différentes au cours de l'évolution, et selon les cultures. Il existe une infinité de mémoires. Pas seulement parce qu'il existe différentes formes de souvenirs mais parce que précisément la mémoire est construite à partir d’une séquence en trois étapes l’encodage, le stockage et la restitution. Et que chacun d’entre nous, devant un même paysage, face à un même évènement, écoutant une même symphonie ou visionnant une même vidéo, restituera des impressions –souvenirs- différents. La mémoire réinterprète.

• Supports et métaphores de mémoire

Chaque époque, selon sa technique, a développé des métaphores différentes pour considérer son cerveau où sont inscrites des informations. L'évolution de l'art des sépultures au cours du paléolithique moyen venait déjà d'une volonté de signifier le souvenir et de l'agencer dans l'espace. Cette conservation de la mémoire prend des formes différentes selon les cultures : que ce soit les traditions de la thanatopraxie des embaumeurs égyptiens, ou les cranes d'ancêtres sur-modelés polynésiens, ou la prédilection européenne pour le marbre pour signifier la mémoire qui se grave et dure longtemps, chaque culture humaine a commencé à exprimer sa mémoire par le respect de ses morts... C'est d'ailleurs en s'inspirant de l'observation de sa fameuse collection de crânes surmodelés, que le docteur Henri Gastaut a considérablement fait avancer les progrès de l'électro-encéphalographie.
 
La mémoire comme des tablettes de cires

A l'époque de Socrate, on utilise pour écrire des tablettes de cire, que l'on peut ensuite effacer en chauffant la cire, pour y inscrire encore d'autres choses. Ces tablettes étaient complexes à fabriquer, et certaines étaient plus pratiques et efficaces que d'autres. Rapidement, Socrate se mit à comparer la mémoire des différents hommes aux différentes qualités de ces tablettes, sorte de cire dans laquelle se « gravait » plus ou moins bien les souvenirs. A partir de la découverte de l'imprimerie, on a considéré que la mémoire ressemblait plutôt à un livre, et donc qu'elle « imprimait » les événements. On a commencé à dire de l'âme qu'elle était ou non « impressionnable ». Une fois que nous avons inventé la photographie, nous avons commencé à dire des personnes avec de bonnes capacités, qu'elles avaient une mémoire « photographique ».

Il semble ensuite que les métaphores que nous avons élaborées pour concevoir nos mémoires aient évolué selon les outils que l'on avait à notre disposition. Mais on est en droit de se demander si ce n'est pas en sens inverse, à cause de notre constitution que nous inventons les outils. Par exemple Armand Giet nous apprend à propos du boulier (l’abacus) que :

« Cet instrument était utilisé par des peuples très largement séparés comme les Étrusques, les Grecs, les Égyptiens, les Indiens, les Chinois et les Mexicains et l'on peut penser qu'il a été inventé indépendamment dans ces différents endroits. »

A l'époque des Grecs antiques, l'art de la mnémotechnique, tel qu'il a été analysé par Frances Yates, montre qu'il était coutume d'élaborer des Palais de Mémoire, que l'on peuplait de scènes plus ou moins morbides et frappantes, qui aidaient les apprentis rhéteurs à se souvenir des choses importantes. Plus tard toujours dans le registre de l'architecture, nous avons commencé à utiliser, à la suite de Robert Fludd, la métaphore du théâtre.

C'est une idée qui plaisait beaucoup à la renaissance, période si riche en arts. On commença aussi à parler du labyrinthe de la mémoire, s'inspirant de ceux que les bâtisseurs de cathédrale mettaient en place. Puis au XVIIeme siècle, avec la découverte de l'horlogerie et des automates, on se mit à considérer la mémoire comme une mécanique, avec ses rouages et ses automatismes.

Une métaphore importante et surprenante est apparue peu après à la Royal Society of Science, en Grande Bretagne, grâce à un chercheur nommé Hooke. Il observa pour la première fois ce que l'on nommait la pierre de Bologne, qui n'était autre que du phosphore. Il considéra que la mémoire pouvait être un phénomène entièrement physique, qui retienne les événements comme le phosphore retient la lumière qui lui permet de luire dans le noir. Cette métaphore d'une grande beauté fut très mal accueillie à l'époque car elle entrait tout à fait en contradiction avec l'origine métaphysique de la mémoire. Plus tard à partir de la révolution industrielle, quelqu'un comme Jung se mit à concevoir l'inconscient comme une usine, et de nos jours les scientifiques analysent de plus en plus le cerveau en utilisant la métaphore de l'ordinateur, considérant que nous reconfigurons nos souvenirs, nous les mettons à jour, les partageons, etc.

Les médias en parlent beaucoup ces temps-ci, nos outils (smart-phones, tablettes numériques, etc) ont une influence sur nos habitudes neuronales. Les métaphores sont aussi des outils. Les découvertes contemporaines en neuro-psychologie, tendent à prouver que l'usage d'un langage métaphorique a un effet bénéfique sur le cerveau : au niveau neurologique il fonctionne sur un système de double codage, à la fois visuel et verbal, il constitue un vrai facteur d'éducation chez les enfants, ou chez l'adulte de maturation cognitive, comme l'ont montré les neuropsychologues Winner et Gardner dans leur étude de 19771.

Les métaphores que nous utilisons pour décrire la mémoire sont donc très importantes. Ces métaphores participent activement de l'élaboration des nouvelles technologies et de nouvelles théories de la mémoire. La miniaturisation constante de la surface nécessaire pour enregistrer la mémoire, a de plus en plus de liens avec la biologie. En ce moment par exemple l'école polytechnique fédérale de Lausanne, encadre des recherches sur des nano-bio-chips (puces) utiles dans le cadre du bio-monitoring2. Ou encore au Japon, dans le département des nanotechnologies du NIMS de Tsukuba, on a développé une synapse artificielle, à l'échelle atomique. Cela risque très certainement de révolutionner l'intelligence artificielle, mais donnera, par cet effet miroir surprenant, de nouvelles occasions de mieux penser la mémoire humaine. Il est intéressant de remarquer qu'au même moment IBM met en place son projet nommé SyNAPSE, ou Systems of Neuromorphic Adaptive Pastic Electronics, un programme qui pose les bases de ce qu'ils envisagent comme la prochaine grande évolution, le cognitive computing.

Petit lexique actuel nécessaire pour mieux comprendre la mémoire

Fonctions cognitives

Fonctions intellectuelles qui se divisent en quatre classes :
1-les fonctions réceptives permettant l'acquisition, le traitement, la classification et l'intégration de l'information ; 2-la mémoire et l'apprentissage permettant le stockage et le rappel de l'information ;
3-la pensée ou le raisonnement concernant l'organisation et la réorganisation mentales de l'information ;
4-les fonctions expressives permettant la communication ou l'action.

Mnésique : qui se rapporte à la mémoire

Cultuel : adjectif signifiant relatif à la culture religieuse, au(x) culte(s).

La plasticité cérébrale

C’est la capacité du cerveau à remodeler les branchements entre ses neurones par formation ou disparition de synapses. Elle est à la base du processus de mémoire et d’apprentissage, mais intervient également parfois pour compenser les effets de lésions cérébrales en aménageant de nouveaux réseaux. Ces modifications locales de la structure du cerveau dépendent de l’environnement et lui permettent de s’y adapter.

La réserve cognitive

La maladie d’Alzheimer concernerait 80% des cas de démence observés dans les pays industrialisés. En France un chiffre officiel parle de 860 000 cas. C’est le vieillissement qui semble être le facteur principal. Une contre-attaque entrevue serait l’élaboration de mécanismes compensatoires, notamment le renforcement de ce que l’on appelle « la réserve cognitive » qui permet une approche plus dynamique, interactive et positive du travail de mémoire. Cette réserve dépend du niveau d’éducation, de l’entraînement cognitif rationnel et du mode de vie. Elle serait susceptible de retarder significativement l’apparition des signes cliniques de la maladie d’Alzheimer.

La notion de réserve cognitive a été proposée pour rendre compte des différences interindividuelles observées dans l’effet clinique des lésions cérébrales. L’hypothèse de la réserve postule que certaines caractéristiques individuelles sont associées à une plus grande réserve cérébrale et permettent de résister aux conséquences nocives des changements cérébraux accompagnant le vieillissement normal, aux lésions cérébrales abruptes ou aux lésions progressives causées par les maladies neurodégénératives. Des différences individuelles dans le style de vie, la scolarité, les centres d’intérêts, et des différences d’ordre génétique, comme le fonctionnement intellectuel, ont été associées à la réserve et ont donc été fréquemment utilisées comme des mesures de réserve.

(source : Béatrice Desgranges , CNRS , Editions Le Pommier , Francis Eustache, INSERM , Les Chemins de la mémoire , Neuroscience)

Article publié le 30/04/2013 à 10:35 | Lu 1769 fois