La dernière leçon : entretien avec la réalisatrice Pascale Pouzadoux (film)

Le dernier film de Pascale Pouzadoux intitulée La dernière leçon, avec Sandrine Bonnaire et Marthe Villalonga sortira sur les écrans français le 4 novembre prochain. Le scenario, tiré du roman de Noëlle Châtelet, relate l’histoire de Madeleine, une nonagénaire, qui a fixé la date et les conditions de sa mort... Entretien avec la réalisatrice.





D’où est venue l’envie d’aborder la mort volontaire en fin de vie ?

J’ai lu La Dernière Leçon, le livre de Noëlle Châtelet il y a dix ans et comme beaucoup de gens, j’ai été bouleversée. J’avais moi-même accompagné un ami en fin de vie –mais dans mon cas, il s’agissait de quelqu’un de malade, et de jeune. J’avais trente ans, j’étais novice sur l’approche de la mort et j’ai eu la sensation de rater des choses. Le livre de Noëlle Châtelet m’a confirmé qu’elle et sa mère avaient partagé bien plus de choses que mon ami et moi et cela me paraissait fondamentale. J’ai donc eu envie d’en faire un film, à la fois pour transposer mon expérience et transmettre l’importance de vivre au maximum au présent afin de ne pas regretter les gens à leur mort. On ne peut rien contre le manque et la tristesse de l’absence mais avoir des regrets, c’est terrible.
 
Comment s’est passée la rencontre avec Noëlle Châtelet ?

Le fait que j’ai réalisé des comédies, l’a beaucoup intéressée car elle souhaitait la présence du rire dans cette histoire, elle voulait absolument dédramatiser la mort. Et puis sa mère était comme ça. C’était quelqu’un de très drôle et elles ont énormément ri dans cette aventure, même si ça ne se voit pas forcément toujours dans le livre – sans doute car Noëlle l’a écrit tout de suite après les événements. Pour elle, il était hors de question que ce film soit plombant ou juste émouvant.
 
Noëlle Châtelet avait raison de vous faire confiance, vous n’avez pas oublié le registre de la comédie…

L’humour est un prisme pour pouvoir supporter la condition humaine. Pourquoi certains films sont difficilement soutenables quand ils deviennent dramatiques et abordent la mort ? Parce que le réalisateur en a retiré le rire et la vie. Mais la mort, ce n’est pas ça. Quand elle devient imminente, un sentiment de survie et de dernier souffle extrêmement puissant s’installe à l’intérieur du corps et on se dit : « carpe diem. » Ma référence était Les Invasions barbares, un film dramatique mais tout le temps drôle.
 
Vous faites ce film dans le même esprit que Noëlle Châtelet a écrit son livre : pour défendre une cause...

Bien sûr. J’ai vraiment fait ce film pour qu’un jour, les personnes âgées puissent être libres, si elles le veulent, de partir sans souffrir. Ca aussi, ça plaisait à Noëlle Châtelet, qui a repris le flambeau de sa mère, qui était militante et avait créé l’ADMD, l’Association du Droit à Mourir Dignement.
 
Noëlle Châtelet a-t-elle suivi le projet de près ?

A partir du moment où elle m’a donné les droits, j’aurais pu débarquer un an et demi plus tard sans jamais l’avoir appelée. Mais c’était à la fois un plaisir et une souffrance pour elle que son livre devienne un film – elle décrit très bien cette dualité dans son livre Suite à la dernière leçon. Elle avait peur d’être dépossédée mais ne voulait pas pour autant une collaboration, juste un compagnonnage. Du coup, je l’ai tenue au courant. Et quand des choses la gênaient au scénario, elle le disait.
 
Vous avez accentué ce que l’on sent déjà très fort dans le livre : la liberté de Madeleine, cette femme sage-femme à la tête des combats les plus modernes…

Mireille Jospin n’avait effectivement peur de rien. Elle appartenait à une génération de femmes qui se sont battues pour tout : la liberté de leur corps, l’émancipation sociale, l’égalité... A côté, nous, on est vraiment des princesses fragiles ! Il était extrêmement important de comprendre que l’acte de Madeleine est militant, comme celui des amants du Lutetia l’année dernière, qui se sont donné la mort après avoir écrit une lettre au Procureur de la République pour qu’on laisse enfin les personnes âgées mourir comme ils le veulent. Elle ne lâche jamais. Sans cette dimension de combattante, sa détermination à mourir n’aurait pas forcément été crédible.
 
Madeleine peut d’autant plus aborder la mort sereinement qu’elle a pleinement vécu sa vie…

Effectivement, Madeleine est complètement épanouie, comme elle le dit dans le texte qu’elle lit à ses enfants à son anniversaire. J’ai repris le vrai texte de Mireille Jospin, que m’a donné Noëlle Châtelet, et qui explique en substance : j’ai réussi ma vie, j’ai adoré mon métier de sage-femme, mon mari m’a rendue heureuse, j’ai la chance de vous avoir ici présents en bonne santé… C’est un constat ultra positif de la vie.
 
La Dernière Leçon raconte aussi la complicité entre une mère et sa fille.

Ce lien fusionnel et fraternel à la mère, et aux femmes en général est un point commun que je partage avec Noëlle. Ma mère m’a appris à être une âme sœur des femmes.
 
Cette complicité est très charnelle, notamment lors de la scène du bain.

Je suis assez tactile de nature, m’a mère m’a beaucoup câlinée, embrassée. Quand j’accompagnais cet ami dans la maladie, j’avais plus facilement l’attitude de le toucher que de lui parler. Les infirmiers m’ont confirmé que les massages aidaient les malades, qu’il ne fallait pas hésiter à les prendre dans les bras, les soulever, les câliner, masser leurs pieds, leur crâne. Cet aspect charnel fait partie de la thérapie de la fin de vie. Malheureusement, on ne touche généralement pas assez les malades. Soit parce qu’on a peur d’être soi même malade, soit parce qu’on a peur de la mort, du corps mortel.
 
Dans son accompagnement, Diane (la fille) expérimente le sentiment de culpabilité…

Oui, notamment par le biais des cauchemars, surtout celui très violent où elle pense qu’elle tue sa mère et qui surgit au moment où elle l’aide à s’acheter les médicaments. Ce qui n’a pas été le cas dans la vraie vie, mais on a voulu pousser le curseur, accentué le conflit : à un moment le frère retire l’arme du crime que sont les médicaments, la sœur la redonne, et plonge dans la culpabilité. Dans les articles et les livres qu’on a lus, ou les témoignages qu’on a recueillis, tous les gens ressentent à un moment donné ce sentiment à plus ou moins haute dose. Noëlle aussi l’exprime à sa façon dans le livre.
 
Le passage de l’écrit à l’écran pose la question cruciale de la représentation de la vieillesse, de jusqu’où on va aller dans la matérialisation de la décrépitude physique…

On s’est évidemment posé ces questions non seulement à l’écriture mais tout le temps du film. C’était très délicat de trouver le juste milieu entre quelqu’un qui souffrirait atrocement d’un cancer en phase terminale et quelqu’un qui pourrait encore être dans son fauteuil, regarder la télé et faire des gâteaux à ses petits-enfants. Madeleine n’est pas à l’article de la mort mais il fallait néanmoins que la fatigue soit assimilée à une maladie, qu’on ressente qu’elle est dans un épuisement insupportable. On a réfléchi aux actrices autour de quatre-vingt-cinq ans mais qui font vraiment dame âgée, avec des cheveux blancs. C’est notre distributeur qui nous a donné l’idée de Marthe Villalonga. Non seulement elle fait vraiment grand-mère, mais en plus elle est très populaire et suscite d’emblée la sympathie.
 
Comment l’avez-vous dirigée ?

Marthe est avant tout connue pour ses rôles comiques mais elle n’a pas forcément l’accent pied-noir et l’œil qui frise, elle peut aussi être bouleversante, droite, sobre. Il n’empêche, elle a quatre-vingt-deux ans, donc dix de moins que le rôle, et surtout une vitalité incroyable – limite plus que nous ! J’étais donc souvent obligée de lui demander d’être moins dynamique. C’était important de trouver le bon équilibre, je l’ai dirigée au millimètre près. Et on a continué à sculpter le personnage au montage.
 
Sa force de vie permet de comprendre la réaction de son fils, qui trouve prématuré son désir de mourir…

C’était une volonté absolue que ce film ne porte aucun jugement sur quiconque. L’héroïne, c’est la mort, c’est elle qui va gagner et face à elle, tout le monde réagit comme il peut, notamment selon la relation qu’il a eue avec ses parents. Si, pour une raison ou pour une autre, on leur en veut depuis l’enfance, comme c’est le cas pour le fils dans le film, on n’acceptera jamais une telle décision, on la vivra comme un abandon supplémentaire. Si au contraire, comme Diane, on a eu une relation harmonieuse, on va basculer de leur côté. Je tenais à ce que tous les cas de figure existent…

… et toutes les générations…

Oui, l’objectif était que le regard sur la mort soit porté par toutes les générations, d’où le personnage du petit-fils, qui est au début du côté de sa grand-mère, puis à un moment murit et se rétracte. Et aussi la présence des petites-filles, dont l’une voit la mort de manière  poétique quand elle fait semblant de dormir pour imaginer ce que ça veut dire que d’être morte.
 
A partir du moment où Diane accepte la mort de sa mère, la vie s’empare encore plus du film…

Oui, le conflit et la colère laissent place à la légèreté et à la joie de vivre : elles ont faim, l’envie de boire, de rigoler... D’où mon désir de faire de plus en plus entrer la lumière alors que le film avance pourtant vers la mort. Jusqu’à arriver à une lumière très solaire quand Madeleine est allongée sur son lit et que Victoria lui explique que les morts ne sont pas morts, qu’ils sont réincarnés dans l’eau du robinet qui coule, dans le chat ou la forêt… Pareil dans la scène qui suit, quand Madeleine et Diane mangent des huitres : la lumière est translucide, la légèreté absolue.
 
Et le film de famille dont on voit des bribes ?

La Dernière Leçon est aussi un film sur le temps qui passe, d’où l’envie de flash-backs, cet outil cinématographique merveilleux qui permet de revenir en arrière instantanément et d’entrechoquer les temporalités. Il fallait absolument qu’on ait l’émotion de voir cette famille réunie, comme quand on regarde les photos de son enfance.

Propos recueillis par Claire Vassé
 

Article publié le 18/09/2015 à 01:00 | Lu 2097 fois