L’art d’être grand-père de Victor Hugo : au Lucernaire à Paris jusqu’au 8 mai 2011

La pièce de théâtre de Victor Hugo « L’art d’être grand-père » vient de démarrer au Lucernaire à Paris. Mise en scène par Vincent Colin, avec Albert Delpy et Héloïse Godet, cette pièce raconte le récit poétique de la complicité de Victor Hugo avec Georges et Jeanne, ses petits-enfants. Un spectacle tendre et amusant où le poète devient à nos yeux l’archétype du grand-père contemporain.


Par Vincent Colin, metteur en scène de ce spectacle

L’archétype du grand-père contemporain

Il est de plus en plus fréquent de croiser dans la rue, à la sortie de l’école, dans un parc ou un magasin, des enfants aux mains de leurs grands-parents.

De même, il est frappant de constater que deux catégories de public fréquentent majoritairement les salles de théâtre ou les musées aujourd’hui : les seniors et les scolaires. La classe d’âge des 25-50 ans est au travail.

Notre propos n’est pas d’analyser les causes de ce phénomène contemporain, mais de nous intéresser à la relation privilégiée qui s’instaure aujourd’hui entre les plus petits et les plus grands Et au-delà de cette relation exemplaire et particulière, nous souhaitons rappeler le rôle irremplaçable de passeurs, joué par les anciens, dans l’avènement du monde de demain.

Un théâtre d’ombres et de lumières…

Hugo dessinait, peignait, caricaturait, il aurait été peintre s’il n’avait choisi de privilégier les mots. Il croquait pour ses petits-enfants des personnages souriants ou menaçants comme autant de bons ou de mauvais points qu’il leur distribuait pour les récompenser ou les réprimander. Il caricaturait ses contemporains illustres ou anonymes, agrandissait les têtes et réduisait les corps. Il inventait avant l’heure la bande dessinée…

À l’occasion de ce spectacle, nous ferons ressurgir cet univers plastique, beaucoup moins connu, du poète patriarche. Ainsi, en contrepoint du récit poétique, un théâtre d’ombres fera apparaître à intervalles réguliers, son propre univers visuel fait d’images surprenantes, parfois féroces, mais toujours pleines d’humour et d’humanité.

Ces mots mystérieux que Jeanne dit à Georges,
C’est l’idylle du cygne avec le rouge-gorge,
Ce sont les questions que les abeilles font,
Et que le lys naïf pose au moineau profond ;
C’est ce dessous divin de la vaste harmonie,
Le chuchotement, l’ombre ineffable et bénie
Jasant, balbutiant des bruits de vision,
Et peut-être donnant une explication ;
Car les petits-enfants étaient hier encore
Dans le ciel, et savaient ce que la terre ignore.


Un double regard, celui du grand-père et de son petit-fils

« L’Art d’être Grand-père » est publié en 1877. C’est le dernier de ses grands ouvrages poétiques. Une sorte de testament avant l’heure. Victor Hugo y raconte la formidable aventure de sa complicité avec Georges et Jeanne, ses petits-enfants. Un événement tragique, la mort prématurée de son fils Charles, l'a conduit à jouer, vis-à-vis de ses deux petits-enfants, le double rôle de père et de grand-père.

Dix-sept ans après la mort du poète, Georges, l'aîné de ses petits-fils, publie un portrait de son grand-père (Calman Lévy, 1902). Dans le spectacle, des souvenirs de Georges viennent répondre aux poèmes de Victor. Ils évoquent l’image de l'aïeul et la vie quotidienne de la famille à Guernesey.

Hugo le patriarche, à l’apothéose d’une longue vie intensément pleine

Loin de l’image habituelle du monstre sacré, nous avons découvert un personnage fragile, drôle, attentionné et profondément humain. Georges et Jeanne, ses deux petits-enfants, objets de toutes ses attentions, deviennent sous sa plume deux comparses de son imaginaire, deux compagnons de jeux, deux complices en rébellion, comme lui, contre la société beaucoup trop sage des adultes.

Quand il nous dit : « Jeanne a trois ans, c’est l’âge mûr », il le pense profondément, car l’octogénaire qu’il est, a su garder une âme enfantine. La mort prématurée du père de ses deux petits-enfants, n’a fait que renforcer ce lien de complicité, au-delà des générations. C’est donc cette image moins connue d’un Victor Hugo tendre et pas sage, léger mais profond, qu’anime ce spectacle sautant allégrement pardessus les barrières de l’âge et des conventions.

Hugo, le chantre de l’enfance

Que voulez-vous ? L’enfant me tient en sa puissance. Victor Hugo.

Très peu des romanciers et des poètes ont célébré l’univers de l’enfant. Hugo est même le chantre absolu de l’enfance. Tout au long de son oeuvre et de sa vie, intimement mêlées l’une et l’autre, L’art d’être grand-père est tourné vers ce rapport aux origines de la vie.

Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis…
Moi, j’admire, ébloui, la grandeur des petits…
J’accepte les conseils sacrés de l’innocence…
Moi, je suis fait pour la société des enfants…


L’enfant, chez Hugo, est beaucoup plus qu’un homme en devenir. Il est au centre de sa cosmogonie personnelle, l’indispensable maillon, le précieux noeud qui relie l’humain au reste de la création, l’intermédiaire naturel de l’homme avec l’animal, le végétal et l’univers entier.

Il est la représentation de l’ange -qualificatif qu’il utilise sans cesse pour nommer l’enfant- car s’il est d’ici, il est clair pour lui qu’il vient d’ailleurs :
Ils trébuchent, encore ivres du paradis…
Cette terre est si laide alors qu’on vient du ciel…
Car les petits-enfants étaient hier encore
Dans le ciel, et savaient ce que la terre ignore…


Il inverse aussi les rôles et fait d’eux des adultes : Georges a trente mois, il est l’homme complet… Jeanne a trois ans, c’est l’âge mûr… Sa prédestination naturelle pour l’univers enfantin sera accentuée par deux évènements accidentels de sa vie : son très long exil politique et le décès de son fils Charles.

En rompant avec la vie citadine, la gloire et les honneurs, pour se retrouver seul, à partir de 1852, sur un rocher face à l’océan, Hugo se tourne encore davantage vers la compagnie des petits. Il invite chaque semaine à sa table les enfants pauvres de Guernesey. Il privilégie la vie de famille et la fréquentation de ses petits-enfants. Par son génie, Hugo bouleverse les codes et les convenances. Le regard qu’il porte sur ce monde si particulier invite chacun de nous à revoir notre propre rapport à l’enfance.

Il n’y a plus l’univers des grands d’un côté, et celui des petits de l’autre. Les deux sont intimement et définitivement mêlés et chamboulés. À une époque, la nôtre, où le monde des adultes regarde parfois avec angoisse celui des enfants, entrons quelques instants dans l’univers poétique d’Hugo, guidé par deux principes essentiels, l’amour et la conscience.

L’éducation, c’est la famille qui la donne : l’instruction, c’est l’Etat qui la doit. Comme nous le constatons, le débat se poursuit aujourd’hui...
L’art d’être grand-père de Victor Hugo : au Lucernaire à Paris jusqu’au 8 mai 2011

L’art d’être grand-père de Victor Hugo
Du 9 mars au 8 mai 2011
Du mardi au samedi à 20h et dimanche 17h

Compagnie Vincent Colin
Auteurs : Georges et Victor Hugo
Adaptation et mise en scène: Vincent Colin
Avec : Albert Delpy et Héloïse Godet
Scénographie : Marie Begel
Lumières : Alexandre Dujardin Costumes: Cidalia Da Costa
Durée : 1h10

Publié le 17/03/2011 à 10:50 | Lu 4296 fois