Jacques et son maître de Milan Kundera au Théâtre Montparnasse : cent minutes de vrai bonheur

Il est des œuvres littéraires pour lesquelles on se dit, après lecture : ceci ferait une bonne pièce de théâtre. C’est à coup sûr ce qu’a pensé Milan Kundera lorsqu’il a découvert le texte de « Jacques le Fataliste et son maître » de Denis Diderot.


Ecrite à Prague en pleine période de reprise soviétique (1972), la pièce fut reprise par l’auteur en 1981 après son arrivée à Paris. Nicolas Briançon l’avait montée une première fois en 1998, puis la reprit plusieurs fois car, d’évidence, ce texte lui tient à cœur. A tel point que cette fois-ci c’est lui-même qui endosse le costume de Jacques, le valet facétieux que le philosophe qualifiait de « fataliste ».
 
Le valet Jacques, donc, est en route avec son maître vers une destination inconnue, écrite là-haut, apprend-on bientôt. Lors d’une halte le maître, qui s’ennuie un peu, demande à Jacques de lui conter une histoire, par exemple de lui parler de ses aventures passées avec une jeune personne qu’il avait bien connue.
 
Jacques s’exécute, et nous entraîne dans ses confidences alors que celles-ci sont simultanément mises en scène en second plan.
 
Au deuxième acte, et c’est sans doute la partie la plus connue de l’œuvre de Diderot, nos deux comparses font halte dans une auberge où la patronne, séduisante femme de caractère, leur raconte l’histoire de Madame de la Pommeraie, également bientôt mise en scène par l’aubergiste elle-même et quelques clients.
 
Et puis nos deux personnages reprennent leur route, et c’est au maître de raconter ses aventures galantes, en particulier celle où, grugé par quelqu’un qu’il pensait être son ami, il se retrouve en bien fâcheuse position.
 
L’idée maitresse de Kundera est d’avoir repris les récits du philosophe avec une mise en scène rajoutée en arrière-plan, donnant ainsi chair au texte initial.
 
La mise en scène de Nicolas Briançon est très rythmée, mettant bien en valeur ces moments forts, propres au théâtre, où le récit devient action. Pour y parvenir, il utilise un décor unique qui s’installe et s’escamote au fil des scènes, permettant une parfaite fluidité. Et c’est presqu’à regret que nous quittons l’auberge et Madame de la Pommeraie pour entrer dans la dernière partie.
 
Stéphane Hillel est un habitué du théâtre, qu’on voit souvent à l’œuvre dans sa propre maison. Il donne au rôle du maître ce mélange de sérieux et de comique qui fait si bien ressortir le texte de Diderot.
 
Quant à Nicolas Briançon, qui n’est pas non plus un novice de la scène, il compose un Jacques pétillant, docile aux désirs du maître sans en être servile, nous rappelant que nous sommes déjà au milieu du 18ème siècle.
 
Le reste de la distribution leur donne joliment la réplique, en particulier Lisa Marino (l’aubergiste) et Pierre-Alain Leleu (le marquis).
 
Mention spéciale aux deux musiciens, un violon et un accordéon, qui jouent des airs lancinants aux résonances brechtiennes lors des pauses de nos deux voyageurs.
 
Nous ressortons de là tout étourdis, encore sous le charme de ce spectacle virevoltant, un peu ailleurs et dans un autre temps. N’est-ce-pas le plus beau cadeau que peut nous faire le théâtre ?

Alex Kiev
 
Théâtre Montparnasse
31 rue de la Gaieté. 75014 Paris
Du mardi au samedi 21h  dimanche 15h


Publié le 21/10/2021 à 09:30 | Lu 4008 fois





Dans la même rubrique
< >