Irvin Yalom : la thérapie du bonheur (film)

Alors que sort en salles le 20 mai prochain le film de Sabine Gisiger intitulé « Irvin Yalom, la théorie du bonheur » qui nous fait découvrir la vie de ce professeur de psychiatrie très connu de l’Université de Stanford (USA), auteur de nombreux romans et essais pédagogiques devenus des best-sellers, revenons plus en détail sur la vie de cet homme de 80 ans qui revendique une thérapie existentielle, nous éclairant sur nos doutes, nos angoisses, notamment sur notre rapport à la mort et sur le sens de la vie…





Psychologies : Vous avez assisté à l’infarctus de votre père quand vous aviez 10 ans et décidé de devenir médecin en voyant le docteur de la famille le sauver. Est-ce vraiment l’origine de votre vocation ?

Irvin Yalom : Il y a eu cet événement, oui. Mais indépendamment de cela, le choix de la médecine s’est imposé parce qu’à l’époque c’était la carrière « classique » suivie par les meilleurs élèves issus de l’immigration juive. En fait, soit vous repreniez le « business familial », soit vous faisiez médecine. Si j’avais su que je pouvais devenir romancier, les choses auraient peut-être été différentes… Mais je ne connaissais aucun écrivain. Je ne savais pas que c’était possible.
 
Ce qui est sûr, c’est que la décision de me spécialiser en psychiatrie vient de la lecture des grands auteurs russes. Je suis un littéraire. D’ailleurs, toute la partie scientifique de ma formation ne m’a jamais intéressé et m’a demandé beaucoup d’efforts. Au début de mes études supérieures, je me sentais intellectuellement « sous-développé » par rapport aux autres étudiants. Je travaillais tellement que je ne réfléchissais pas. J’emmagasinais. J’étais anxieux, obsédé par l’idée de réussir. Les études de médecine étaient difficiles à l’époque, le quota de juifs avait été fixé à 5%. En plus, il fallait que je finisse mes études en trois ans plutôt que quatre. J’étais amoureux de ma femme, Marilyn. Je voulais l’épouser.
 
L’un de vos textes les plus connus en France, un essai qui s’intitule « Thérapie existentielle », développe cette notion que vous avez créée et que vous utilisez dans votre pratique de thérapeute. Pourriez-vous expliquer de quoi il s’agit ?

La thérapie existentielle n’existe pas en tant que telle. Pour la pratiquer, il faut maîtriser plusieurs techniques et être sensible aux questions existentielles, à savoir : que signifie vivre ? Comment affronter la mort ? Comment trouver un sens à sa vie ? Comment accepter l’idée que, même si vous avez réussi à faire couple avec quelqu’un, vous mourrez seul, de la même manière que vous êtes venu seul au monde ? Si vous commencez à vraiment réfléchir à votre propre existence, vous en arrivez forcément à ces questions de la mort, de l’isolement et du sens de la vie. La thérapie existentielle, c’est cela : se pencher sur ces questions métaphysiques dans le cadre d’une thérapie. J’ai toujours été passionné par la philosophie, pas celle qui se préoccupe de logique mathématique, mais celle qui se penche sur la question du sens de la vie. Et je ne vois pas pourquoi philosophie et psychothérapie devraient être opposées. Toutes deux se préoccupent des mêmes enjeux essentiels.
 
Est-ce que la prise en compte de ces questions métaphysiques a modifié votre pratique et les rapports avec vos patients ?

Absolument. Si vous avez en tête l’idée que nous, humains, sommes tous embarqués dans le même bateau, que nous sommes tous confrontés à la perspective de notre disparition, alors vous empruntez une route différente en tant que thérapeute. Je ne suis pas détaché, neutre. Je m’engage avec le patient. J’essaie de comprendre exactement ce qu’il veut dire, de le conseiller sans pour autant jouer le rôle de guide spirituel. Mon objectif n’est pas de laisser les gens céder à la tentation de la soumission à un être « supérieur », à une idéologie ou à une religion. Il ne s’agit pas d’enchaîner, mais de libérer en dialoguant.
 
Donnez-vous beaucoup de conseils et de directives au cours de vos thérapies ?

Je ne veux pas apparaître comme un être omniscient. Ce n’est pas le rôle d’un bon thérapeute, à mon avis. Je parle de ce que je connais, mais aussi de ce que je ne connais pas. Je donne mes réponses aux questions quand je le peux. Il m’arrive même de me dévoiler. Avec Ginny, la patiente de « Dans le secret des miroirs », la cure s’est déroulée il y a plus de quarante ans.
 
Et mon idée, révolutionnaire à l’époque, était la suivante : que se passerait-il si Ginny savait ce que je pense, ce que je ressens pendant nos séances ? Lui donner à lire ce que j’avais rédigé sur nos séances était une expérience inédite. Je suis sûr que tous les patients se demandent ce que leur thérapeute pense d’eux. Et je suis ouvert à cette question. Je considère qu’ils ont le droit de me la poser. Je leur dis toujours qu’ils peuvent me demander ce que je pense. Chaque fois que je l’ai fait, les résultats ont été excellents : cela anime la thérapie, alimente les séances. Les patients se rendent compte que vous êtes sincère, qu’ils ne sont pas jugés et peuvent s’exprimer librement.

 
Mais que faites-vous de la neutralité bienveillante préconisée par Freud ?

D’abord, je pense que ce principe de neutralité est archaïque. Théoriquement intéressant, « thérapeutiquement » vain. La psychothérapie est avant tout une relation, et c’est le lien qui soigne. Je suis d’ailleurs sûr que Freud était très présent avec ses patients, qu’il intervenait dans leur vie, qu’il leur parlait énormément. Je travaille essentiellement sur les rapports que mes patients entretiennent avec les autres. C’est d’ailleurs souvent pour cela qu’ils viennent consulter : pour changer leurs relations avec leurs parents, leurs amants, leurs amis… En examinant le lien qu’ils entretiennent avec moi, en leur révélant des choses si j’estime que cela peut leur être utile, je peux pointer ce qui ne va pas et nous pouvons travailler, analyser les noeuds et les difficultés.
 
Si vous parlez de vous, ne prenez-vous pas le risque de « bloquer » le transfert du patient, de l’empêcher de faire de vous ce père tant aimé, cette mère absente, etc. ?

Pas besoin d’être opaque et silencieux pour susciter le transfert, il se produira de toute façon, car c’est une force puissante. Et puis, nous déformons toujours les choses à cause des sentiments du passé qui resurgissent au cours de la cure. Vous savez, j’ai passé trois ans en analyse avec quelqu’un de très traditionnel et “lointain”. J’ai l’impression d’avoir perdu mon temps. Je ne veux pas être distant. Je veux être humain, interagir.
 
Comment se déroulent vos séances ?

Elles durent généralement de cinquante minutes à une heure et se déroulent une à deux fois par semaine. Je démarre souvent avec un rêve. C’est un excellent moyen d’accéder à l’inconscient. Si les patients ne s’en souviennent pas, je leur demande de s’endormir avec du papier et un crayon à côté d’eux, d’essayer de s’en rappeler au réveil, juste avant d’ouvrir les yeux. Parfois, un mot suffit pour que le fil surgisse. Au début, c’est passionnant car les rêves sont pleins d’énergie.
 
Avez-vous expérimenté de nouvelles thérapies qui vous paraissent intéressantes ?

Non. Je travaille avec ce que je sais. Je reçois beaucoup moins de patients qu’avant. Je suis un vieux monsieur, maintenant. Je n’accepte plus de personnes dont le traitement pourrait dépasser un an. En fait, une grande partie de mon temps et de mon énergie est consacrée à l’écriture. Je suis en train de terminer un roman sur Spinoza. J’aime écrire des histoires. J’ai toujours pensé, quelque part au fond de moi, que publier de bons romans est la meilleure chose qu’un homme puisse faire dans sa vie.
 
Extrait d'une interview réalisée par Hélène Fresnel, parue en mai 2011 dans Psychologies Magazine

Article publié le 13/05/2015 à 01:00 | Lu 1932 fois