Guy : toute une époque ! Entretien avec le réalisateur Alex Lutz

Le film de et avec Alex Lutz, Guy sortira sur les écrans le 29 aout prochain. L’histoire ? Celle de Gauthier, un jeune journaliste qui apprend par sa mère qu’il serait le fils illégitime de Guy Jamet, un artiste de variété française ayant eu son heure de gloire entre les années 60 et 90 et qui ressort justement un nouvel album. Entretien avec le réalisateur.


Votre ami Tom Dingler, qui joue Gauthier dans le film, est le fils du chanteur Cookie Dingler, interprète d’un tube mémorable des années 80, Femme libérée. Est-ce le point de départ de Guy ?
De façon inconsciente, peut-être. Mais le père de Tom n’a pas grand-chose à voir avec Guy, il est plus solaire. Ce qui est sûr, c’est que de l’avoir connu très jeune, parce qu’on était potes de lycée, Tom et moi, avoir vu ce chanteur à tube être quelqu’un de si drôle, de si sympa, de si cultivé, ça calme les a priori. La famille de Tom a été ma première famille artistique. L’épouse de Cookie, Cathy Bernecker, était une vraie marraine pour moi, je l’ai mise en scène avec ma compagnie. Mais, non, ce n’a pas été le déclencheur du film.
 
Quel en a été le déclencheur, alors ?
Plutôt mes réflexions sur le temps, sur la filiation, et mes propres mises en abyme : mes créations de personnages. J’avais envie de revenir à quelque chose de plus essentiel dans ma création artistique : l’art du portrait, que, sur scène, les spectateurs semblent également apprécier. Est née peu à peu l’envie de ce faux documentaire sur un chanteur que les médias ont peut-être oublié, mais qui continue de travailler, d’avoir une relation privilégiée avec le public…
 
Moi aussi, comme Guy, je suis tout le temps sur scène, dans toute la France. J’en blaguais avec Thibault Segouin, l’un des co-scénaristes du film : qu’est-ce que ça sera de rejouer le même sketch, dans quinze ans, dans une ville où j’aurai déjà joué cent fois ? Donc, ça vient aussi pas mal de moi. De mon envie d’apprivoiser mes cauchemars, de mes interrogations sur le temps : c’est étrange, la phrase que je viens de dire est partie aussitôt que je l’ai dite, ou aussitôt que vous en avez lu la transcription. Disparue… Ça me touche, le drôle de bail qu’on a tous avec la vie : on naît avec un bail dont on ignore la date de fn, et il faut se débrouiller avec ça. Guy vient aussi de là.
 
A quel chanteur réel doit-on penser en découvrant le parcours et le répertoire de Guy ?
Je l’ai imaginé comme une personne existant par elle-même. S’il est référencé, c’est plutôt par son époque : il doit y avoir une photo de lui faite par Jean-Marie Périer pour Salut les Copains. Beaucoup d’artistes de cette génération ont traversé les époques et leurs modes musicales : ils ont eu leur période engagée, leur période « funk exotique », leur « look » années 80, etc. Et ceux qu’on a vu s’éloigner de l’œilleton médiatique, cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas continué à tourner à travers la France.
 
Bien sûr, il est évocateur de grands artistes populaires : il y a chez lui du Herbert Léonard, du Guy Marchand, du Michel Delpech, du Julien Clerc pour certains côtés, et même du Franck Michael, qui a toujours son cortège de fans et « blinde » des salles. Je crois que chaque spectateur fera sa cuisine là-dedans, y retrouvera quelque chose d’un ou des chanteurs qu’il aime, avec le cœur qui bat, qui pour un slow, qui pour l’artiste favori de sa mère…
 
J’ai toujours été touché par ce que Sylvie Joly appelle les « petits choses dérisoires ». Comme ces refrains qu’on entonnera peut-être lors d’un mariage. Derrière ce refrain, il y a une vie, un homme, un compositeur, une équipe, un arrangeur, un pianiste, et aussi un divorce, un cancer, etc.

Vous pensez que c’est un grand chanteur ?
C’est un artiste, qui plaît à son public, et qui continue à faire son travail. Parce qu’il n’est pas moderne, parce que, pendant un moment, les médias se sont moins intéressés à lui, il serait ringard ? Le film montre que tout cela est beaucoup plus compliqué.

C’est un crooner : il a choisi de chanter l’amour et il a bien aimé ça. Des femmes, il en a eues, dans son public et dans son lit. Mais il connaît aussi les préludes de César Franck, il les écoute la nuit ; il a chez lui les éditions originales des vinyles de Cat Stevens ; il a lu Proust et même Valère Novarina…
 
Et Guy, il pense quoi de son parcours ?
Il le dit dans le film, il est heureux, il a kiffé, il aime la vie. Il regrette des choses mais il est fier de son public, de sa fidélité, il est même très protecteur par rapport à lui. Et puis la présence de ce Gauthier va électriser tout ça : Guy va réorchestrer ses succès, peut-être même se remettre à écrire. L’irruption de ce fils inconnu lui montre que la vie n’est pas finie. Il avait peut-être lâché un peu, il voit dans l’œil de Gauthier qu’il s’est un peu empoussiéré, mais voilà ce léger vent qui rentre dans la maison et soulève la poussière. Désormais, il y aura des projets.
 
Les femmes ont beaucoup compté pour lui…
Il a beau dire, un peu paresseusement, « Ah, les gonzesses… ! », comme on le disait sans doute à l’époque, il n’en a quitté aucune. Dès qu’il est avec une, les autres disparaissent : il est avec sa femme actuelle, mais aussi avec son attachée de presse. Et avec Anne-Marie, qu’il embrasse encore sur la bouche avant qu’ils ne s’engueulent. Elles sont toutes des soutiens, des piliers. La plus importante a encore son portrait sur son piano, c’est Anne-Marie…
 
Le film est-il une « défense et illustration » du music-hall, ou du show business, à l’usage de ceux qui trouveraient ce milieu ringard… ?
Sans doute un peu. Et une ode à la vie, aussi. Guy sait très bien où il est, voilà pourquoi il s’énerve, après son passage chez Michel Drucker : « Je vais lui dire quoi à Michel Drucker ? Finalement, je me suis trompé, je n’aime pas l’amour ? Erratum, pardon, n’achetez pas mes disques, c’est ça que tu veux que je dise chez Drucker ? » Il n’est pas débile, c’est un vieux briscard, il a bien vu la caméra de Gauthier « panoter » sur les chiens, au moment où il disait que sa femme avait un « fort caractère »…
 
Et au-delà d’engueuler Gauthier, il nous engueule tous. On se fait taper sur la main par un papa qui nous dirait : « Ecoute, tu n’aimes pas comment c’est meublé chez moi, mais tu es libre de ne pas y aller, dans mon salon, je ne t’ai rien demandé… » A ce moment-là, j’aime son panache, sa liberté…

Oui, Gauthier l’a d’abord flmé comme un ringard. Mais, c’est quoi la ringardise ? Vaste sujet. Un type ringard depuis dix ans, au hasard d’une collaboration, va revenir à la mode… Et puis l’opinion de Gauthier va évoluer.
 
Comment avez-vous imaginé le répertoire de Guy ?
J’avais déjà travaillé avec Vincent Blanchard, du groupe Joad, qui possède une inventivité formidable, et une grande capacité à faire des « à la manière de ». Je lui ai demandé de créer un répertoire d’une douzaine de chansons, que j’ai chantées avec trois voix différentes, selon la période, du début des années 60 à aujourd’hui, en allant plus dans les graves en vieillissant, parce que la voix bouge…
 
Il y a aussi, dans Guy, la nostalgie d’un monde où l’on s’amusait davantage…
Les années Sida ont fait exploser un système de divertissement qui avait métamorphosé une France jusque-là immobile. Il faut voir ce qu’est la France après la seconde guerre mondiale et puis comment, tout à coup, avec l’industrie du disque, mais pas seulement, les choses bougent. Une libération, avec son cortège de défauts, de perversions, d’utopies ratées, mais peu importe. Et puis, tout à coup, le sida arrive, qui te dit que la fête est finie. On arrête de rire, la société se « sur-norme ». Il y a de quoi être enragé, hurler. Comme un glas qui a sonné…


Publié le 21/08/2018 à 01:00 | Lu 2549 fois