Grand départ : au nom du père (film)

Le premier long-métrage de Nicolas Mercier « Grand départ » sort le 4 septembre 2013 sur les écrans français. L’histoire ? Un trentenaire qui va devoir affronter son père atteint d’une folie neurodégénérative aussi drôle qu’inquiétante et un frère cyclothymique… Entretien avec le réalisateur.





Comment est née l’idée du film ?

D’un épisode familial que j’ai vécu. Mon père a effectivement été atteint d’une maladie neuro dégénérative qui l’a rendu fou, et nous l’avons accompagné mon frère et moi.

Mais raconter ce que nous avions vécu tous les trois de mon point de vue ne m’intéressait pas. Ce qui me passionnait était d’observer comment cette maladie avait été l’occasion pour mon jeune frère de se réapproprier sa relation avec notre père. La maladie n’est pas le sujet, elle ne sert que de fil rouge au récit.
 
Romain fait tout très bien. Pour autant, il se sent clairement le mal aimé de la famille.

Cette bizarrerie est le sujet du film. Je voulais montrer ce paradoxe qui fait que, parfois, l’enfant qui a le plus correspondu aux attentes de ses parents n’est pas le fils préféré. Dans certaines familles, les parents –et les pères en particulier, qui sont davantage dans l’affrontement avec leurs fils–, préfèrent parfois celui qui leur tient tête. J’avais envie de m’attacher à celui qu’on délaisse, et montrer à quel point cela peut être compliqué pour lui. C’est un terrain très peu exploité au cinéma. On s’intéresse davantage à la sensibilité des rebelles –ceux qui franchissent les limites– qu’à celle des gens, infiniment plus nombreux, qui se conforment à ce qu’on attend d’eux socialement.


Vous traitez le sujet comme une comédie.

J’ai toujours raconté les histoires de cette façon. On peut mettre de la drôlerie en tout, y compris en rendant compte d’une expérience douloureuse. Dans Grand départ, il me semblait important de montrer que même si, le plus souvent, la maladie est un événement qui se termine tragiquement, elle peut, dans l’intervalle, déclencher des choses assez étonnantes : elle fait tomber certaines barrières. Le rire reste une formidable porte de sortie face à la tragédie humaine. Il fédère et rapproche. Après, bien sûr, il s’agit de choisir sa famille de rire. Je n’ai pas de goût pour la grosse gaudriole, j’aime la retenue ; une certaine élégance, même dans la comédie.
 
Grand Départ est votre première réalisation. Qu’est-ce qui vous a incité à sauter le pas après des années passées à travailler comme scénariste ?

C’est Anne Fontaine qui m’y a encouragé. J’avais co-écrit le scénario et les dialogues de Mon pire cauchemar  avec elle, et nous avions eu à l’époque un échange humain et professionnel très fort. Anne et moi aimons les films qui se déroulent dans des cadres assez classiques –voire bourgeois–, pour mieux les dynamiter de l’intérieur et avions beaucoup échangé sur ces questions. Cette rencontre a sans doute été déterminante.
 
Revenons au personnage de Romain. Son métier –il est cadre dans une grande entreprise– joue un rôle très important.

J’ai toujours été fasciné par la vie de bureau et les récits que m’en faisait mon frère. Même si ce milieu m’est assez étranger, je me souviens avoir été frappé à l’époque où j’étais étudiant, lors de stages ou de petits boulots, par l’extraordinaire théâtralité qui s’en dégage, et sur laquelle par la suite, mon frère insistait beaucoup. Les gens y sont en représentation permanente. Ils doivent s’inventer des rôles –mais sans être trop loin de la réalité pour pouvoir les tenir sur le long terme et tout en empruntant aux codes en vigueur dans leur entreprise. C’est stupéfiant.
 
Malgré les responsabilités que lui octroie la société qui l’emploie, on sent Romain très immature.

Comme ses collègues, Romain a passé plusieurs années à bachoter comme un fou pour intégrer une école de commerce. Il a été formaté très tôt professionnellement mais n’a pas pris le temps de mûrir émotionnellement. Il ne sait pas encore bien qui il est et n’a pas réglé ses comptes avec sa famille. Cette dichotomie entre le travail qu’on exige de ces jeunes cadres et leur manque de maturité est presque une constante du milieu : une fois dans la vie active, ces jeunes se marient souvent entre eux et font des enfants très vite. Ils se coulent dans le moule et se retrouvent parfois enfermés dans une vie qui ne leur correspond pas tout à fait. D’ailleurs, certains pètent les plombs arrivés à 40 ans. Ce genre de cursus est très symbolique des personnes qui n’ont pas réellement de vocation : il exige une certaine docilité psychologique. Romain est vraiment quelqu’un qui rêve d’être comme tout le monde, et qui est prêt à renoncer à exprimer sa sensibilité et sa personnalité pour y arriver.
 
Luc, le frère scénariste, qu’interprète Jérémie Elkaïm, est son exact opposé.

Lui a complètement réussi sa vie personnelle et professionnelle. Je ne sais pas si on peut dire qu’il a réussi. Il vit dans un bel appartement avec un beau garçon, et semble ne pas être en proie aux mêmes doutes et problèmes existentiels que son frère. J’aimais bien l’idée d’un personnage homosexuel sans aucune problématique apparente, pour mieux mettre en évidence les contradictions et questionnements d’un personnage dont l’identité sexuelle est considérée comme la norme.
 
Luc peut souvent se montrer très agaçant à l’égard de son frère.

Il lui dit qu’il n’arrive pas à écrire et qu’il est déprimé alors qu’il arrive toujours extrêmement joyeux. C’est un gimmick du personnage que j’aime beaucoup. Tout le monde sait à quel point écrire est difficile et par quels terribles moments de doute on peut passer, mais il est bien évident qu’il est plus confortable de déprimer au chaud chez soi devant une bonne tasse de café que d’assurer tous les matins à son travail en assumant un boulot écrasant.
 
Au début du film, les deux frères sont constamment en concurrence vis-à-vis du père.

C’est comme un match entre eux. C’est à celui qui sera le mieux relié à la sensibilité du père. Pour Romain, c’est le tennis, une connivence un peu enfantine – très masculine aussi. Pour Luc, c’est la musique classique, ce qui constitue évidemment un lien plus profond. Souvent, lorsqu’on me demandait de raconter le pitch, je disais : « C’est le refoulement de l’émotion et de la sensibilité chez l’hétéro moyen supérieur. » Au-delà de la formule, cela résume bien la personnalité de Romain : un bon garçon, mais qui évite d’aller dans des endroits où l’émotion est trop dense.
 
Ce qui ne l’empêche pas de se montrer odieux vis-à-vis des filles qu’il rencontre.

Alors que Romain est de toute évidence très attirant, il fallait qu’on puisse comprendre pourquoi il était seul. Il est si mal dans ses baskets qu’il se sent obligé d’être cynique, pour imiter son frère, et même méchant avec les femmes. Sauf qu’il ne croit pas lui-même aux choses désagréables qu’il leur balance. Il en devient pataud et maladroit. Toujours son côté immature.
 
Romain se construit vraiment à partir du moment où il décide de s’occuper de son père.

Il se trouve soudain dans l’obligation de sortir de sa vie ordinaire, et, le faisant, accède à une nouvelle dimension. Lorsqu’il se promène avec son père la nuit, tout devient possible. C’est le paradoxe de la maladie : elle offre souvent une chance de renouer émotionnellement avec ses proches.
 
Paradoxalement, Luc est le plus égoïste des deux. Lorsque la question se pose de donner des médicaments au père, il tranche, sans état d’âme.

Luc est davantage concerné par son bien être que par celui de son père. Et Romain ne peut évidemment pas partager ce point de vue : son père conscient, c’est sa dernière chance d’obtenir la reconnaissance paternelle. C’est là où il est touchant. Dans la mesure où ce père est complètement cinglé, il sait pourtant que la partie est perdue.

De ce point de vue, la scène au McDo, lorsque Romain essaie de faire parler son père de leur relation est assez cruelle…

J’aime beaucoup la cruauté qu’il y a parfois dans la comédie. La fin des comédies dramatiques est en général le moment qu’on choisit pour mettre une note sentimentale dans la bouche des personnages. Le père devrait dire quelque chose de juste et de poignant à son fils. Là, c’est tout le contraire : c’est l’anti scène d’explication de fin de film ! Cette scène me touche parce qu’elle contient à la fois la possibilité d’un rapprochement et son impossibilité. Au fond, ce n’est pas tant ce que dit le personnage d’Eddy Mitchell qui compte à cet instant là, mais ce qui s’est passé avant et qui les a rapprochés.
 
Durant leurs escapades nocturnes, on sent un rapprochement presque physique entre eux.

Ils connaissent enfin une forme de tendresse à travers ces déambulations dans Paris. Je trouvais très beau d’imaginer un père complètement fou marchant au bras de son fils la nuit dans un Paris désert : ces moments de poésie sont très importants pour moi.
 
L’idée des faux billets que Romain donne à son père est formidable.

C’est quelque chose que j’ai vécu. Comme mon père était en maison de retraite, mais persuadé de vivre dans un hôtel, je lui commandais des faux billets de 20 et de 50 euros, en vente sur internet pour faire des tours de magie. Durant le trajet pour lui apporter, de Strasbourg Saint-Denis à République, je les froissais pour qu’ils aient l’air usé. Rentrer dans les délires de mon père me faisait un peu perdre le sens commun. Je marchais en malaxant des boules de billets de banque. Je vous assure que les gens me regardaient drôlement…
 
La scène des pompes funèbres, lorsque les deux frères choisissent le cercueil, est inénarrable.

Cette scène aussi, je l’ai vécue. L’employé des pompes funèbres nous a expliqué que nous ne pouvions pas prendre un cercueil éco responsable parce que notre père était trop grand. Et je lui ai vraiment répondu : « En fait, mourir quand on est trop grand, c’est pas bio. » Je me souviens avoir piqué un énorme fou rire avec mon frère : le type nous regardait comme si nous étions des extraterrestres. Ce qui se passe aux pompes funèbres me permettait de montrer la complicité qui unit les deux frères à ce moment, sans tomber dans le pathos après la disparition du père. On évite le larmoiement et je ne pense pas qu’on s’attende à une vraie scène de comédie à ce moment-là. C’est un contrepoint intéressant.
 
Le choix d’Eddy Mitchell pour le personnage du père ?

Je voulais quelqu’un de très viril pour jouer le père, un acteur vraiment emblématique. C’est Dominique Besnehard, un de mes producteurs, qui m’a soufflé l’idée d’Eddy. D’un seul coup, c’était évident. Eddy était vraiment le vieux lion qu’il me fallait ; un vieux lion qui garde encore cette formidable présence !

Grand départ                         
Réalisé par Nicolas Mercier
Avec  Pio Marmai, Jérémie Elkaïm, Eddy Mitchell  plus 
Le 4 septembre 2013 sur les écrans



Article publié le 04/09/2013 à 04:00 | Lu 726 fois