Et si on vivait tous ensemble ? la cohabitation senior au cinéma le 18 janvier prochain

Et si on vivait tous ensemble ? Un casting de rêve (Jane Fonda, Géraldine Chaplin, Claude Rich, Guy Bedos et Pierre Richard) pour un long-métrage de Stéphane Robelin qui traite d’un phénomène encore peu connu du grand public : la cohabitation senior. Entretien avec le réalisateur de cette comédie « sérieuse et rieuse » qui sortira dans les salles le 18 janvier 2012. Comment un jeune metteur en scène réussit à réunir un casting prestigieux autour d’un sujet sensible : le vieillissement et sa cohorte de contrariétés ?


L’histoire en quelques mots : Annie, Jean, Claude, Albert et Jeanne sont liés par une solide amitié depuis plus de quarante ans.

Alors quand la mémoire flanche, quand le coeur s’emballe et quand le spectre de la maison de retraite pointe le bout de son nez, ils se rebellent et décident de vivre… tous ensemble !

Le projet paraît fou mais même si la promiscuité dérange et réveille de vieux souvenirs, une formidable aventure commence : celle de la communauté... à 75 ans !

Entretien avec Stéphane Robelin

Le titre : je ne trouvais pas de titre. On me soumettait une liste de propositions. Et soudain, Et si on vivait tous ensemble ? est arrivé. Ce qui me plaisait, c’est qu’il était à la fois positif et incertain. Il avait quelque chose d’utopique, comme surgissant des années 70, alors que nous sommes loin de ces espérances-là, de cette idée de communauté qui alors fédérait les jeunes. Mais je trouvais tout à coup que ce serait beau que cette idée puisse aujourd’hui réunir des moins jeunes. Comme souvent, on a considéré que c’était un titre provisoire, et finalement, il s’est imposé !

Le retour en arrière : j’ai travaillé pour la télévision en attendant de pouvoir réaliser mon premier long-métrage. En 2004, j’ai tourné Real Movie, une aventure modeste et excitante, soutenu par une productrice qui commençait elle aussi, très enthousiaste. C’était l’histoire d’un étudiant en cinéma qui filmait son meilleur ami et qui pour plaire au spectateur, dramatisait sa vie. C’est un film qui s’est fait hors système, en DV, avec de tous petits moyens. Au final il est quand même sorti en salle sur une dizaine de copies. C’était une bonne expérience mais cela ne m’a pas vraiment aidé pour faire mon deuxième film !

Ensuite, j’ai travaillé sur un projet de film qui n’a pas abouti, et assez vite je me suis dit qu’il fallait que je traite d’un sujet de société, que je m’appuie sur quelque chose dont on a besoin de parler même si c’est difficile. C’est ainsi que m’est venue l’idée d’un film sur les difficultés liées à l’âge, sur la façon dont on traitait, ou plutôt dont on ne traitait pas les problèmes de dépendance dans notre pays.

A partir de là, de ce sujet grave, presque tabou, j’imaginais aussitôt un traitement contradictoire, un film choral, un film gai, en aucun cas déprimant, où les épisodes les plus empreints de tristesse seraient toujours allégés par l’humour. Je réalisais que ce projet ne pourrait s’accomplir qu’avec la complicité de comédiens prestigieux. Je rêvais de réunir des comédiens qui n’avaient jamais tourné ensemble, à qui je pourrais proposer des rôles principaux, alors que des acteurs de cet âge-là, malgré leurs extraordinaires carrières se voient souvent confier des personnages secondaires.

Tout cela faisait partie du projet, réunir ces acteurs, faire rire sans passer à côté du sujet, et par conséquent, dans le même temps, émouvoir. Oui, il s’agissait bien dès le départ d’une ambition ! Et aussi par toutes ses composantes accumulées, d’une utopie.

La fibre personnelle : dès le début du développement de notre projet, on m’a fait remarquer, que oui, c’était bien de vouloir s’attaquer à un sujet de société, mais qu’il y avait forcément quelque part, vu mon âge, des raisons plus personnelles à écrire sur ce sujet.

Alors, à y repenser, je me suis aperçu que j’avais connu la plupart de mes arrières grands-parents, que j’avais eu avec eux une relation assez proche. J’habitais une petite ville que la plus grande partie de la famille avait quittée, mon père était le seul à être resté, et donc, tous les dimanches nous allions visiter les aînés.

Peu à peu, je les ai vus décliner, comment conserver leur indépendance sans pour autant les mettre en danger ? Mes grands-parents étaient désarmés, ne sachant que faire… Moi, alors adolescent, dans un âge de changement, le premier où l’on prend conscience de cette mutation profonde que représente à chaque moment de la vie, le passage du temps, cela m’a touché.

J’avais plus ou moins occulté cette période, lorsqu’il n’y a pas très longtemps, mes parents à leur tour se sont trouvés confrontés au vieillissement de leurs propres parents. L’histoire recommençait, continuait.

Le problème était toujours aussi difficile à résoudre, ça ne s’était pas arrangé au fil des années. Je pense que tout cela m’a aidé à nourrir mon projet. Jusqu’à ce que je mette le film en chantier, c’était demeuré inconscient, me donnant, sans que je le sache encore, de la ressource pour écrire ! A partir de ce moment-là, j’ai été libéré, j’ai pu puiser dans l’histoire familiale. Ainsi, l’épisode du chien, ce chien que le personnage d’Albert (Pierre Richard) qui perd la mémoire ne se souvient pas d’avoir promené, m’a été en partie inspiré par ma belle-mère.

Au festival de Locarno où Et si on vivait tous ensemble ? a été présenté pour la première fois devant 8.000 personnes, j’ai réalisé que ma belle-mère était juste derrière moi, la panique m’a saisi, son père avait très nettement inspiré le personnage d’Albert. Comment allait-elle le prendre ? Elle a ri, elle l’a très bien pris.

La longue route : Et si on vivait tous ensemble ? a mis plus de cinq ans à voir le jour. En 2007 on a failli le tourner. En 2008, face à l’enthousiasme des financeurs allemands, on a germanisé le personnage de Dirk, le jeune thésard auxiliaire de vie qui a trouvé en Daniel Brühl un interprète idéal.

En 2009, le budget était bouclé mais les comédiens pressentis n’étaient plus disponibles… Il a fallu encore de la patience, de l’obstination.

Nous étions entre deux « cases ». Je ne proposais pas un film à thème, pas une tragédie, mais j’allais tout de même parler de la solitude des personnes âgées, de la perte de la mémoire, de la perte d’autonomie, du deuil. Et vous voulez faire une comédie avec ça, me disait-on. Je plaidais que le mot « comédie » n’évoquait pas forcément la gaudriole, que l’on pouvait parler de choses graves avec les armes de l’humour et de l’émotion.

Cette longue attente jalonnée d’espoirs déçus, mais aussi éclairée par la conviction de certains, dont celle de mon producteur Christophe Bruncher, a eu quelque chose de bon : le sujet que je portais était de plus en plus d’actualité, touchait de plus en plus de gens. Cette idée de vivre en communauté, cet avatar inattendu de mai 68, devenait un fantasme pour beaucoup qui disaient : « Quand on sera vieux, on vivra ensemble, ce sera moins dur… »

Mais, bien entendu, c’est lorsque ma distribution inespérée a été bouclée, que le trac m’a saisi. Comment, Jane Fonda, Geraldine Chaplin, Claude Rich, Pierre Richard, Guy Bedos allaient-ils réagir ? Le scénario les séduisait tous, mais allaient-ils accepter d’être confrontés, quel que soit leur statut et leur notoriété, à leur propre rapport à l’âge ?

Les réactions ont été très diverses. Avec beaucoup de panache, d’élégance, les femmes ont tout de suite compris de quoi il s’agissait, m’accordant une extraordinaire confiance dans le traitement de leur image. Claude Rich, à condition que cela soit pointu, pertinent, drôle, acceptait parfaitement toutes les altérations de son personnage. Pierre Richard et Guy Bedos l’ont abordé différemment semblant vouloir éloigner les aspects pénibles du sujet, comme si c’était l’histoire d’une bande de copains, et que parmi bien d’autres éléments, voilà, il se trouvait qu’ils étaient vieux.

Les comédiens : un élément était pour moi primordial… Pouvoir travailler avec des comédiens qui non seulement acceptaient leur âge mais que l’âge n’avait pas changé.

Ce voeu totalement réalisé correspondait à mon désir premier : démontrer, quelle que soit la charge des années que l’on a encore des choses à vivre. Ce parti pris de départ me permettait également de ne rien éluder, jusqu’à ce dont on parle si peu, la sexualité des seniors, en conservant grâce au jeu des comédiens, et aussi, je l’espère au dialogue, de la pudeur et de la légèreté.

La mise en scène pour sa part est très classique, c’est un film d’acteurs. Nous les avons tous tant aimés, je me suis efforcé par cette simplicité affirmée de leur laisser toute la place, de rendre sensible ce qu’ils ont été tout en exaltant leur présent, leur beauté d’aujourd’hui et l’intégrité de leur talent.

J’étais assez tétanisé juste avant le début du tournage d’avoir à gérer tous ces « grands » ! Et puis finalement, j’ai décidé de faire comme s’il s’agissait de jeunes comédiens, comme si on commençait un film de copains, normal. Ils ont tous joué le jeu, avec tant de générosité que c’est devenu simple et beau.

Une anecdote m’a mis en confiance. Deux jours avant de tourner, Claude Rich devant danser le tango, j’avais organisé pour lui un coaching avec la jeune espagnole qui dans le film joue la prostituée. Il s’exerce de bonne grâce, puis je lui demande s’il veut bien répéter avec elle les quelques scènes un peu chaudes qu’ils auront à jouer ensemble. On va dans sa chambre, il se met sur son lit, je dirige la scène, une fois, deux fois, il est ravi de tourner avec cette jeune fille, tout illuminé par sa jeunesse, plein d’humour. Je repars de là gonflé à bloc, soulagé, me répétant, tout va bien se passer.

En sortant, je tombe par hasard sur Pierre Richard dans la rue. Je lui dis que j’arrive de chez Claude Rich, que nous avons répété un peu ses scènes, juste pour se mettre en confiance. Il s’emporte : « Comment ? Tu répètes avec Claude Rich alors que c’est un immense acteur, et moi, moi qui vais jouer avec Jane Fonda, qui vais jouer le mari de Jane Fonda, tu ne me fais pas répéter ! » Alors j’ai organisé une répétition avec Jane Fonda. Rendez-vous dans un petit café de l’île de la Cité. Pierre Richard est là tout seul, tout tendu. C’était carrément émouvant cette réelle timidité, cette incroyable modestie de quelqu’un qui n’a vraiment plus rien à prouver. Je suis très fier d’avoir pu leur « offrir » Jane Fonda !


Publié le 20/12/2011 à 10:57 | Lu 5494 fois