Créations artistiques : la succession ne sonne pas le glas des droits d’auteur

On appelle droits d’auteur, les droits d’un créateur sur son œuvre. Ces droits se décomposent en droit patrimonial et en droit moral. Suite à son décès, ces droits ne s’éteignent pas. Ils sont répartis entre les ayants droit de l’artiste ce qui peut s’avérer être source de conflits, notamment en cas de famille recomposée. Ainsi, le propriétaire des œuvres d’art a un statut particulier, qui ne lui permet pas de faire ce qu’il veut avec l’objet de sa propriété.


Comment s’organisent alors la succession et la poursuite de l’Œuvre d’un artiste après son décès ?

En effet, les droits d’auteur étant démembrés entre diverses personnes après sa mort, des conflits entre héritiers peuvent naître.
 
La transmission des droits d’auteur d’un artiste

Les droits d’auteur se divisent entre les droits patrimoniaux et les droits moraux de l’artiste. Les premiers, appelés également droits d’exploitation, comprennent le droit de reproduction, de représentation et le droit de suite. Le Code de la propriété intellectuelle prévoit « qu’au décès de l’auteur, ce[s] droit[s] persiste[nt] au bénéfice de ses ayants droit pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent. »
 
Les droits moraux comprennent quant à eux le droit au respect de son nom, de son œuvre, et le droit de divulgation. Ces derniers étant perpétuels, ils ne s’éteignent pas même 70 ans après le décès de l’artiste.
 
Chacun de ces droits fait l’objet d’une dévolution spéciale. En effet, les droits patrimoniaux sont transmis aux enfants, héritiers réservataires. Il convient de préciser que le légataire universel désigné dans le testament (qui peut être le dernier compagnon ou la dernière compagne) héritera lui aussi des droits patrimoniaux, en indivision avec les enfants issus d’un ou plusieurs lits précédents.
 
En revanche, le droit au respect du nom et de l’œuvre de l’artiste échoient aux enfants sauf en présence d’un légataire universel. Dans ce cas, les tribunaux ont considéré que c’était uniquement ce dernier qui héritait du droit au respect du nom et de l’œuvre de l’artiste.
 
Si des œuvres n’ont pas été divulguées avant la mort de l’artiste, seul le titulaire du droit de divulgation pourra autoriser leur exposition, leur vente, etc. Le Code de la propriété intellectuelle prévoit que ce droit revient en priorité à l’exécuteur testamentaire (qui peut être un ami proche, un artiste respecté, etc.). En l’absence d’une telle personne, la personne habilitée à divulguer est celle désignée par la loi successorale.
 
Le droit de suite que l’auteur détient et qui lui permet de percevoir un pourcentage du prix de revente d’une œuvre d’art par un professionnel du marché de l’art est transmis obligatoirement aux enfants, à l’exclusion de toute autre personne telle que le concubin.
 
Ainsi la répartition éclatée de ces droits est bien souvent source de conflits : entre héritiers titulaires des droits qui sont obligés selon les situations de demander l’autorisation à d’autres pour les exercer, mais également entre héritiers titulaires des droits et propriétaires des biens œuvres d’art.

Créations artistiques : la succession ne sonne pas le glas des droits d’auteur
Le démembrement du droit d’auteur : source potentielle de conflits entre héritiers

La répartition des droits d’auteur entre les mains de plusieurs héritiers peut entrainer divers conflits. Ainsi le titulaire du droit d’exploitation, ne pourra exposer ou faire exposer par exemple une œuvre non divulguée qu’avec l’accord du titulaire du droit de divulgation. Il en est de même pour le propriétaire d’œuvres d’art non encore divulguées, qui ne pourra les vendre qu’avec l’accord du titulaire du droit de divulgation, puisque la mise en vente est synonyme de divulgation.
 
Le titulaire du droit d’exploitation peut également rencontrer des difficultés avec le titulaire du droit moral et notamment du droit au respect de l’œuvre. L’affaire de « La vague », œuvre de Camille Claudel illustre parfaitement cette situation : l’un des héritiers titulaire du droit de reproduction a réalisé des fontes en bronze, et les titulaires du droit moral se sont opposés à cette exploitation en invoquant la dénaturation de l’œuvre en raison du changement de matériau.
 
La Cour de cassation (Cass. 1ère civ., 4 mai 2012, n°11-10.763) a considéré que la volonté de l’artiste n’avait pas été trahie, puisqu’elle avait elle-même procédé à une fonte dans un autre matériau, et que les héritiers du droit moral avaient mis des années à manifester leur désaccord alors qu’ils avaient connaissance depuis longtemps de cette exploitation.
 
Les successions d’artistes sont ainsi généralement complexes et il n’est pas évident d’assurer de manière sereine la gestion des droits d’auteur et l’exploitation du travail de l’artiste. Le recours à un avocat en droit des successions et de la propriété intellectuelle est indispensable pour régler les conflits découlant de ce démembrement, dans l’optique de faire perdurer au mieux le travail de toute une vie.
 
Amélie Jourdan, Juriste  

Publié le 07/08/2014 à 10:49 | Lu 3557 fois