Claude François : Fabien Lecoeuvre, le « Gardien des Clefs » (interview)

Trente ans après ce stupide accident, l'image de Cloclo reste toujours aussi vivace, déroutante et intrigante… Comment expliquer ce succès intemporel ? Elements de réponses avec l’interview de Fabien Lecoeuvre, auteur de « Claude François, je soussigné ».





Vous êtes le biographe officiel de Claude François. Depuis quelques années c’est grâce à vous que son actualité reste prolifique, vous avez le talent de trouver le livre, le disque ou le collector que les fans et les moins fans vont apprécier à sa juste valeur. Mais quelle est votre histoire avec l’idole, l’avez-vous déjà rencontré ?

Fabien Lecoeuvre : je l’ai découvert quand j’étais enfant car il était difficile de passer à côté de lui à l’époque sans être absorbé par son œuvre musicale. Moi j’aimais la musique populaire, je n’étais pas comme certains de mes confrères qui se vantent de n’écouter que du Brassens ou du Boris Vian, j’ai revendiqué mes goûts populaires très tôt, j’écoutais Stone et Charden, Cloclo, Johnny, Sylvie, Sheila, Ringo, Dave, les Poppy’s et bien d’autres.

Plus tard en 1977, quand je suis devenu attaché de presse de Karen Cheryl pour les productions de Mémé Ibach j’ai croisé plusieurs fois Claude François sur les plateaux de télévision, comme ce jour où pour la TSR, la télévision suisse, Cloclo et Karen ont chanté un duo ensemble « C’est comme cela que l’on s’est aimés » qu’il chantait originellement avec Kathalyn, sa compagne de l’époque.

J’étais présent sur le plateau, j’avais 17 ans et Claude est venu vers moi en me demandant ce que je voulais faire plus tard. Car c’était un chasseur de têtes, il faut le savoir, il était à l’affût de tout. Là, je me suis vu lui répondre que je voulais devenir prof d’histoire, parce qu’a mes débuts je n’étais qu’attaché de presse stagiaire.

Mémé Ibach, qui lui aussi était présent, a sauté dans la conversation en lui disant : « Attends, tu ne vas pas me le débaucher, j’viens juste de l’engager ! » En fait, Claude avait repéré mon côté dynamique, il me fixait tout le temps, ce qui m’impressionnait beaucoup parce qu’il était déjà le grand Claude François, la star, moi je n’étais qu’un débutant. .../...

Une chose qui m’a marquée c’est qu’il avait toujours ses Ray Ban sur le nez, et à l’aéroport de Genève, je me souviens lui avoir demandé pourquoi il portait constamment ses Ray Ban ? Il m’a fait une réponse de putain de star : « Tu dois savoir que le regard d’une star ne doit jamais croiser le regard d’un autre ».

Il avait une notion du star-system comme personne. Il avait conscience de son statut d’idole, quand il rentrait dans un restaurant, au delà du fait qu’il était connu, il dégageait une puissance charnelle comme les idoles des années 30, toujours nickel et parfait. Ce qui lui donnait ce côté androgyne qu’il entretenait et qui lui a valu de se faire traiter de ce qu’il n’était pas.

Mon souhait de devenir prof d’histoire est devenu réalité, et à l’époque, il s’agissait d’histoire de France. Et je suis effectivement devenu prof d’histoire mais de la sienne, c’est un drôle de message. La vie nous réserve bien des surprises : qui aurait pu dire, ce jour de 1977, que 30 ans plus tard, je travaillerais avec ses enfants pour préserver son œuvre ?

Alors ce livre « Claude François, je soussigné » où vous reprenez ses mots d’après ses interviews télévisés et radiophoniques, est un Fabien Lecoeuvre « Le Gardien des Clefs » franc succès. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

F.L. : C’est un exercice très bizarre que je souhaite à tous les biographes dignes de ce nom : se mettre un jour dans la peau de la personnalité que l’on traite. Pendant deux ans et demi, je suis rentré dans sa peau, je n’ai pas changé une virgule à ses propos, j’ai fait quelques découpages sur certaines choses qu’il disait qui n’ont plus d’actualité aujourd’hui ou parce que lui-même partait dans tous les sens sur plusieurs sujets à la fois dans un même discours, alors j’ai retranscrit l’essentiel. Vous savez bien que l’on ne parle pas comme on écrit, c’est donc à ce niveau-là que j’ai adapté sa pensée, mais je suis resté très fidèle à ses mots, à ses expressions et à l’ordre qu’il leur donnait pour que l’on ait l’impression de l’entendre parler en le lisant.

C’est d’ailleurs le plus beau compliment que m’ont fait Claude et Marc François. Ils m’ont dit : « C’est la première fois que l’on réentend notre père ! » Et je voudrais dire que même si ce livre n’avait pas marché, ce qui n’est pas le cas, j’aurai quand même été très content de l’avoir fait, pour Claude et Marc bien sûr mais aussi pour leurs enfants, parce que Claude François est grand-père cinq fois, il y a deux garçons et trois petites filles et je crois qu’il faut laisser cette trace indispensable ne serait-ce que pour eux. Si l’on doit choisir un livre sur Cloclo, parmi les témoignages d’une Clodette, d’un fan, ou d’un de ses collaborateurs, rien ne vaudra les propres mots de l’idole, et je pense d’ailleurs que ce livre sera un jour un film !

Sa sœur, Josette François, m’a confié que ce livre l’avait bouleversée, qu’il était devenu son livre de chevet.

On vous a reproché de faire un travail que l’artiste n’aurait peut-être pas voulu faire lui-même. Qu’avez-vous répondu ?

F.L. : Déjà, Claude François avait tout à fait l’intention de sortir ses mémoires un jour, il l’avait déclaré en février 73 à un journaliste de Stéphanie, en donnant même le titre qu’il aurait donné à cet ouvrage : « Absolu ». Seulement je n’ai pas pu l’utiliser car il l’a fait lui-même, un an plus tard, en créant le magazine du même nom, qui était comme tout le monde le sait une publication de photos de charme féminin que Cloclo réalisait lui-même et qui lui a valu beaucoup d’ennuis.

Mais c’était un mot qu’il répétait très souvent. Rien que dans « Je soussigné », j’ai dû en enlever trois ou quatre, pour en garder une bonne cinquantaine tout de même, toujours par souci de fidélité à ses propos. Alors à cette réflexion que l’on m’a faite, j’ai aussi donné l’argument que « Les confessions » de Jean-Jacques Rousseau on été publiées trois ans après sa disparition au 18ème siècle, les « Mémoires d’outre-tombe » de Chateaubriand sont sorties trois mois après sa mort au 19ème et donc dans le nôtre, c’est Claude François qui a droit à ses mémoires posthumes. C’est peut-être prétentieux, mais je trouve qu’il le mérite !

Des années yé-yé au disco, quelle est la période que vous lui préférez ?

F.L. : Après avoir construit toute son identité d’artiste dans les premières douze années, il arrive au top de son personnage à partir d’octobre 72 avec « Le lundi au soleil » jusqu’en 1976 où il amène les prémices du disco avec des titres comme « Laisse une chance à notre

Amour ». C’est l’époque la plus intemporelle pour moi, rien que pour la photo de la pochette du disque du « Lundi au soleil », prise par Gilbert Moreau, où il n’est pas marqué par le temps, où l’on ne peut pas lui donner d’âge. On ne sait pas s’il a 22 ans ou s’il en a 35, il est un peu hors du temps, ce qui est très rare chez un artiste. Pour la petite histoire, cette pochette de disque a fait rêver des millions de gens dont Nikos Aliagas, qui était fan de Claude François dans sa Grèce natale.

C’est aussi la période où Claude installe son histoire, sa légende, avec des titres qui ont marqué la mémoire générale comme avec « Le téléphone pleure » en 74. C’est en même temps l’époque où il cultive sans le savoir, son autre histoire qui va démarrer le jour où il partira.

Pourquoi pensez vous qu’il représente bien mieux les années 70 que quiconque ?

F.L. : Parce que Claude François a inventé les années 70 ! De par la rythmique et de par son apparence physique. Il représentait exactement cette révolution sexuelle qui a eu lieu à l’époque. Il faut savoir que Claude François choquait régulièrement avec les tenues de ses Clodettes qui étaient très déshabillées dans les différentes émissions de télé qu’elles ont faites avec lui. Il a eu de gros problèmes avec les services téléspectateurs des chaînes de l’époque.

Beaucoup de gens écrivaient, choqués de voir les pointes des tétons des danseuses, ce qui était, il faut bien le dire, très provocateur pour l’époque. Donc, il a accompagné une révolution en chanson, en créant un style musical, et il a accompagné la révolution sexuelle.

En imaginant que Claude François n’ait pas touché cette applique électrique, croyez vous qu’il aurait su amorcer le virage vers les années 80, qui ont été dramatiques pour certains autres de ses confrères ?

F.L. : Il était suffisamment intelligent pour réussir ce virage qu’il avait déjà entamé avec Etienne Roda-Gil sur son dernier album, il aurait su faire évoluer son personnage avec son époque car il savait capter l’air du temps. Par exemple, et je vais vous révéler une anecdote que personne ne connaît : Leny Escudero, qui était un grand chanteur révolutionnaire dans les années 60, est venu me voir au tout début de la tournée « Age tendre et tête de bois », dont je suis l’attaché de presse, pour me raconter une histoire que je ne connaissais pas.

Il m’a dit : « Claude François m’aimait beaucoup, j’appartenais à une gauche révolutionnaire et même si la politique n’était pas son truc, il aimait mes textes. Il adorait certaines de mes chansons dont “Pour une amourette” ainsi que “Ballade à Sylvie”. Il m’a contacté en décembre 1977 pour me parler de son dernier album disco qui venait de sortir et surtout pour me confier ses projets. Il voulait que je lui écrive tout un album. » Leny est loin d’être un artiste qui se vante ou qui se prend au sérieux, je ne peux que croire ses propos qui sont tout à fait probables.

Le truc c’est qu’ils se sont donné rendez-vous chez Leny qui habitait à Neuilly à l’époque, un samedi midi, et c’est la fille de Leny Escudero qui a ouvert la porte, coïncidence incroyable, mais il se trouve que son idole c’était Claude François ! Alors, imaginez sa surprise on le voyant débarquer avec du vin et des tas de cadeaux comme il le faisait à son habitude. Arrivé dans le salon, il insiste auprès de Leny pour qu’il lui écrive un album. Escudero lui répond qu’il ne sait pas faire du Claude François, mais ce dernier lui répond qu’il ne veut pas qu’il lui fasse du Claude François, mais du Leny Escudero, ce serait Cloclo qui chante Leny !

À partir de là, ils se mettent d’accord pour que l’album soit prêt pour l’hiver 78/79, car Claude avait déjà un autre album en chantier avec Roda-Gil qui aurait dû sortir pour l’été 78. Pour quelle raison a-t-il pensé à ce chanteur de gauche ? La réponse est dans la dernière interview qu’il a donnée la veille de sa mort à une très grande journaliste de la presse suisse-allemande où il déclare : « Je suis persuadé que la droite est foutue en France, que la gauche arrive à grand pas et que l’on ne dira plus “Je t’aime” de la même manière ». Le précurseur qu’il était, celui qui sentait les vents tourner, avait pressenti les années 80 que l’on a vécues, donc il aurait très bien su se renouveler pour continuer à vendre des disques.

Ce qui aurait été plus compliqué, c’est son apparence physique, mais je pense qu’il se serait concentré sur un répertoire de crooner à la Sinatra et qu’il aurait évidemment arrêté de danser comme il le faisait, pour faire des choses plus adaptées à son âge.

Alors revenons à notre époque dans laquelle il est finalement très présent. Quel est l’agenda de Claude François pour l’année 2008 ?

F.L. : Enorme ! En disques, cette année c’est Warner qui sort une compilation multi-époques, parce que comme vous le savez, le répertoire de Claude François appartient toujours à trois maisons de disques différentes, Universal pour les années 62 à 72, Sony de 72 à 75/76 et Warner pour les deux dernières. À chaque grand anniversaire, c’est l’une d’entre elles qui prend le pouvoir et fait une compilation qui réunit toute la carrière de la star. Il y aura donc une compilation de 45 titres et une autre de 60, accompagnées de deux DVD best of, un de quinze morceaux et un autre de vingt.

En 1997, avec Universal, on avait sorti un coffret réunissant l’intégrale de ses premiers singles, on va sortir le complément. Les fans vont être ravis de posséder aussi l’intégrale des albums dans leurs pochettes originales. On va sortir un live que les fans attendent comme des malades, c’est le fameux concert du Forest National à Bruxelles du samedi 12 janvier 1974, celui des faux adieux, où il finit le concert en se jetant dans la fosse. Le son sera exceptionnel parce que j’ai retrouvé le master original. Pour vous donner une idée, le medley fait 27 minutes à l’origine, les fans devraient se régaler. Il sera disponible dans une boite, en tirage limité à 3000 exemplaires, avec un livret de vingt pages que je suis en train d’écrire, l’affiche du concert de l’époque et le ticket de l’époque.

Un autre concert mythique, celui de l’été 1975 que l’on va éditer pour la première fois en CD, où l’on entend Claude et Marc qui font “Bonjour” au micro, puisque c’est l’année où Claude a révélé à la presse qu’il avait bien deux enfants. En ce qui concerne les livres, c’est la foire d’empoigne, il n’y aura pas moins de 19 bouquins dont sept rééditions qui vont sortir sur Claude dans l’année 2008.

Avec Claude et Marc François, on a sorti le 6 mars dernier, un très beau livre qui s’intitule « Collection privée » aux Éditions du Marque-pages. On a rassemblé tous les objets ayant appartenus à Claude François, on a fait des facsimilés de son passeport, de son permis de conduire, son diplôme du lycée français du Caire. On a réédité des partitions, une affiche de 1969 de Jean-Loup Sieff, un disque souple de sa première maquette qu’il était allé présenter lui-même aux différentes maisons de disques à ses tout débuts, la première chanson qu’il a jamais interprétée sur disque “Bye bye blackbird”. Les gens vont pouvoir découvrir les légendaires notes de services qu’il dictait sur un dictaphone et que sa secrétaire reproduisait sur papier, des manuscrits, des cartes postales dont la toute première de chez Fontana qui est très rare. On a réédité le drapeau qu’il avait fait faire aux couleurs de Flèche sur son bateau l’Ismaïlia. Bref, il y aura pas moins de 34 objets en tout.

Ensuite, Josette ressort un autre livre de mémoire qui va s’appeler “Mon frère, Claude François” chez Hors collection, où elle va développer ce qu’elle avait déjà écrit en 1988 dans “L’histoire d’une revanche”. C’est tout de même la seule à pouvoir raconter l’histoire de l’exil de l’Égypte. Il y a aussi Christian Morise qui à été le secrétaire de Claude de 65 à 69, une période que l’on connaît moins dans le détail. Le livre va s’appeler “Dans l’intimité de Claude François” où il raconte des choses étonnantes. Il sortira aux Éditions Pascal Petiot. On va en apprendre plus sur son histoire tumultueuse avec France Gall. Béatrice Nouveau, qui a déjà écrit des bio sur Mylène Farmer et Tokyo Hotel, va sortir chez Flammarion un livre appelé “Cloclo For Ever” où elle balaye tout son star-system, découpé par catégorie. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle a le regard que peut avoir la jeune génération sur lui puisqu’elle ne l’a pas connu. Donc elle situe son image dans notre époque ce qui est très intéressant.

La nièce de Claude François, Stéphanie Lohr, qui travaille à Ici Paris, et qui avait sorti un livre en 97, le réédite dans un autre format et avec un autre titre, “Secret de familles” aux Éditions Bernard Pascuito. Un livre très émouvant parce qu’elle parle de son tonton et que c’est la plume d’une superbe journaliste. Sylvie Mathurin, l’habilleuse, réédite son livre, puis une ou deux clodettes qui rééditent le leur. Bref j’en oublie sûrement mais l’essentiel est là. Tout ceci ne sortira pas en même temps évidemment, par souci de ne pas ruiner le public de Claude François, on va étaler chaque sortie entre février et septembre 2008.

Article publié le 21/03/2008 à 12:03 | Lu 12900 fois