Blackthorn : dernière chevauchée fantastique pour Butch Cassidy et… un autre kid (film)

Le réalisateur espagnol Mateo Gil nous parle de son dernier film : Blackthorn, un western qui a connu un véritable succès dans la péninsule ibérique. L’histoire : passé pour mort depuis 1908, Butch Cassidy, le légendaire hors-la-loi, se cache en réalité en Bolivie depuis vingt ans sous le nom de James Blackthorn. Au crépuscule de sa vie, le vieux cow-boy n’aspire plus qu’à rentrer chez lui pour rencontrer ce fils qu’il n’a jamais connu. Lorsque sur sa route il croise un jeune ingénieur qui vient de braquer la mine dans laquelle il travaillait, Butch Cassidy démarre alors sa dernière chevauchée… En salle le 31 août 2011.


Entretien avec Mateo Gil

Comment vous est venue l’idée d’une suite aux aventures de Butch Cassidy ?

Je ne parlerais pas de suite. Les personnages sont identiques mais je ne souhaitais pas exploiter les mêmes personnalités que dans le film de George Roy Hill.

Pour quelles raisons ?

Tout d’abord l’aspect moral me gênait. Notre Butch Cassidy se rapproche plus des personnages de La Horde Sauvage de Sam Peckinpah. L’angle politique m’a particulièrement intéressé mais de façon plus intimiste. Par exemple, la frontière entre le vol de banque et le vol de particuliers est très mince. On peut y voir un acte idéologique dans les hold-up perpétrés par Butch Cassidy. Un autre aspect m’intéressait aussi : celui qui révèle la vision qu’a Butch Cassidy de ses propres actes des années plus tard ; surtout au regard de celle, plus moderne, symbolisée par le personnage qu’interprète Eduardo Noriega. Pour moi, il y a une métaphore de notre temps et de son changement inéluctable.

Dans La Horde Sauvage, les personnages sont trop ancrés dans leur époque pour survivre aux temps modernes...

Tout à fait. Par exemple, dans le film de Peckinpah, la voiture est un symbole des temps modernes. Au début de Blackthorn , on voit une voiture et nous l’avons placée dans notre film exactement pour les mêmes raisons.

Blackthorn est un personnage plus positif que ceux de La Horde Sauvage

C’est vrai. Mon Butch Cassidy se rapproche plus du vrai Butch. Ce n’était pas quelqu’un de violent alors que les personnages de La Horde Sauvage ne connaissent que la violence. Butch Cassidy a tenté de s’éloigner, à de nombreuses reprises, de sa vie de bandit. Il voulait tout arrêter, s’installer quelque part... et devenir un homme comme tout le monde. Mais du fait de sa «notoriété il était sans cesse poursuivi et donc contraint de revenir à sa vie marginale.

Sam Shepard lui apporte beaucoup de douceur et de gentillesse…

C’est une question d’âge ! Il a vingt ans de plus que le vrai Butch Cassidy lors de son décès en Bolivie ! En avançant dans la modernité d’une nouvelle ère, ce vieil homme la compare à ce qu’il a connu par le passé. S’il vit désormais en Bolivie, ce n’est pas par hasard. Nous voulions le décor idéal qui motiverait le personnage à retourner sur sa terre natale pour y mourir un jour et peut-être aussi, pour faire la paix avec lui-même.

Qu’est-ce qui vous a décidé à parler d’un tel personnage ?

C’est mon scénariste qui m’a soufflé l’idée en me parlant du vrai Butch Cassidy que j’ai trouvé passionnant. Butch Cassidy était à la tête d’un gang d’individus très violents mais lui n’a jamais eu le même comportement. Tous ses « coups » étaient préparés très consciencieusement. C’était quelqu’un de très loyal envers ses amis. Il avait beaucoup d’humour, ne buvait pas et avait la réputation d’être une sorte de Robin des Bois de son temps. C’était un véritable symbole. Il existe en fait de nombreux aspects de ce personnage qui ne sont pas développés dans le film de George Roy Hill.

Blackthorn démarre dans un environnement très verdoyant pour se terminer dans un paysage lunaire et aride...

J’avoue que je n’en suis pas mécontent ! Dans l‘ensemble nous avons choisi nos décors également en fonction de leur localisation. Impossible de tourner trop loin d’une ville ou d’un village susceptible d’accueillir les 90 membres de l’équipe de tournage. Nous avons malheureusement été contraints d’abandonner certaines idées de décors à cause de cela.

Mais la séquence finale, nous l’avons tournée à la frontière bolivienne au pied de la Cordillère des Andes. C’est une ligne symbolique pour les deux personnages incarnés par Sam Shepard et Eduardo Noriega. C’est également l’endroit où l’un d’eux prend une décision irrévocable. Cette séquence a été très difficile à tourner pour nous. D’abord à cause de l’altitude très élevée, mais aussi parce que nous étions loin de tout.

Comment avez-vous sélectionné toutes ces « gueules » qui occupent les seconds rôles ?

Le plus difficile dans le recrutement des acteurs boliviens a été de trouver des acteurs qui savaient également monter à cheval. Dans la Bolivie colonisée, seuls les blancs étaient autorisés à monter. Ce qui explique que de nombreux acteurs boliviens ignorent totalement comment s’y prendre. Ils ont dû apprendre le plus rapidement possible. Ils ont travaillé dur mais nous avons quand même eu recours à quelques trucs comme par exemple, remplacer certains acteurs par des membres de l’équipe. En effet, c’est très risqué d’aller au grand galop quand on ne sait pas très bien monter à cheval.

On est surpris de voir que les poursuivants de Butch Cassidy et Eduardo sont des ouvriers et des femmes plutôt que les traditionnels chasseurs de primes ou autres marshalls...

Nous voulions que les spectateurs les prennent pour de vrais chasseurs et découvrent, ensuite, qu’il ne s’agit en fait que de simples ouvriers. On se doute alors qu’il y a quelque chose d’anormal mais on ne devine pas pour autant l’issue du film.

Blackthorn est un film qui prend constamment à contre-pied. Par exemple, lorsque l’on découvre à quel point Eduardo est manipulateur alors qu’en fait il symbolise la modernité, On a donc l’impression que vous lui préférez le passé, symbolisé par Blackthorn.

J’aimerais cependant que l’on s’attache à Eduardo car ce n’est pas un personnage foncièrement mauvais.

Au premier abord, les valeurs prônées par Blackthorn sont plus séduisantes, mais en y réfléchissant honnêtement, on ressemble plus à Eduardo dans le film. Il est l’un des nôtres. Il veut être un bandit et, en même temps, il cherche à tout prix l’amitié de Butch.

Mais il est incapable de reconnaître ses propres erreurs. Ce manque de maturité est dû à sa jeunesse. C’est un enfant de son époque qui ne ressemble en rien à ces bandits à l’ancienne. Il n’établit aucune différence entre dévaliser des banques ou des familles dans le besoin. Non pas parce qu’il est mauvais, mais simplement car il ne fait pas la distinction entre ces deux actes.

Quand, à la fin du film, Butch lui lance : « Tu n’as jamais fait la différence, pas vrai ? », on ne s’interroge pas sur la nature même d’Eduardo mais bel et bien sur le fait qu’il fasse ou non la distinction entre le bien et le mal.

Comment avez-vous travaillé sur l’insertion des flashbacks dans votre récit ?

Une chose étrange à propos de ces flashbacks... A l’écriture, ils n’étaient pas dans l’ordre qu’ils occupent à l’écran. Ils apparaissaient en fait dans le sens inverse du récit, Dans le scénario, on passait de la joie à la tristesse. Le cheminement des flashbacks était exactement l’inverse. Au montage, nous avons réalisé que cela ne fonctionnait pas. Surtout le flashback final dans la neige qui arrivait trop tôt dans l’intrigue. L’empathie ne fonctionnait pas puisqu’on ne connaissait pas encore bien les personnages. Nous avons donc effectué des changements et, quasiment au dernier jour de montage, juste avant d’attaquer le son, nous avons tout modifié ! J’avoue que je n’en menais pas large vu l’importance de cette décision. Mais, au final, j’en suis heureux.

Blackthorn fait prevue d’une belle sensibilité européenne…

Il y a quelque chose avec les cinéastes européens, c’est vrai. Regardez Sergio Leone, par exemple. Ses films sont nostalgiques, à l’image de « Il était une fois dans l’Ouest ». Par contre, à l’âge d’or du genre aux Etats-Unis, avec John Ford ou Howard Hawks, on était plus concerné par la revendication territoriale, les pionniers, l’histoire du pays et la façon dont il fût conquis...

A propos d’Américains, comment avez-vous convaincu Sam Shepard de faire partie de l’aventure ?

Je n’ai pas eu à le faire ! C’est Jina Jay, ma directrice de casting qui l’a fait ! Elle est anglaise mais a de nombreuses entrées aux Etats-Unis. Elle a fait parvenir le scénario à Sam Shepard et quelques jours plus tard elle nous a annoncé qu’il acceptait. Ensuite, nous nous sommes contentés de déjeuner ensemble afin de bien faire connaissance. Pour moi, c’est une étape importante. Un bon déjeuner, de bonnes discussions et quelques fous rires plus tard, Sam m’annonçait qu’il voulait vraiment nous rejoindre en Bolivie.

Il est une véritable icône du cinéma américain…

Oui. Il refuse d’ailleurs énormément de propositions pour se concentrer exclusivement sur les projets qui lui tiennent à coeur. Il est très humble. Avant le tournage, il est parti seul pendant trois mois en Bolivie sans personne de son entourage. Il souhaitait être en totale immersion. C’est un fou de la nature et des chevaux. En fait, en Bolivie, il était comme un poisson dans l’eau !

Avez-vous souvent travaillé avec Eduardo Noriega ?

Eduardo est un de mes très bons amis. Il suit le projet depuis le début avant même qu’il y ait eu des producteurs ! Entre Eduardo et moi, il n’y a pas de protocole : si j’ai envie de l’appeler, je l’appelle. Cependant, dès le début, Miguel Barros et moi savions que c’était un film pour Eduardo. C’est un acteur à deux visages : l’un est enfantin, gentil, innocent même... L’autre visage est sombre, étrange, on ne lui fait jamais totalement confiance.

Comment définir la relation entre Blackthorn et Apocada ? Père et fils ? Amis ? Associés ?

Cela démarre comme la relation entre un élève et son maître mais celle-ci se transforme lorsque Butch offre a Eduardo la veste que portait Sundance kid. On passe alors à une relation amicale.

Peut-on y voir une façon pour Butch de se racheter de la mort de Sundance Kid ?

Pas du tout. Butch y voit juste un moyen de récupérer l’argent qu’il a perdu à cause d’Eduardo. Une fois l’argent récupéré, Butch écrit à son neveu que l’amitié est ce qu’il y a de plus fort au monde. C’est là qu’il commence à faire confiance et à aimer Eduardo. Il renaît à la vie, redécouvre le plaisir et la liberté de décider par lui-même. C’est un moment clé du récit.

Parlons un peu de Makinley qu’incarne Stephen Rea... On le sent plein d’amertume…

Il y a une différence notable entre Makinley et Butch. Le premier a réalisé que l’époque changeait. C’est ce qui le pousse alors à ne plus poursuivre Butch Cassidy. Il ne croit pas à la nouvelle ère qui se profile. Butch Cassidy, lui, n’en est même pas là. C’est d’ailleurs ce qu’il apprend au contact d’Eduardo. Son seul souhait est de rentrer aux Etats-Unis afin d’y mourir. Sur le chemin, il perd son argent et une fois qu’il le récupère, il retrouve la force de ses vingt ans, se régénère au contact d’ Eduardo, retrouve une certaine forme d’insouciance. Makinley le ramène à la réalité : Butch est vieux et ferait mieux de trouver un endroit paisible pour y mourir au lieu de partir à l’aventure comme jadis. Il s’expose ainsi à être manipulé, trompé, bafoué... Makinley aide Butch en même temps qu’il le méprise car il voit en lui un symbole qui perdurera.

Blackthorn
Réalisé par Mateo Gil
Avec : Sam Shepard, Eduardo Noriega, Stephen Rea, etc.
Durée : 01h32min

En salles le 31 août 2011


Publié le 31/08/2011 à 10:05 | Lu 2231 fois





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