Cancer du sein : comment les cellules tumorales forment des métastases, explications par le CNRS

Lorsque les cellules tumorales acquièrent la capacité de se déplacer et d'envahir d'autres tissus, il y a un risque de métastases et le traitement des cancers devient alors plus difficile. A l'Institut Curie, l'équipe de Philippe Chavrier, directeur de recherche CNRS, vient de découvrir une des « clés » permettant aux cellules cancéreuses mammaires de briser les liens qui les relient à la tumeur. Explications…





Pour s'échapper, ces cellules cancéreuses doivent franchir la membrane basale qui délimite la glande mammaire et qui constitue une barrière à leur dissémination. Dans les cellules tumorales, trois protéines assurent le transport des enzymes nécessaires à la perforation de cette barrière.

Ensuite une autre protéine place ces enzymes au bon endroit pour amorcer la dégradation de la membrane basale. Ces découvertes* permettent de mieux comprendre les mécanismes initiaux de la formation des métastases dans certains cancers du sein. C'est une étape essentielle pour, à terme, identifier précocement les tumeurs au fort pouvoir invasif, voire bloquer la formation des métastases.

Généralement, les cellules restent au « coude à coude » pour former les tissus. Organisées en feuillets, les cellules épithéliales recouvrent une surface externe, comme la peau, ou un organe, comme la glande mammaire, et restent soudées entre elles pour remplir leurs fonctions. Cette cohésion est indispensable au bon fonctionnement de l'organisme et, en bons petits soldats, les cellules épithéliales sont censées rester « fidèles » à leur tissu d'origine jusqu'à leur mort.

Mais parfois l'envie peut leur prendre d'aller voir ailleurs. Si la migration est indispensable au cours du développement embryonnaire pour que les cellules donnent naissance à de nouveaux tissus… L'exode des cellules tumorales, quant à lui, annonce souvent la formation de métastases.

Quand les cellules tumorales rompent les amarres...

Les cellules tumorales accumulent les erreurs. Devenues totalement anarchiques, elles échappent progressivement à toutes les règles. Et certaines cellules vont même jusqu'à rompre les amarres avec la tumeur, au prix de mécanismes complexes et méconnus.

L'équipe dirigée par Philippe Chavrier (UMR 144 CNRS/Institut Curie) vient d'apporter un nouvel éclairage sur les moyens mis en oeuvre par les cellules, en l'occurrence des cellules de cancer du sein, pour quitter leur carcan.

La glande mammaire est séparée du tissu voisin par une membrane, la membrane basale, que les cellules tumorales vont devoir traverser avant de continuer leur cheminement.

Tout d'abord, la cellule forme des excroissances (des invadopodia), qu'elle ancre dans cette membrane. Au-delà de leur rôle de crampons, ces « pieds » servent à apporter tout le matériel nécessaire au forage de la membrane. En effet, les cellules tumorales produisent tout un arsenal de protéases, chargées de dégrader les protéines de la matrice extracellulaire qui constitue l'environnement externe des cellules et dont fait partie la membrane basale. Ces protéases vont trouer la membrane basale jusqu'à ce qu'un passage permette aux cellules de s'échapper.

Dans une première publication, les chercheurs ont montré, en utilisant un modèle de cellules cancéreuses mammaires métastatiques, que les protéines sec3, sec8 et IQGAP1 assuraient le transport des vésicules remplies de protéases vers les invadopodia. Sans les protéines sec3, sec8 et IQGAP1 les vésicules ne s'arrimaient pas à l'extrémité de ces excroissances et le processus d'évasion des cellules vers le tissu voisin échouait. Mais les protéases ne sont pas encore à pied d'oeuvre : elles doivent ensuite être positionnées à l'extérieur de la cellule pour commencer leur travail de dégradation.

Dans une deuxième publication, l'équipe de Philippe Chavrier a montré que la protéine Vamp7 est chargée de la fusion des vésicules contenant les protéases avec la membrane des cellules tumorales. C'est seulement après cette étape que les protéases, placées « au front » des invadopodia, grignotent progressivement la frontière de la glande mammaire, la membrane basale. D'ailleurs, la suppression de la protéine Vamp7 réduit fortement la capacité des cellules de tumeur du sein à dégrader la matrice extracellulaire.

Coincées dans la glande mammaire, les cellules tumorales ne peuvent s'échapper qu'au prix de nombreuses modifications : l'équipe de Philippe Chavrier a également montré comment les cellules tumorales détournaient les mécanismes cellulaires pour quitter leur tissu d'origine. Une fois ce premier pas franchi, elles peuvent ensuite aller disséminer dans l'ensemble de l'organisme pour former des métastases.

« Ces découvertes permettront peut-être de mieux comprendre pourquoi certaines tumeurs du sein sont plus agressives que d'autres, voire d'identifier précocement les tumeurs au fort pouvoir invasif. Mais on peut aussi imaginer bloquer l'invasion tumorale en agissant sur ces cibles décisives des mécanismes d'invasion tumorale que vient d'identifier l'équipe de Philippe Chavrier » conclut le communiqué du CNRS.

* résultats publiés dans The Journal of Cell Biology le 16 juin 2008 et dans Current Biology le 24 juin 2008

Article publié le 08/07/2008 à 08:30 | Lu 7376 fois