Seniors : la santé générale passe aussi par la santé bucco-dentaire !

A l’occasion du Congrès 2014 de l’Association dentaire française (ADF) qui s’est tenu récemment sur le thème « La bouche, l’expression de notre santé », rappelons que la santé générale des seniors passe aussi par la santé bucco-dentaire ! D’après un entretien avec le Professeur Claire Lassauzay – Professeur en prothèses, UFR d’odontologie, Université de Nice Sophia Antipolis.


Seniors : la santé générale passe aussi par la santé bucco-dentaire !
De nos jours, près de onze millions de Français ont plus de 65 ans ; ils seront vingt-cinq millions en 2050. Si vieillir n’est pas une maladie, avec l’avancée en âge, l’état bucco-dentaire peut se détériorer : apparition de maladies parodontales, édentation partielle ou totale, risque accru de caries, assèchement de la bouche (souvent lié à la consommation de certains médicaments)… Chez les plus de 65 ans, les conséquences des pathologies liées au vieillissement bucco-dentaire sont multiples : dénutrition, isolement, perte de l’estime de soi, aggravation de la dépendance...
 
Pour accompagner dans les meilleures conditions les seniors, le chirurgien-dentiste a donc un rôle capital à jouer : la santé bucco-dentaire est en effet essentielle au bien-être et à la dignité des personnes âgées. Elle est un facteur majeur de qualité de vie, un déterminant de la capacité à se nourrir et du lien social (sourire, rire, parler).
 
Une demande grandissante en soins bucco-dentaires

Le nombre de personnes âgées est en constante augmentation dans les pays industrialisés et, d’ici
2050, l’effectif de sujets de plus de 65 ans aura triplé pour dépasser les 35% de la population. La proportion de personnes âgées ayant recours aux soins dentaires est de ce fait grandissante. Ainsi, les protocoles de soins doivent être adaptés à cette population. Ils seront également plus complexes pour cette tranche d’âge. L’exercice de la profession de chirurgien-dentiste doit tenir compte de cette évolution.
 
Les manifestations du vieillissement dentaire

Le vieillissement physiologique dentaire concerne l’ensemble des tissus constituant les dents : l’émail, la dentine, la pulpe (tissu situé dans la racine dentaire) et le cément (tissu recouvrant la racine de la dent). Au niveau de l’émail, bien qu’on observe une diminution de la sensibilité à la carie, des fêlures ou une usure favorisent le dépôt de bactéries cariogènes. De même la pulpe présente une fibrose et un rétrécissement de la cavité pulpaire. Enfin, le déchaussement des dents expose les racines dentaires et donc le cément aux caries.
 
Au-delà du vieillissement physiologique des dents elles-mêmes, de nombreux autres facteurs entrent en jeu dans la détérioration de la bonne santé bucco-dentaire des personnes âgées : une alimentation plus riche en sucres, de consistance molle et adhérant à la dent ; un hypofonctionnement des glandes salivaires consécutif à la présence de maladies systémiques (diabète, maladie d’Alzheimer), à des désordres immunologiques ou encore aux effets secondaires des traitements médicamenteux ; un brossage moins efficace… La difficulté d’accès aux soins bucco-dentaires est également un facteur aggravant du phénomène à prendre en compte.
 
Le vieillissement au niveau buccal se traduit par diverses manifestations : augmentation de la saturation de la couleur des dents par amincissement de l‘émail et épaississement de la dentine, récession gingivale, usure de l’émail modifiant la morphologie initiale de la dent. De plus, lorsque le vieillissement est accompagné de pathologies générales, il est courant d’observer une diminution du flux salivaire entraînant des sensations de brûlures, l’apparition d’une pathologie parodontale pouvant entraîner des douleurs à la mastication et pendant les gestes d’hygiène, et de lésions carieuses pouvant conduire à la perte des dents, du goût et du plaisir de manger, la peur de sourire, d’avoir une mauvaise haleine…
 
Maintenir une bonne santé bucco-dentaire apparaît donc essentiel pour préserver la santé générale et la dignité des personnes âgées plus sensibles aux pathologies infectieuses du parodonte et de la muqueuse buccale. Leurs suivi bucco-dentaire doit être effectué plus fréquemment. La conservation d’un nombre minimum de vingt dents semble nécessaire au maintien d’une fonction masticatoire correcte et d’une bonne nutrition. Cependant chez le sujet âgé, ce nombre est rarement atteint. Chez les personnes présentant un état dentaire défectueux, on observe un risque de malnutrition, des déficits en fer, en vitamine A, vitamine C, acide folique, protéines ainsi qu’un risque accru de morbidité et mortalité.
 
Des traitements bucco-dentaires au cas par cas

Il y a autant de différence entre une personne de 65 ans et une de 90 ans, qu'entre un ado de 15 ans et un adulte de 40 ! Pour une prise en charge bucco-dentaire optimale, il est donc nécessaire d'évaluer le vieillissement au cas par cas.
 
Pour les patients âgés « en forme » (vieillissement réussi), les différents types de réhabilitations prothétiques sont possibles : la prothèse fixée, les attachements, l'implantologie, le tout-céramique,… Cependant, celles-ci doivent être envisagées en fonction des possibilités de ré-intervention au cours du temps et du projet de vie du patient.
 
Pour des personnes plus fragiles (gériatriques) qui souhaitent être « à l’aise/confortables au niveau buccal », des traitements limitant le nombre de séances ou les phases chirurgicales pourront être retenus : couronnes, prothèse amovible, mini implants... La perte de l'autonomie, les modifications physiologiques et les troubles d'adaptation liés au vieillissement diminuent les possibilités de réhabilitation esthétique.
 
Dans ce cadre, la prothèse adjointe partielle (PAP) est toujours une alternative thérapeutique intéressante. Cependant, certains des éléments prothétiques sont parfois visibles, ce qui est un frein à l'obtention d'un résultat esthétique. Il est certes possible, par des modifications de conception, d'améliorer l'intégration esthétique de la prothèse. Les progrès des biomatériaux (dents prothétiques), un choix optimum de la forme, de la couleur, associés à des réalisations prothétiques fixées comportant des systèmes de rétention (attachements remplaçant les crochets), sont également des facteurs prédictifs d'un succès esthétique.
 
Dans tous les cas la maintenance bucco-dentaire garantira le plus longtemps possible la sante buccodento-prothétique des patients.
 
Le groupe « des aînés » est hétérogène et chaque personne le constituant est un cas particulier qu’il conviendra de traiter et de prendre en charge différemment. En conséquence, les soins dentaires et les réhabilitations doivent être intégrés dans le plan de traitement global des patients âgés, avec une concertation entre les équipes soignantes médicales, toutes les disciplines de l’odontologie et les aidants de la personne. Il est nécessaire de souligner l'importance capitale de la remise en état fonctionnel et esthétique de la cavité buccale avant les prémices de la dépendance : il est primordial de motiver les patients à se préparer à leur avancée en âge en bonne santé.
 
A noter : l’équilibre nutritionnel est un élément majeur du vieillissement réussi.

Dès 70 ans une dénutrition protéino-énergétique peut apparaitre et sa prévalence augmente avec l’âge. Les soins bucco-dentaires peuvent se révéler invasifs ou mutilants et modifier provisoirement les prises alimentaires induisant un risque de déséquilibre nutritionnel. Même si l’objectif des soins est la réhabilitation des fonctions perdues (mastication, phonation, esthétique), ils sont réalisés chez des patients présentant une vulnérabilité : la période des soins, par l’inconfort qu’elle engendre, peut induire une perte de poids. Il est donc indispensable de mettre en place des actions au niveau nutritionnel (adaptation des menus et des textures, augmentation de la ration) et inciter le patient à faire une activité physique régulière afin de limiter cette perte de poids.
 
Les troubles bucco-dentaires sont largement impliqués dans la dénutrition chez les personnes âgées, de même que les traitements médicamenteux responsables de sécheresse buccale, de dysgueusie (altération du goût), de dysphagie (sensation de gêne ou de blocage ressentie lors du passage des aliments dans la bouche) et de douleurs mettant le chirurgien-dentiste au coeur de cette problématique.
 
La prise en charge du patient âgé doit prévenir ce risque à travers :

- des conseils de nutrition et d'hydratation

- des solutions thérapeutiques permettant le maintien des conditions de mastication, l’adaptation de prothèses usées instables, l’équilibration de l’occlusion des dents, l’éradication des causes douloureuses et l’évitement du préjudice esthétique

- la réalisation de prothèses de temporisation ou transitoires adaptées et confortables

- le maintien ou la restauration de la fonction masticatoire en compensant les édentements
Le chirurgien-dentiste réhabilite un « outil » de mastication favorisant : goût, appétit et plaisir de s'alimenter pour maintenir la qualité de vie et la vie de nos ainés.
 
Les avancées technologiques pour des soins plus confortables

Les réhabilitations orales des sujets âgés doivent concilier confort, fonctionnalité et esthétique. Depuis quelques années, la Conception Fabrication Assistée par Ordinateur (CFAO) offre des perspectives intéressantes. Celle-ci permet de faire des simulations de réhabilitations fonctionnelles guidant le praticien dans l’élaboration de son projet thérapeutique. Comme la CFAO s’effectue en directe « tout au fauteuil », les séances sont moins nombreuses, moins fatigantes et moins coûteuses.
 
L’utilisation de l’empreinte optique (par l’intermédiaire d’un capteur de taille comparable à un gros stylo) pour obtenir le modèle de travail est aussi moins pénible que l’empreinte conventionnelle (avec porte-empreinte rempli de matériau inséré en bouche jusqu’à la prise), souvent rapportée comme difficile notamment pour les patients âgés peu coopérants, anxieux ou insuffisants respiratoires.

Publié le 04/12/2014 à 04:00 | Lu 2409 fois