Retraite : sortir de l’ornière (partie 1), chronique de Serge Guérin

A mesure que notre espérance de vie a augmenté, notre espérance de vie professionnelle a diminué. Depuis plus de vingt ans, la problématique du financement des retraites est un marronnier du jeux politique et médiatique. Chacun dénonce la faiblesse du taux d’activité des plus de 50 ans, s’alarme du rapport entre le nombre d’actifs en capacité de cotiser par rapport aux inactifs qui ne cotisent plus, compare avec les autres pays européens dont la plupart ont relevé l’âge de départ à la retraite… Et toujours, le débat tourne autour de trois possibilités bien connues : relever les cotisations, diminuer le montant des pensions, augmenter la durée de cotisation. Les plus innovants proposent de mixer ces trois leviers.


Face à cette situation présentée comme catastrophique au regard des déficits de la branche retraite, le gouvernement s’achemine tranquillement vers le relèvement à 62 ou 63 ans de l’âge du départ. Et les syndicats s’acheminent tranquillement vers quelques mouvements sociaux, démonstrations de force et discours enflammés.

Bien qu’il y ait une certaine logique à ce que, dans certains cas, les personnes puissent travailler plus longtemps puisque l’espérance de vie s’est fortement accrue, les entreprises continueront de pousser les seniors hors de l’emploi, tout en proposant aux jeunes un parcours d’entrée dans l’emploi semé de stages non ou peu rémunérés et toujours sans cotisations associées, puis souvent suivi de CDD plus ou moins renouvelables.

Dans le même temps, la priorité restera aux gains de compétitivité obtenus par la pression croissante sur la minorité de ceux ayant encore un emploi et l’éviction des plus vulnérables. Et l’on continuera de s’étonner de la permanence d’un consensus partagé par les salariés comme par les employeurs : face à l’intensification du travail et à la perte de sens de leur activité, les premiers désirent toujours partir au plus tôt, les seconds continuent de privilégier l’éviction des seniors et des publics vulnérables comme seule politique possible d’ajustement à l’environnement économique et à la pression de la mondialisation.

Or, s’il est urgent d’agir, une réforme purement comptable et seulement fondée sur l’âge de la retraite risque de manquer l’essentiel. L’enjeu du vieillissement n’est pas de maintenir les équilibres économiques et démographiques de la société industrielle, mais d’en inventer de nouveaux, ou à tout le moins de créer les conditions de leur déploiement. Cela suppose de changer de manière de raisonner. Il s’agit de repenser le travail, son utilité et les conditions de sa réalisation, plutôt que de vouloir faire croire que le problème ne concerne que la retraite.

Par défaut d’imagination et incapacité de sortir du cadre, le choix s’est porté sur le plus simple : sortir les seniors et d’autres publics de l’emploi. Or, il est parfaitement possible de penser les choses autrement, de réinventer des rythmes adaptés aux individus, de soutenir l’emploi en développant des biens et services répondant aux besoins et attentes des humains et en privilégiant la qualité sur la productivité.

Une société qui ne se donne comme mesure de la performance que la productivité de court terme ne sait pas faire de place aux seniors, pas plus qu’aux jeunes et à l’ensemble des publics fragilisés. Une économie qui ne se pense qu’en termes de compétitivité produit par essence de l’exclusion. Une société seulement centrée sur la production ne sait répondre au « pourquoi », ne sait donner du sens au travail et à l’activité.

L’enjeu est d’accompagner l’ensemble des public vers des activités qui permettent d’améliorer la situation du pays mais aussi celle des personnes qui y vivent ; quelque soit leur âge, leur fragilité, leurs possibilités.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Vient de publier, De l’Etat Providence à l’état accompagnant Editions Michalon

Publié le 03/05/2010 à 09:31 | Lu 1668 fois