Réforme des retraites de 2003 : quel impact sur l’emploi senior ?

Cinq ans après la réforme des retraites de 2003, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans est de 38,1%, pour un objectif fixé à 50% en 2010… Pourquoi ce résultat mitigé, alors que l’emploi des seniors figurait parmi les priorités de la réforme ? Présenté pour la première fois comme une variable d’ajustement importante du financement du système de retraite, l’emploi des seniors a fait l’objet d’un plan national d’action concerté de grande ampleur. Quels effets ont eu ces mesures ? Annie Jolivet, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) fait le point.





Priorité à l’emploi des seniors avec des mesures vers les assurés…

Plusieurs dispositions de la réforme de 2003 visent à encourager les seniors à rester en activité :
- la création d’une surcote.
Depuis 2004, les personnes qui totalisent la durée d’assurance requise pour le taux plein, peuvent bénéficier d’une majoration de leur pension pour chaque trimestre supplémentaire cotisé. Depuis 2007, la surcote est de 3% pour la première année cotisée, de 4% les années suivantes et de 5% par année cotisée au-delà de 65 ans.
- le réaménagement du cumul emploi-retraite.
Depuis le 1er janvier 2007, il permet au salarié de reprendre son activité chez son ancien employeur six mois après son départ en retraite, sous réserve que le cumul des revenus mensuels d’activité et de la retraite ne dépasse pas, soit la moyenne mensuelle des trois derniers salaires perçus, soit une limite minimum fixée à 1,6 fois le montant mensuel du Smic si cette dernière est plus élevée. Par ailleurs, les règles ont été harmonisées entre les différents régimes en 2004.
- L’assouplissement de la retraite progressive.
Elle est désormais ouverte aux personnes qui ne bénéficient pas du taux plein et aux travailleurs à temps partiel. La retraite progressive doit permettre notamment d’annuler la décote subie lors du premier départ en retraite, et de bénéficier éventuellement d’une surcote tout en finissant sa carrière à temps partiel.

Mais ces mesures connaissent un bilan mitigé, estime Annie Jolivet :
- En 2006, 5,7% seulement des personnes concernées bénéficient de la surcote, pour 5,2 trimestres en moyenne.
- Les données chiffrées manquent sur les personnes concernées par le cumul emploi-retraite.
- Le nombre de personnes en retraite progressive reste marginal : 758 bénéficiaires au 30 juin 2007 contre 1.287 fin 1993 et 673 fin décembre 2003.

D’autres dispositions, destinées à ouvrir des marges de choix individuel, ont été mises en place avec plus de succès :
- l’abaissement progressif de la décote, fixée à 1,25 point par trimestre manquant pour les personnes nées avant 1944 pour atteindre 0,625 point pour celles nées après 1952.
- le rachat des années d’études et/ou incomplètes ou « versement pour la retraite », pour augmenter la durée d’assurance et accroître ainsi le montant de la pension. Selon les données de la Cnav, 14,3% des assurés au régime général avaient effectué un versement de ce type en vue d’un départ anticipé entre le 1er janvier 2004 et le 30 septembre 2007.
- la création du dispositif de retraite anticipée, pour prendre en compte les carrières longues et permettre aux personnes handicapées et aux personnes ayant commencé à travailler jeune, de partir en retraite avant 60 ans, à certaines conditions. Le dispositif a remporté un vif succès et dépassé les prévisions : de 113.200 personnes en 2004, le nombre de bénéficiaires est passé à 102.000 en 2005 et 108.200 en 2006. En trois ans, 3.200 retraites anticipées ont également été attribuées aux assurés handicapés. La mesure a concerné 700 fonctionnaires en 2005 et 10 461 en 2006. .../...
Réforme des retraites de 2003 : quel impact sur l’emploi senior ?

…et aussi vers les entreprises

L’objectif de la réforme est également d’impliquer les entreprises en favorisant l’allongement des carrières par le relèvement de l’âge de mise à la retraite, en restreignant les conditions d’accès aux préretraites et en donnant l’obligation de négocier des accords, notamment en matière d’emploi et de pénibilité :
Le relèvement de l’âge de mise à la retraite d’office
Jusqu’alors, l’entreprise avait la possibilité de mettre en retraite un salarié âgé d’au moins 60 ans dès lors qu’il réunissait les conditions du taux plein. Désormais, toute rupture du contrat par l’employeur avant les 65 ans du salarié constitue un licenciement, même si celui-ci a la durée d’assurance nécessaire pour le taux plein. "L’objectif est clairement de favoriser l’allongement des carrières en limitant les possibilités de rupture du contrat de travail en raison de l’âge, sauf accords de branche conclus avant le 1er janvier 2008" remarque Annie Jolivet.

Mais un amendement à la loi a permis des dérogations (notamment si des accords collectifs de branche étendus sont signés avant le 1er janvier 2008 avec des contreparties en termes d’emploi et de formation professionnelle), laissant ainsi la possibilité aux entreprises de poursuivre les mises à la retraite avant 65 ans. Cependant, avec la Loi de Financement de Sécurité sociale de 2008, ces dérogations sont interrompues. De plus, le Gouvernement a mis en place une contribution de 25% en 2008 sur les indemnités versées au titre des mises à la retraite, qui passe à 50% en 2009.

La restriction appliquée aux dispositifs de préretraite
La loi de 2003 assujettissait les allocations versées au titre d’une préretraite d’entreprise à une contribution de 23,85% à la charge de l’employeur et affectée au Fond de réserve des retraites. Depuis, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 a relevé ce taux à 50% et augmenté la contribution à la CSG à un taux de 7,5%.

Le nombre de préretraites publiques a également été réduit, notamment l’accès aux Cats (Cessation anticipée d’activité des travailleurs salariés). Le nombre de bénéficiaires a été divisé par deux entre 2003 et 2006 : ils ne représentent plus que 16.000 personnes en 2006.

La négociation interprofessionnelle
La réforme de 2003 lui a redonné une forte impulsion. Désormais, les entreprises ont pour obligation de négocier sur l’emploi des seniors au niveau des branches et tous les trois ans dans l’entreprise. Les partenaires sociaux ont choisi de mener sur ce thème une négociation interprofessionnelle qui a abouti en octobre 2005 à l’Accord national interprofessionnel (Ani), aussitôt suivi d’un plan d’actions. L’objectif : atteindre un taux d’emploi de 50% de 55-64 ans en 2010.

Plusieurs dispositifs sont ainsi prévus : le droit à un entretien professionnel de deuxième partie de carrière, un droit individuel à la formation pour les plus de 50 ans, la suppression de la contribution Delalande ou encore un CDD seniors. Ce dernier, présenté comme la mesure phare de l’accord, consacre l’existence d’un contrat à durée déterminée spécifique pour les chômeurs de plus de 57 ans inscrits comme demandeurs d’emplois depuis plus de 3 mois ou en convention de reclassement personnalisé.

Aujourd’hui, le bilan de ces négociations est mitigé : très peu d’accords d’entreprise, et seulement 5 accords de branche reprenant les dispositions de l’accord national interprofessionnel, ont été signés. Toutefois, à partir de 2005, de grandes entreprises (EADS, Air France, La Mondiale, Ifremer) ont développé des actions pour leurs salariés âgés de 45-50 jusqu’à 65 ans. Mais aujourd’hui, il est encore trop tôt pour évaluer leur portée réelle dans la pratique.

Les discussions sur la pénibilité
Prévues par la réforme de 2003, ces négociations n’ont aujourd’hui toujours pas abouti. Leur objectif : prévenir l’usure professionnelle et compenser les écarts d’espérance de vie, notamment pour les salariés aux conditions de travail pénalisantes. Mais si les critères de pénibilité ont assez rapidement fait l’objet d’un accord de principe, la négociation achoppe sur le financement de la réparation et l’ouverture d’une retraite anticipée.

D’un côté, les représentants patronaux souhaitent une prise en charge de la réparation par les Pouvoirs Publics et l’examen par une commission médicale de chaque demande de retraite anticipée. De l’autre, les syndicats revendiquent la participation de l’entreprise et des conditions moins restrictives à l’ouverture du dispositif de retraite anticipée. Cependant, certains accords de branche déjà conclus prennent en compte la compensation de la pénibilité, notamment dans l’industrie laitière et charcutière.

Au total, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans s’élève à 38,1% en 2006, avec 38,3% prévus en 2007. Entre 2000 et 2006, il a progressé fortement, de près de 9 points. En effet, le taux d’emploi des « jeunes seniors » étant plus élevé (notamment parce que les femmes sont plus actives que celles des générations précédentes), il a poussé à la hausse le taux moyen de l’ensemble de la tranche d’âge concernée. En revanche, en 2006, les premières générations nombreuses du baby-boom atteignent 60 ans et basculent dans la tranche d’âge supérieure des 60-64 ans : à terme, l’effet de structure démographique aura donc tendance à faire baisser le taux d’emploi jusqu’en 2010.

Enfin, l’âge moyen de départ à la retraite a diminué entre 2003 et 2006, passant de 61,4 à 60,7 ans : cette baisse est principalement causée par le succès remporté par le dispositif de retraite anticipée. Ce dispositif mis à part, l’âge moyen de départ à la retraite est de 61,2 ans.

Un constat en demi-teinte
D’emblée, plusieurs éléments concourent à rendre plus difficile le bilan à dresser de ces réformes :
- le recours à des indicateurs qui ne sont pas forcément les plus probants : non seulement le taux d’emploi des seniors peut masquer des situations contrastées selon les secteurs d’activité, leur dynamisme (et un taux d’activité différent selon les générations au sein même de cette catégorie), mais l’âge moyen de départ en retraite ne correspond pas forcément à l’âge de sortie de l’emploi,
- la mise en place progressive des mesures, qui dépendent soit des régimes de retraite, soit de la politique publique de l’emploi, ne permet pas d’obtenir des statistiques globales pour les quantifier, d’où un certain manque de visibilité sur l’efficacité et la cohérence de l’ensemble du dispositif,
- la dispersion entre plusieurs groupes de négociations des différentes dimensions de l’emploi des seniors (pénibilité, dispositifs pour le retour à l’emploi ou encore aménagements de fin de carrière), affecte l’efficacité des mesures décidées.

Enfin, la multiplicité des sujets traités par la loi de 2003 pose parfois un problème de cohérence : difficile, par exemple, de faire coexister des mesures limitant les départs anticipés et d’autre part, la réduction de la décote et la création d’une retraite anticipée pour longue carrière qui favorisent les départs anticipés. Par ailleurs, les incitations financières, telles que la surcote ou la retraite progressive, ne pourront être réellement efficaces qu’avec une augmentation du taux d’emploi des seniors.

"D’où les questions qui demeurent encore aujourd’hui" conclut Annie Jolivet : la mise en oeuvre de la réforme est-elle trop lente pour influer sur les comportements, notamment en matière d’emploi des seniors ? Les incitations actuelles sont-elles suffisantes, les personnes concernées suffisamment informées ? Le bilan de la réforme de 2003 sera l’occasion de répondre à ces questions, à condition toutefois que les objectifs en soient clairement définis et l’application mesurée dans le temps.

Article publié le 22/07/2008 à 16:17 | Lu 16032 fois