Rapport de la Cour des comptes : ne pas oublier les réalités des retraités d’aujourd’hui et de demain, chronique de Serge Guérin

La Cour des Comptes vient de publier un rapport préconisant de taxer les « retraités riches ». Toutefois, il convient de nuancer ce type de discours... Certes, une part non négligeable des retraités connait une situation confortable, voire très confortable. J’ai eu d’ailleurs l’occasion de dire à La Matinale de Radio Classique que ce devait être le cas des retraités de la Cour des comptes… Je m’étonnais que les magistrats n’aient pas proposé de réduire les retraites des très hauts fonctionnaires qui souvent, connaissent une promotion dans la dernière période d’activité... Le calcul de la pension des fonctionnaires se fait en effet sur les six derniers mois et non sur les 25 meilleures années !





Surtout, il est bon de réexpliquer que près de 65% des ménages de retraités sont issus des milieux populaires (anciens ouvriers, employés ou agriculteurs), mais aussi d’anciens travailleurs indépendants, commerçants, petits entrepreneurs ou artisans. Ce sont les « retraités populaires » que nous avions pointé avec Christophe Guilluy dans un papier d’analyse pour Le Monde daté du 27 aout dernier.

Contrairement aux idées reçues, pour l’essentiel, ces ménages disposent de revenus modestes voire très faibles. Non seulement la moitié des retraités doit vivre avec tout juste le smic, mais un million d’entre eux, et principalement des femmes, se retrouvent avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté.

Et ce phénomène social va continuer de croître. Selon le BIPE, la proportion de ménage de plus de 60 ans va passer de 34 à 37% entre 2010 et 2020. Avec la précarité croissante qui touche toujours plus de salariés et la baisse du taux net de remplacement du revenu salarial médian (65%, selon l’OCDE) suite aux différentes réformes initiées depuis 1993, le niveau médian des pensions pour les nouveaux retraités sera de 850 euros par mois. Soit, sous le seuil de pauvreté !

L’étude de l’Insee présenté début septembre montre même que le revenu médian des retraités a baissé de 1,1% en 2010. Dans ce contexte, la question d’une retraite universelle de base se pose…

En termes de géographie sociale, la carte de la France populaire et celle de la France des retraités populaires sont remarquablement identiques, avec l’éloignement des grandes villes et l’installation dans des lotissements séparés du cœur des villages et des petites villes. D’ailleurs, ils vivent bien séparés des retraités issus des catégories plus privilégiées. Ils sont particulièrement sous-représentés en région parisienne et en PACA et sur les littoraux où se concentrent au contraire les retraités aisés.

Avec leurs revenus modestes, les retraités populaires se retrouvent souvent à soutenir leurs cadets. Parfois sur trois générations, ils sont les seuls à avoir un revenu régulier. Pour répondre à la fragilisation croissante des retraités populaires, les territoires sont en première ligne. Les départements et les villes assument déjà une large part de l’aide sociale pour les plus âgés et pour les plus fragiles. Et souvent, leurs ressources sont inversement proportionnelles aux besoins des populations, car les retraités populaires sont situés en large partie sur des territoires à faible attractivité pour les entreprises.

La future réforme de la décentralisation devra prendre en compte cette réalité autant sociale, culturelle que spatiale et développer une approche reposant sur des démarches territorialisées d’accompagnement adaptées aux conditions réelles de vie des personnes. Certes, elles auront à s’appuyer largement sur l’action de services publics. Il faudra impérativement les mutualiser, adapter les conditions d’accès et jouer sur des systèmes plus souples et plus mobiles. Surtout, une politique d’accompagnement accordée aux territoires repose sur la délégation d’action et de moyens aux acteurs de l’économie sociale qui sont souvent plus réactifs, plus légitimes et moins couteux.

Par ailleurs, au regard de la dynamique démographique du vieillissement, il est impossible de penser une nouvelle étape de la décentralisation sans intégrer une réforme de la perte d’autonomie prioritairement centrée sur une véritable politique de prévention. Elle doit être menée au niveau des territoires et prendre en compte les modes de vie et les capacités des personnes. De la même façon, le soutien aux aidants, bénévoles et professionnels, est un impératif absolu. Il est facteur de création d’emplois non délocalisables.

Il n’est que temps d'inventer une vraie solidarité entre les générations, les cultures et les territoires en faisant le pari de l’innovation sociale.

Serge Guérin, sociologue, professeur à l’ESG-MS, enseignant en master « Politique gérontologique » à Sciences Po Paris, dernier ouvrage : « La nouvelle société des seniors », Michalon, 2011

Article publié le 20/09/2012 à 07:00 | Lu 2169 fois