Manglehorn : se libérer des secrets du passé avec Al Pacino (film)

Manglehorn, le dernier film d’Al Pacino, réalisé par David Gordon Green sortira sur les écrans le 3 juin prochain. L’histoire ? Celle d’un vieux serrurier solitaire, taiseux et acariâtre qui regrette l’amour de sa vie, n’a de sentiment que pour sa chatte et des contacts pour le moins épisodiques avec son fils. Un beau film. Et du très grand Pacino.


La vie de A.J. Manglehorn est faite de solitude. En apparence, il vit une vie banale consistant à ouvrir les portes de personnes ayant perdu leurs clés, nourrir son chat, Fanny, manger du foie aux oignons à la cafétéria du coin et apprécier ses conversations hebdomadaires avec une employée de banque, mais sa vie intérieure est tout sauf simple.
 
Cet homme au passé mystérieux et au cœur brisé écrit chaque jour de longues lettres à Clara, son amour perdu depuis quarante ans, « celle qui est partie », la seule personne à qui il peut faire part de sa vie émotionnelle complexe et triste. Chaque jour, il ouvre sa boîte aux lettres (gardée par une ruche) pour voir si, à tout hasard, Clara lui aurait répondu.
 
Pour faire ce film, David Gordon Green s’est souvenu d’une conversation qu’il avait eue quelques années plus tôt avec un homme d’un peu plus de 70 ans, lors du Festival du Film de Nantucket. « Cet homme parlait de ses regrets, notamment celui d’avoir quitté l’amour de sa vie. Il avait très bien réussi, mais n’avait jamais été heureux parce qu’il avait fait le mauvais choix ».
 
En voyant la vie routinière d’A. J. Manglehorn, on a du mal à imaginer qu’il a pu être autre chose que serrurier. Mais l’a-t-il toujours été ? Pendant la création du passé du personnage, Green et son scénariste ont brièvement envisagé que Manglehorn ait pu avoir une vie criminelle –quelque chose qui l’ait mené à une carrière dans laquelle il était convenable de déverrouiller des choses. Paul Logan, le scénariste souligne : « nous l’avons imaginé comme une figure légendaire, comme le personnage d’Al dans L’épouvantail mais quarante ans plus tard. Quelqu’un qui a eu de l’ambition très tôt dans la vie et a fait des choix qui lui ont coûté ses relations. »

« L’un de nos sujets de conversation », dit D. G. Green, « était pourquoi cette femme, Clara, l’aurait quitté. Peut-être parce qu’il a qu’il a choisi une vie criminelle plutôt qu’une vie avec elle. Mais plus nous écrivions à ce sujet, plus nous nous sommes rendu compte qu’il était plus sympathique quand sa vie n’était pas extraordinaire ».
 
De son côté, Al Pacino ajoute : « il est suggéré qu’il a eu une autre vie en rapport avec son travail de serrurier par la boucle d’oreille qu’il porte et la façon dont il se tient. Mais c’est quelque chose que, selon David, il n’était pas nécessaire de savoir. Il y a juste l’idée qu’un événement a eu lieu tôt dans sa vie et a provoqué son besoin de s’éloigner et d’aller dans cette ville où règne une certaine liberté. Cela fait partie de son exode du monde auquel il appartenait avant. C’est un homme capable d’aimer, mais aussi très profondément blessé. »
 
Manglehorn prend peu soin de lui. Il vit dans une maison banale assez vide, à l’exception de tortillas et de bière. « Il n’est pas vraiment un gourmet », rit D. G. Green. « Il s’assoit sur la même chaise, possède un canapé de couleur neutre et mange de la nourriture insipide. » Il se rend régulièrement à la cafétéria du coin pour dîner quand il n’a pas d’autre choix. « Manglehorn est un homme routinier », dit Paul Logan. « Il va au travail, va toujours dans le même restaurant, rend visite à la même personne le même jour chaque semaine et écrit une lettre toujours à la même heure. C’est sûrement un moyen pour lui de ne pas craquer. C’est un filet de sécurité auquel il s’accroche. »
 
En ce qui concerne le look de Manglehorn, la costumière a créé des costumes pour un homme qui a glissé dans l’obscurité de la vie. « Beaucoup de couleurs sombres et mélancoliques, de tissus lourds, comme un enfant s’enveloppant dans des couvertures – des couches protectrices de vêtements, comme s’il se cachait. Et des couleurs fades et monochromes contrastant avec les couleurs vives à l’arrière-plan ». Ses mains sales, aux ongles rongés, en parties couvertes de pansements, sont celles d’un artisan. « Ce sont les mains d’un homme qui travaille chaque jour », remarque le réalisateur. « Ce sont des mains qui peuvent accomplir un travail de précision qu’une personne un peu plus élégante ne saura pas faire. »

Chaque vendredi, Manglehorn va à la banque pour y déposer la recette de la semaine. Comme d’habitude, il est accueilli par le charismatique Carl le Garde puis s’adresse systématiquement à la même personne, une femme appelée Dawn (ce qui signifie « aube »), jouée par Holly Hunter. Ils ont des conversations légères mais sincères, portant principalement sur leurs animaux de compagnie. Dawn l’écoute attentivement et lui offre une amitié qu’il ne trouve nulle part ailleurs.
 
À bien des égards, sa personnalité est l’opposé de celle de Manglehorn. « Je me suis demandé quelle était son antithèse », explique Paul Hogan. Elle ne vit pas dans sa tête ; elle est simplement vivante et heureuse de l’être. Elle s’exprime librement. Ce sont toutes ces qualités qui ont attiré l’actrice. « J’ai aimé sa force vitale dans cet environnement complètement ordinaire. Elle n’est pas une femme ouvertement extraordinaire, mais elle donne beaucoup d’amour par le biais de son travail. » Et, contrairement à Manglehorn, la vie ne l’a pas éteinte. « Elle est optimiste. Elle n’est pas menée par la peur mais par un esprit tourné vers le possible, une sorte d’ouverture et de jeunesse qu’elle a en elle. » Dawn dit bien plus oui que non. « Et c’est très cool. Plus on vieillit, plus cela peut être difficile de dire oui parce qu’on est épuisé, parce qu’on sait ce que c’est que se faire rejeter. La vie accable les gens, mais je crois que Dawn a moins de cicatrices que beaucoup d’autres. Et de toute façon, elle leur a répondu par l’affirmative. »
 
Vers la fin du film, Manglehorn s’apprête à monter dans son camion quand il se rend compte qu’il a laissé les clés à l’intérieur –parfait pour un serrurier ! Mais il remarque un mime qui lui lance une clé imaginaire. Manglehorn décide de jouer le jeu et, étonnamment, la clé ouvre la portière. C’est une fin aussi différente que l’est A.J. Manglehorn. Il y a de la magie. Comme le dit Paul Logan : « nous avons vu qu’en surface c’est un homme dur, mais nous savons qu’à l’intérieur se cache quelque chose d’incroyable et d’épatant, que ce soit son émotivité ou juste l’homme qu’il peut être. Et c’est pourquoi nous nous accrochons tous à lui – l’homme aux miracles ».
 
Manglehorn s’est enfin libéré d’émotions que nombre d’entre nous ne connaissent que trop bien et peut exprimer sa magie. « En fait, nous avons tous beaucoup de sentiments en commun avec Manglehorn », dit Pacino. « Des choses que nous aurions pu avoir, mais que nous avons perdues et sur lesquelles nous nous lamentons et que nous emmenons partout avec nous. Je crois que c’est un thème universel. Et il est ici présenté d’une façon qui nous lie comme le fait la grande peinture. Ce film est une oeuvre d’art réalisée par un artiste du cinéma. »


Publié le 16/04/2015 à 10:40 | Lu 1358 fois